**Entretien avec Benoît Teste** «Le syndicalisme se doit d’être sur tous les fronts »

Benoît Teste revient pour l’École émancipée sur ses deux mandats à la tête de la FSU et livre sa vision des défis que devra relever la fédération dans les mois et les années à venir.

Après deux séquences de mobilisations sur les retraites, la fin d’un certain paritarisme, l’expérience du syndicalisme sous confinement, une accélération des politiques libérales et du tri social à l’école… mais aussi une FSU renforcée parmi les personnels, représentative dans la territoriale et actrice incontournable de l’intersyndicale et des mouvements sociaux : quel bilan fais-tu de ces dernières années pour la fédération ?

J’ai exercé deux mandats dans un contexte certes compliqué mais passionnant où tout l’enjeu était en effet d’assurer une visibilité à la FSU et à tout ce qu’elle charrie comme valeurs et pratiques syndicales, un syndicalisme qui sait être à la fois très militant, engagé dans les luttes et rassembleur, très impliqué sur tous les grands enjeux de société et concret dans l’aide quotidienne apportée aux collègues, bref un syndicalisme dont on peut dire qu’il rend fier·es! J’ai essayé au long de mes mandats de continuer et d’amplifier notre implication dans toutes les luttes en ayant à cœur d’avoir sur chaque sujet des entrées syndicales. De la question des retraites à celle des droits du peuple palestinien, il y a un enjeu à chaque fois à organiser le combat pour la justice et créer les conditions de la solidarité du monde du travail.

Dans la période, je dirais que la FSU a globalement résisté. C’est bien sûr insuffisant dans le sens où cela consiste à faire du syndicalisme surtout défensif, il faut en être conscient·es. Mais c’est énorme quand on met cette résistance en regard de la volonté des forces libérales de nous détruire purement et simplement, par exemple avec la loi dite de transformation de la fonction publique qui a sapé un des éléments qui faisaient la force de nombre de nos syndicats à travers le paritarisme. Je pense que, sans l’accepter, nous nous y sommes adapté·es et gardons cette pratique de la proximité avec nos collègues, avec d’autres moyens, mais de manière non moins efficace au final.

La FSU reste un objet syndical assez original avec un poids très important des syndicats nationaux. Comment renforcer sa dimension fédérale qui apparaît au quotidien comme une sorte de colosse aux pieds d’argile ?

Nous avons en effet un «modèle syndical» très spécifique, issu de notre histoire, il a forcément des atouts et des inconvénients. Le fait d’être une fédération de syndicats nationaux permet un ancrage solide dans les professions, c’est ce qui fait notre force. Et au final, je suis persuadé que notre structuration en fédération de syndicats nationaux nous prémunit de beaucoup de dérives, comme la déconnexion de l’activité fédérale par rapport à celle de ses syndicats ou encore la tentation de contraindre ces derniers, alors qu’ils sont les mieux à même de déterminer les mandats dans leurs champs respectifs.

C’est un fonctionnement plutôt sain mais exigeant. Il suppose que tout le monde «joue le jeu» de la fédération, et en particulier que les syndicats s’investissent pleinement dans le travail fédéral en ayant conscience qu’ils en tireront bénéfice. De son côté, la fédération doit amener du «plus», être utile aux syndicats et les renforcer dans leur activité, en proposant un angle plus large et en créant du commun entre eux.

Après un temps assez long où la fédération n’a pu que confirmer son mandat de nouvel outil syndical sans concrétisation majeure, sur quoi pourrait déboucher le processus de refondation du syndicalisme de transformation sociale engagé concrètement avec la CGT ?

La période permet de passer aux travaux pratiques. En quelque sorte, la bonne nouvelleest que les ennuis commencent!

J’emploie le terme «d’ennuis » comme une boutade bien sûr, mais je vois au moins un problème majeur dans le fait même de ne pas pouvoir répondre précisément à la question posée ici: on doit, d’un côté, tout faire pour que le processus ne soit pas figé à l’avance et donc pour ne pas avoir une construction clé en main qu’il suffirait de «présenter» aux collègues «le moment venu». Mais d’un autre côté, il est difficile de s’emparer du débat dans de telles conditions, j’en suis bien conscient.

Il me semble que l’on peut envisager assez rapidement des espaces d’échanges qui permettent de mutualiser sur de plus en plus de sujets et qui fassent la démonstration que cela apporte à chacune de nos organisations et donc in fine aux salarié·es.

Il sera de mon point de vue important que la FSU continue de porter la nécessité d’ouvrir le jeu, avec Solidaires mais aussi avec d’autres, pour avoir une véritable perspective d’union du syndicalisme de transformation sociale.

Après un engagement inédit au début de l’été d’une partie du syndicalisme en faveur du programme du Nouveau Front populaire, le rapport du syndicalisme au politique apparaît comme l’autre grand sujet brûlant avec d’ici quelques mois une probable nouvelle campagne électorale. Comment s’y préparer pour endiguer la menace grandissante d’une arrivée au pouvoir de l’extrême droite?

C’est une grande responsabilité: à la fois assurer notre indépendance, car c’est elle qui donne confiance, mais aussi intervenir de manière efficace dans le champ politique. Cette question nécessite des réponses adaptées à chaque moment. Je pense par exemple que nous avons très bien fait d’appeler à voter pour le programme du NFP car cela signalait que les choses n’étaient pas du tout «comme d’habitude». Dans le moment dramatique où nous étions, il fallait empêcher l’extrême droite d’arriver au pouvoir mais, en même temps, faire prendre conscience que la marche à l’extrême droite se nourrit de l’application zélée de la feuille de route libérale. Il fallait absolument que les exigences de progrès social soient portées de la manière la plus franche possible. La situation était inédite, cela a été un grand moment d’une activité militante qui nous a rendu·es fières et fiers de nous battre. Cette énergie devra être activée de nouveau en tenant compte des circonstances, bien sûr.

Quels autres grands défis doivent relever la FSU et le syndicalisme ces prochaines années?

Je dirais que le plus grand défi est celui de sa massification: l’enjeu est de faire en sorte que se syndiquer devienne la norme et non, comme ça l’est encore trop souvent, l’exception. Cela passe par le fait de penser des syndicats comme des lieux de rassemblement, à la fois pour agir, pour réfléchir, pour créer du commun à partir des intérêts du monde du travail. Il faut convaincre les personnels que l’on peut sortir de la défensive, conquérir des droits nouveaux, pour eux et pour la population, en définissant avec eux les revendications. L’image des syndicats a un peu évolué en ce sens au moment de la lutte contre la réforme des retraites. La FSU a quelque chose d’important à dire dans cette perspective puisque tout son projet syndical consiste à montrer qu’être un syndicat qui rassemble largement ne signifie en rien la recherche du plus petit dénominateur commun, que faire des synthèses rend les mandats plus solides et donc entraînants, qu’être au plus proche des collègues n’est en rien un repli «corporatiste» et n’empêche nullement de défendre des alternatives radicales au capitalisme destructeur qui continue aujourd’hui à se déployer et à opprimer. Bref, le syndicalisme se doit d’être sur tous les fronts et avec toutes et tous les collègues face aux urgences de notre temps.

Propos recueillis parArnaud Malaisé**