Un an après la loi raciste et xénophobe de Darmanin, le gouvernement relance une offensive contre les sans-papiers. Dans sa circulaire du 23 janvier, Retailleau demande aux préfet^.^es de limiter drastiquement les admissions exceptionnelles au séjour.
PARLéna Marasse et Bruno Dufour
Une circulaire de Retailleau remplace la circulaire Valls de 2012 qui permettait, à la discrétion des préfet.es, de régulariser en moyenne 30 000 personnes par an qui pouvaient bénéficier de l’admission exceptionnelle au séjour (AES) en justifiant de trois ans de présence sur le territoire au titre de leur travail ou cinq ans au titre de leur vie privée et familiale.
Désormais, la régularisation des travailleur·ses sans papiers ne pourra intervenir que par la justification de sept années de résidence sur le territoire, sous réserve d’un niveau de français attesté − à quel coût ? − et sans comportement menaçant « l’ordre public sur le territoire national ». La durée des obligations de quitter le territoire français (OQTF) étant, à présent, systématiquement portée à trois ans, iels ne pourront plus demander l’AES avant ce délai. Par ailleurs, le rejet de la demande d’un titre de séjour sera systématiquement accompagné d’une OQTF.
Cette nouvelle circulaire intervient dans le contexte plus large d’attaques brutales contre les personnes immigrées en Europe et s’inscrit dans la continuité du pacte européen Asile et Immigration voté en avril 2024. Ce pacte s’attaque notamment aux immigré-es algérien·nes remettant ainsi en cause les accords de 1968. Même si le nombre effectif de reconduites à la frontière n’augmentera qu’à la marge, l’objectif est ailleurs. Retailleau fait là un beau cadeau au patronat en lui offrant une main-d’œuvre exploitable et corvéable à merci.
Dans le même esprit, raciste et xénophobe, et dans la lignée de la loi Darmanin, le ministre exploite le contexte économique et social à Mayotte pour annoncer des mesures d’extrême droite : remise en cause du droit du sol, préférence nationale généralisée etc.
Une offensive de la droite au service des patrons
Les néolibéraux ne sont pas contre l’État, ils sont seulement contre les services publics et les services sociaux, mais iels ont besoin d’un État fort pour protéger la propriété privée et poursuivre une politique de spoliation coloniale, notamment des départements et régions d’outre-mer (Drom). À ce titre, ils ont besoin d’une police et d’une armée fortes, mais aussi d’un système carcéral conséquent. Le néolibéralisme est donc par essence autoritaire, c’est la « souveraineté du droit privé garantie par un pouvoir fort »*. Toujours est-il qu’ils doivent réussir à se faire élire et à ne pas être censurés ensuite. Aussi, s’attaquer aux plus pauvres et à la population pour faire passer des réformes néolibérales n’est pas une stratégie très populaire et efficace. En revanche, construire la figure du « migrant qui vient profiter des aides » permet de convaincre la population qu’il faut supprimer ces aides pour ne pas qu’elles servent à « certain.es », tout en contrôlant l’immigration et les naissances (plan de « réarmement démographique » de Macron, attaques multiples du droit à l’avortement). Le néolibéralisme s’appuie alors de cette façon sur les idées et le programme de l’extrême droite pour satisfaire son propre programme et son échéancier politique. La panique autour des « délinquants étrangers violents » que l’on retrouve dans la dernière circulaire Retailleau, confère de plus en plus de droits à la police. Cela normalise sa violence qui peut alors se déchaîner contre l’ensemble des mouvements sociaux.
Les attaques multiples et répétées sur les droits des migrant·es, les cadeaux faits aux patrons, les travailleur·ses précarisé·es et sans droits forment un laboratoire pour le néolibéralisme qui teste ainsi des modèles sur les migrant·es, avec le consentement d’un spectre large de partis politique et la population, afin de les appliquer à tout le monde.
Les femmes, les mères et les jeunes encore plus exposé·es
La priorité donnée aux régularisations par le travail (exclusivement pour les métiers « en tension ») rendra encore plus difficile pour les femmes avec ou sans enfants, l’obtention d’un titre de séjour vie privée et familiale, dépendant de preuves de vie en France pendant sept ans (et non plus cinq). Sept ans sans papiers, dans une clandestinité imposée, sans aide financière ni droit aux allocations, sans pouvoir s’inscrire à France Travail et sans pouvoir accéder à des logements sociaux. À ce calvaire tant psychologique que physique s’ajoutent pour les femmes des difficultés supplémentaires : isolées, elles peuvent moins souvent attester de liens familiaux et elles sont plus souvent pénalisées que les hommes par le degré de connaissance de la langue du fait de leur niveau scolaire de départ et de la réduction massive de l’offre subventionnée de formation.
Retailleau renforce ainsi concurrence et ségrégation entre les femmes sur la base des classes sociales. Cette politique favorise leur exposition à la surexploitation au travail comme dans la vie privée.
Les quelque 15 000 mineur·es non accompagné·es (MNA) sont aussi les victimes du climat xénophobe et des restrictions des droits. Comme mineur·es, iels relèvent de la protection assurée par l’aide sociale à l’enfance (ASE) de chaque département. Celui-ci contrôle la minorité et l’isolement du jeune. Dans ce but et sous couvert du juge pour enfants, des tests osseux et dentaires sont souvent pratiqués. Leur absence de fiabilité aboutit à de très nombreux rejets de minorité (minorités pourtant authentifiées par des actes de naissance), avec pour conséquence la mise à la rue et en danger de ces « prétendu·es majeur·es ».
En cas de reconnaissance de la minorité, les jeunes sont confié·es à un département d’accueil parfois très éloigné des premiers contacts. L’accueil est censé s’effectuer dans un centre d’hébergement. Dans les faits, seul·es les jeunes les plus fragiles en bénéficient. Pour des centaines d’autres, et au mépris de la loi, iels se retrouvent dans des hôtels, isolé·es et éloigné·es de leur éducatrice ou éducateur et de leur lieu de scolarisation. Enfin la continuité de l’accompagnement de 18 à 21 ans, prévu dans la loi par le contrat jeune majeur, est à présent systématiquement réduite à six mois ou un an après 18 ans, annihilant les droits de ces jeunes ainsi que le travail réalisé par des services de l’ASE sous tension.
Organisons une riposte collective et luttons pour de nouveaux droits !
La lutte exemplaire du Collectif des jeunes du parc de Belleville relève de cette situation. Ces jeunes immigré·es obligé·es de vivre dans la rue ont réussi, par leurs actions et l’occupation de la Gaîté Lyrique depuis le mois de décembre, à établir un rapport de force contre les politiques de la mairie de Paris et du gouvernement d’Emmanuel Macron. Leur expulsion manu militari de la Gaîté Lyrique est une preuve de plus de la violence de ce pouvoir. Elle nécessite une solidarité renforcée et sans faille à leur égard, de nos associations et organisations syndicales et politiques.
Par ailleurs, il y a urgence à construire une réponse large et unitaire, contre la circulaire Retailleau, contre la loi immigration de Darmanin, pour la régularisation de tou·tes les sans-papiers.
Dans un contexte de montée fulgurante de l’extrême droite, toutes les forces progressistes, pas assez présentes pour le moment dans la lutte, doivent être à leurs côtés.
inLe choix de la guerre civile. Une autre histoire du néolibéralisme. Christian Laval, Haud Guéguen, Pierre Dardot, Pierre Sauvêtre. éditions Lux.