USA – après l’élection de Trump, Résister

Donald Trump a gagné l’élection présidentielle face à Kamala Harris avec plus de 4 millions de voix d’écart. Le Parti républicain obtient la majorité au Sénat et à la Chambre des représentants, alors que la Cour suprême lui est déjà acquise depuis son dernier mandat. Du point de vue institutionnel, il aura les mains libres pour appliquer son programme antidémocratique quand il accèdera à la Maison Blanche, le 20 janvier 2025.

Par John Barzman

L’élection de Donald Trump constitue une grave défaite pour le camp du progrès social et de la démocratie. C’est l’Ukraine qui en sera le plus immédiatement affectée. Depuis l’invasion massive russe du 24 février 2022, les États-Unis lui accordaient des livraisons échelonnées, savamment dosées, destinées à empêcher une défaite de Kiev, mais aussi une débâcle russe susceptible de conduire à une véritable transformation démocratique de la Fédération de Russie. Trump a été en contact régulier avec Poutine et a promis qu’il mettrait fin à la guerre rapidement. On s’attend à ce qu’il contraigne l’Ukraine à accepter la perte de territoires et un droit de surveillance par la Russie, sous peine d’une réduction drastique des aides américaines. Ce serait un pas vers la reconnaissance d’une tutelle de l’impérialisme russe sur l’espace est-européen, au détriment de l’aspiration des peuples de la région à l’indépendance nationale et aux libertés démocratiques.

En ce qui concerne le Moyen-Orient, Trump a été vivement soutenu par Nétanyahou, et il lâchera la bride aux courants israéliens les plus agressifs : cela affectera en premier lieu les Palestinien·nes de Gaza, de la Cisjordanie et de l’intérieur de l’État d’Israël, mais aussi les peuples du Liban, de la Syrie, de l’Iran et du Yémen, tous visés récemment par les forces israéliennes. Le choix de certain·es électeur·trices américain·es d’origine arabe ou musulman·es, ou simplement solidaires des Palestinien·nes, de « punir Genocide Joe » (Biden) en votant pour Trump, pour la candidate verte Jill Stein ou en s’abstenant, n’aura servi qu’à renforcer la main de Trump et Nétanyahou.

Face à la Chine, Trump a proposé de durcir les barrières douanières existantes et d’interdire le commerce de certaines technologies jugées stratégiques. Ces mesures ne pourront que tendre les relations avec Pékin. C’est dans ce cadre que Washington envisagera l’étendue de son soutien à Taïwan, menacée par les manœuvres militaires chinoises et la volonté affichée de Xi Jin Ping d’annexer l’île à l’empire chinois.

À l’international

Les puissances impérialistes européennes craignent, comme l’a suggéré Trump, une réduction de l’engagement américain face aux menaces expansionnistes russes. Elles sont entrées dans un processus d’augmentation massive de leurs dépenses militaires et de renforcement du pôle européen de l’Otan, qui fait ressortir les particularités des uns et des autres. Dans ce climat d’escalade militariste, Trump ajoutera une relance de la guerre commerciale et douanière sur certains produits (comme les alcools français), tout en s’opposant aux mesures destinées à protéger les populations contre les produits dangereux (toxicité, pollution, effets climatiques). Les partisan·nes du droit des nations à l’autodétermination, de l’amitié entre les peuples, du désarmement et de la protection de l’environnement auront fort à faire, dans des situations complexes.

Enfin les leaders autoritaires et fascisant·es comme Orban, Meloni, Nétanyahou, Poutine, Xi Jin Ping, Ali Khamenei et leurs admirateur·trices, qui veulent limiter les libertés démocratiques, considèrent l’élection de Trump comme la confirmation de leurs idées. Le rapport de forces mondial vient de subir un grand coup défavorable aux forces de la paix, de la démocratie et du progrès social.

Aux USA, femmes, immigré·es, droits démocratiques et syndicats

Aux États-Unis mêmes, malgré le succès de référendums en faveur du droit de choisir, le gouvernement de Trump favorisera la poursuite des limites sur l’avortement. Il augmentera les mesures administratives et policières contre les résident·es sans papier, en divisant les familles, multipliant les expulsions, le harcèlement et les calomnies (comme l’accusation que les Haïtien·nes mangent les chiens et les chats domestiques).

Trump a annoncé des poursuites contre les opposant·es qui ont cherché à le destituer ou à lui faire subir les conséquences pénales de son soutien à l’émeute du 6 janvier 2021. Il prévoit aussi de mobiliser les forces militaires contre celles et ceux qui voudraient protester contre sa politique. Il encouragera les mesures de censure prises dans les écoles et les bibliothèques contre certains livres ou certains sujets. Il cherchera à rogner ou à démanteler la sécurité sociale santé (Obamacare). Ses promesses démagogiques de faire baisser les prix, de libérer l’emploi ont peu de chances de se traduire dans la réalité. Enfin le Plan 2025, rédigé par l’ultra-réactionnaire Fondation du patrimoine (Heritage Foundation) sera mis en œuvre, avec notamment le remplacement des syndicats indépendants par des corporations unissant patron·es et salarié·es. Trump caresse l’idée de donner carte blanche aux forces de police pendant un jour pour lutter contre la criminalité. Enfin toute résistance à ces mesures peut être entravée par la mobilisation en sous-main des milices armées (Proud Boys, etc.) et d’auxiliaires des shérifs de comté. On peut donc s’attendre à des reculs importants de la justice sociale et des droits démocratiques, même si des résistances s’organisent, dont on ne peut prévoir les conséquences.

Les causes du recul démocrate

Les médias ont eu tendance à exagérer l’avancée de Trump dans l’opinion, en se basant sur les cartes colorées en rouge et les grands électeurs. Il a réuni 74,2 millions de voix, soit 1,6 million de moins que face à Biden en 2020. Trump a certes modifié sa base de 2016 : perte des Républicain·es modéré·es (Liz Cheney, Mike Pence) plus diplômé·es, gains modestes chez les hommes noirs et latinos, et dans les couches populaires dispersées. Le cœur de sa victoire vient du recul du vote démocrate, de 81,2 millions en 2020 à 70,3 millions en 2024, dans le cadre d’une baisse de la participation au vote. La mobilisation en défense de l’avortement et contre la menace antidémocratique de Trump n’a pas suffi. Bernie Sanders écrit : « Il n’est pas surprenant qu’un Parti démocrate qui a abandonné la classe ouvrière se retrouve abandonné par la classe ouvrière. D’abord, c’était la classe ouvrière blanche, puis maintenant ce sont les travailleurs latinos et noirs qui l’ont également abandonné. Alors que les dirigeants démocrates défendent le statu quo, le peuple américain est en colère et veut du changement. » Dans le même sens, Matt Karp écrit dans Jacobin1 : « Et surtout, Harris et les démocrates n’ont pas réussi à toucher les électeurs qui ont un avis négatif sur l’économie — pas seulement les partisans des républicains — mais les deux-tiers de l’électorat d’hier. »

  1. Magazine de gauche basé à New-York.