La période ouverte par la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron en juin dernier, si elle a été marquée par la possibilité de l’unité de la gauche autour d’un programme de rupture avec les politiques libérales menées ces dernières années, a aussi été l’occasion de débats intenses au sein des organisations syndicales sur leur rapport aux partis politiques. Dans les faits, nombre d’équipes militantes ont localement œuvré à éviter la victoire annoncée du Rassemblement national, défendant les candidatures du Nouveau Front populaire. Mais la confusion est restée de mise dans les positionnements syndicaux, d’une CGT appelant ouvertement à voter pour le NFP à des expressions plus distantes, comme celles de Solidaires. Les débats internes ont souvent convoqué l’histoire des liens entre partis politiques et syndicalisme. Or, à y regarder de près, cette histoire ne se résume pas à la déclaration d’indépendance du champ syndical issue de la charte d’Amiens, loin s’en faut (Voir « Syndicats et partis, un regard historique », p. 20).
Si observer les liens entre syndicalisme et partis politiques dans d’autres pays peut s’avérer tentant et pertinent, les conclusions restent compliquées à tirer. Les types de liens sont en effet historiquement très différents. On peut ainsi distinguer, lors de l’émergence des premières structures syndicales au tournant du XX^e^, trois modèles. Le premier, trade-unioniste, apparaît dans le monde anglo-saxon et particulièrement aux États-Unis, et cherche avant tout à entrer dans des relations de négociation directes et autonomes avec les employeurs, à l’écart de l’État et des partis, en refusant toute intervention directe dans la sphère politique. Le syndicalisme social-démocrate, qui émerge en Allemagne, repose sur un partage du travail explicite et assumé entre le domaine économique et social, qui relève du syndicat, et la transformation profonde de la société, qui relève du parti. Le troisième modèle, dit du syndicalisme révolutionnaire, conçoit l’action syndicale comme étant indissociablement économique et politique. C’est le modèle porté par la charte d’Amiens. Cette modélisation ne permet évidemment pas d’expliciter précisément les différentes dynamiques politiques et syndicales actuelles. Elle en éclaire néanmoins certains aspects.
En juillet 2024, la Confédération européenne des syndicats organisait une rencontre visant à discuter des stratégies de lutte contre l’extrême droite entre organisations syndicales européennes et argentines. Ressortent de ces échanges la nécessité de l’unité syndicale face à un pouvoir d’extrême droite, la construction d’unités locales basées sur des assemblées de travailleur·ses, l’élaboration d’alliances avec d’autres secteurs du mouvement social et l’importance de travailler à un débouché politique.
Tirer profit des expériences locales
La perspective plausible d’une dissolution rapide et la menace renforcée d’une arrivée au pouvoir de l’extrême droite obligent le syndicalisme, et particulièrement celui de transformation sociale, à poursuivre urgemment et concrètement la façon de revisiter son rapport au politique. Pour faire perdurer et renforcer la dynamique de juin dernier en faveur de l’unité à gauche sur un programme de rupture, le syndicalisme a une responsabilité particulière. En s’appuyant sur son tissu militant inégalé, il peut devenir la cheville ouvrière d’un regroupement souple, nationalement comme localement, de différentes organisations syndicales, associatives et politiques et permettre d’inventer ainsi un nouveau front syndical et populaire. Quelques initiatives se construisent en ce sens : dans le Tarn, un collectif regroupant CGT, FSU, Solidaires, LDH et les forces politiques du NFP a vu le jour cet automne et se veut le « reflet d’une volonté populaire de construire une alternative solide et ancrée localement ». Un collectif réunissant ce même arc, du syndicalisme de transformation à l’ensemble des partis de gauche, est également en train de prendre forme dans le Doubs avec une première initiative sur le budget. Dans d’autres endroits, le cadre construit en juin dernier autour des seules organisations syndicales et associatives entend bien continuer son activité, comme en Gironde où il s’inscrit dans une campagne contre le projet de budget actuel et ses conséquences concrètes pour la population, tout en développant des formations communes, notamment sur l’extrême droite.
Ce nouveau front syndical et populaire reste une perspective à la fois volontariste et totalement indispensable au vu du contexte… C’est à ouvrir des espaces communs, réfutant les écueils de la défiance ou de la subordination ou de l’inféodation que nous devons œuvrer, espaces qui assument une politisation du syndicalisme et une ouverture du champ politique au mouvement social (Voir l’interview de K.Yon p. 24). Ce dossier a pour objectif d’éclairer au mieux les rapports entre syndicalisme et politique, pour non seulement éviter que le pire advienne, mais aussi pour réinstaller comme incontournable une bifurcation égalitaire et émancipatrice à nos sociétés.
Arnaud Malaisé et Adrien Martinez