Le 29 octobre dernier, la région de Valence (Espagne) vivait un drame. Du fait d’une mer Méditerranée en surchauffe, conséquence du dérèglement climatique, il est tombé en quelques heures l’équivalent d’une année de pluie dans certaines localités, gonflant à un niveau jamais atteint les fleuves et les rivières.
Et, du fait de choix politiques, il y a eu plus de 200 mort·es.
PAR Adrien Martinez
Le drame vécu dans la région de Valence montre à quel point les questions écologique, politique et sociale sont intriquées. Répondre à l’enjeu climatique nécessite d’articuler rupture avec les modèles productivistes et inégalitaires et choix politiques. Ceux-ci devraient viser à la fois l’adaptation aux effets désormais inévitables du changement climatique et le renforcement des services publics pour répondre aux situations de crise. Le gouvernement valencien, issu d’une coalition entre le Parti populaire (PP) et Vox (extrême droite) a fait d’autres choix, mortifères; comme la grande majorité des gouvernements, dont le gouvernement français.
Les effets du dérèglement climatique
Les DANA (acronyme de depresion aislada en niveles alto, ou dépression isolée à niveau élevé, en français) sont produites par la rencontre d’un air saturé en vapeur d’eau et d’une zone d’air très froid, ce qui provoque des épisodes de pluies importantes. Ce n’est pas un phénomène nouveau en Espagne. Ce qui l’est plus, c’est non seulement l’intensité de celui qui a touché la région de Valence, mais aussi l’augmentation de la fréquence de ces phénomènes : il est tombé jusqu’à 600 l/m2 dans certaines communes. Dans les semaines qui ont suivi, l’Andalousie, la Catalogne et de nouveau Valence, étaient affectées.
Au moment où s’ouvrait la conférence des Nations unies sur le climat en Azerbaïdjan, le service européen Copernicus publiait un rapport pronostiquant que l’année 2024 serait certainement l’année la plus chaude jamais enregistrée et la première avec une hausse de la température moyenne du globe de 1,5°C au-dessus de celle de la période préindustrielle. 1,5°C qui constituait l’objectif de limite du réchauffement climatique fixé par les accords de Paris en 2015. Selon un rapport des Nations unies, le monde est sur la trajectoire d’une augmentation catastrophique de 2,6 à 3,1°C au cours de ce siècle. Telle est la conséquence de l’inaction climatique des gouvernements.
Les 30°C atteints à la surface de la mer Méditerranée ont intensifié l’évaporation. L’augmentation de la température de l’air a conduit à sa saturation encore plus forte en humidité. Ces deux phénomènes se sont conjugués pour amener une masse considérable de vapeur d’eau en contact avec des zones froides en haute altitude, provoquant ces pluies torrentielles qui ont saturé le réseau hydrographique valencien.
Plus de 200 mort·es du fait de choix politiques
Mais ce sont des choix politiques qui ont fait de cet épisode climatique extrême une catastrophe humanitaire ayant pour conséquence plus de 200 mort·es et des dégâts considérables.
Car la définition d’un modèle de développement urbain niant les risques environnementaux est un choix politique. Le bassin présente un degré élevé d’imperméabilité en raison de la densité du tissu urbain et industriel. Les politiques de libéralisation de la construction menées depuis les années 1990 ont conduit à ce que 30 % du logement social espagnol se trouve en zone inondable. Par ailleurs, le développement touristique et industriel mené de façon chaotique a multiplié les infrastructures routières, les constructions faisant obstacle à l’écoulement des eaux.
Les coupes claires dans les services publics sont aussi des choix politiques. Le gouvernement local a ainsi, quelques semaines avant la catastrophe, pris la décision de fermer la cellule de crise permettant la coordination des urgences. Il a aussi choisi de ne pas répondre aux demandes de réparation du standard téléphonique formulées par les services d’urgence, ce qui a conduit à ce que ceux-ci ne puissent pas répondre aux nombreux appels qu’ils pouvaient pourtant entendre.
L’absence de mesures de protection des salarié·es en cas de crise est elle aussi un choix politique. Le président de la Generalitat, Carlos Mazon, a fortement critiqué l’université de Valence qui avait décidé de fermer ses portes le mardi 29 octobre au matin et renvoyé ses salarié·es chez elles et eux en réponse aux alertes météorologiques. Il a par ailleurs, pour se conformer aux demandes des employeurs, maintenu ouverts les différents lieux de travail, conduisant à ce que nombre de salarié·es se retrouvent sur les routes au plus fort des inondations. Le fait de retarder l’alerte jusqu’à 20 heures passées, quand des villes étaient déjà sous un mètre d’eau, au-delà de la démonstration d’incompétence du gouvernement valencien, est aussi un choix politique.
Le déni maintenu du PP et de Vox
Face à la démonstration de l’inanité des politiques menées, la droite et l’extrême droite espagnoles se sont réfugiées derrière les mêmes raisonnements que ceux employés dans d’autres pays: impossibilité de prévoir des cataclysmes de cette envergure, maintien d’un discours climato-sceptique et mise en avant de solutions technicistes qui participent à l’aggravation de la situation. Vox a pu ainsi regretter l’arrêt des grands travaux de déplacements des fleuves valenciens entamés par le Général Franco. Et le gouvernement valencien, ne tirant visiblement pas expérience du désastre, a été condamné par l’Inspection du travail pour «mise en danger grave et imminent» de ses employé·es lors du deuxième épisode de DANA, le 14 novembre, en ne les ayant pas alerté·es de façon opérationnelle.
Les cures d’austérité que les gouvernements entendent imposer aux services publics impactent négativement non seulement la nécessaire bifurcation écologique, mais aussi les capacités à répondre à des catastrophes climatiques extrêmes mettant en danger les populations. De Mayotte à Valence, ce sont d’abord les opprimé·es qui payent le plus lourd tribut d’une crise dont ils et elles sont les moins responsables. À l’heure où les débats budgétaires se poursuivent, il nous faut faire valoir l’importance d’un renforcement de la puissance publique. Il faut aller vers une fiscalité augmentée pour les plus riches pour permettre la lutte contre le dérèglement climatique, l’adaptation à ses conséquences déjà présentes, et la réponse aux situations de crise. C’est une des lignes de clivage majeures de la période entre d’un côté alternatives de gauche et de l’autre impasses inégalitaires libérales et climato-sceptiques de l’extrême droite.