Les dernières décennies ont vu un durcissement de la justice pénale des enfants. Paradoxalement, la part de la délinquance des mineur·es se réduit de manière considérable. Le sentiment d’une jeunesse hors de contrôle relève donc d’un fantasme conservateur qui ne trouve aucun étayage concret.
Par Marc Hernandez, co-secrétaire national du SNPES-PJJ/FSU
La justice des enfants est devenue un sujet incontournable de notre société. Durant les années 1990, cette thématique a pris de l’ampleur dans le débat public jusqu’à atteindre le paroxysme d’aujourd’hui : les jeunes seraient de plus en plus incontrôlables, violent·es, inquiétant·es… et il faudrait les punir, les contraindre, les enfermer.
Ce climat d’intense et irrationnelle stigmatisation de la jeunesse est accru par une attention médiatique sensible et s’accompagne de politiques toujours plus répressives et inefficaces. Ces politiques sont inadéquates, mais remportent une part de l’assentiment populaire, ce qui en fait une doctrine électoraliste efficace.
En périphérie de l’attention générale concernant ce débat, et pourtant principale intéressée : la Protection judiciaire de la Jeunesse (PJJ) anciennement Éducation surveillée. C’est la plus petite administration du ministère de la Justice, chargée de l’éducation et de la protection des enfants, suivi·es dans un cadre judiciaire, plus particulièrement au pénal.
Recentrage sur le pénal
En même temps que la PJJ s’est éloignée des missions civiles (recentrage au pénal des missions de la PJJ, qui est la règle depuis 2007) qu’elle exerçait en soutien des départements (aide sociale à l’enfance – ASE), la politique en matière pénale a recentré ses missions en faveur de l’enfermement, notamment sous l’impulsion de la loi Perben en 2002. Elle installe les premiers centres fermés (CEF), qui se multiplient à partir de 2007, en lieu et place des foyers éducatifs ouverts, ainsi que les établissements pénitentiaires pour mineur·es. Ces derniers s’additionnent aux quartiers pour mineur·es des maisons d’arrêt (au sein des prisons pour adultes) qu’ils devaient remplacer, ce qui augmente encore les capacités d’enfermement des mineur·es.
Durant toute cette période, notre syndicat, le Syndicat national des personnels de l’éducation et du social (SNPES-PJJ/FSU), s’est opposé aux dérives répressives et coercitives de la justice des mineur·es pour défendre le primat de l’éducatif sur le répressif, valeur centrale de l’Ordonnance de 1945. Premier syndicat de la PJJ, historiquement et encore aujourd’hui, le SNPES-PJJ/FSU est multicatégoriel, il syndique l’ensemble des corps présents au sein de notre administration. Par ailleurs, créé en 1947 et membre de la Fédération de l’Éducation nationale (FEN), il est l’un des syndicats fondateurs de la FSU et s’attache particulièrement aux valeurs d’éducation qu’elle porte.
Le SNPES-PJJ à la pointe du combat
Aujourd’hui le constat est particulièrement inquiétant alors que les politiques publiques sont venues abîmer la PJJ. Ces attaques considérables ont ciblé tant le volet statutaire des métiers, que celui des missions de la PJJ. Pour le SNPES-PJJ/FSU « il s’agit de marcher sur ces deux jambes ». Le droit des personnels avance de pair et doit intégrer le service rendu au public.
Sur le plan statutaire, les politiques menées à la PJJ s’inspirent d’un nouveau management public dont nous condamnons fermement les effets délétères sur les organisations de travail et les missions.
En effet, les primes au mérite ont déjà cours à la PJJ. De plus, entre 20 à 25 % de contractuel·les composent notre administration. Cette tendance tend à diluer la notion de culture professionnelle, car ces collègues précarisé·es sont plus enclin·es à accepter des pratiques managériales inacceptables et des injonctions éloignées du sens de nos missions. Elles représentent aussi un « coupe circuit » financier rapide. C’est précisément ce qui s’est produit durant l’été 2024, lorsque plusieurs centaines de contractuel·les ont vu l’administration mettre un terme à leur contrat hors des délais légaux de prévenance, par mesure budgétaire.
Cette situation inédite, au-delà de la détresse dans laquelle ont été plongé·es les plus précaires de nos collègues, a mis en difficulté de nombreux services en pénurie de personnels, ce qui a engagé des fermetures de structures, des reports de congés…
Action victorieuse
Le SNPES-PJJ/FSU, qui alertait depuis février 2024 sur ses craintes de voir la PJJ faire de l’économie sur les postes, a été à l’initiative d’une intersyndicale (SNPES, CGT, Unsa et CFDT) afin de construire une mobilisation. Trois journées de grève ont été organisées de manière unitaire les 14, 29 août et le 19 septembre. Ce mouvement a été un succès et a permis la réembauche de 239 collègues en octobre ainsi que la programmation de 400 d’ici la fin de l’année.
Malgré tout, la débâcle de la PJJ a marqué durablement notre administration : de nombreux postes ne sont pas pourvus et les services sont en état de choc.
Du point de vue des missions de notre administration au service de la jeunesse en difficulté, la situation est plus alarmante encore. En effet, depuis septembre 2021 et la mise en place du Code de justice pénale des mineurs, le temps éducatif déjà contraint s’est encore contracté. Aussi, l’intervention auprès des enfants cède la place à un nombre de rapports et d’audiences décuplés. Le SNPES défend en outre un abaissement des normes de prise en charge de 25 à 20 jeunes par éducateur·trices pour lutter contre un délitement des missions éducatives.
Dans ce contexte, les annonces Borne/Attal/Barnier vont à rebours de nos revendications. Nourri par des événements dramatiques, le gouvernement cherche à rassasier l’extrême droite en matière de répression en reprenant son programme : attaque du principe d’atténuation de responsabilité (norme fondamentale à valeur constitutionnelle), comparutions immédiates pour les moins de 16 ans…
Dans ces débats d’une terrible violence, les dimensions de protection et d’éducation des mineur·es sont occultées. Les adolescent·es décédé·es voient leurs antécédents judiciaires exhibés pour justifier qu’iels soient vu·es comme des délinquant·es plutôt que comme des victimes. Cette instrumentalisation de la droite sert les desseins d’une justice pénale des mineur·es où la dimension protection est réduite à néant, là où, au SNPES, nous avons toujours défendu qu’un enfant qui commet un acte de délinquance est avant tout un enfant à protéger.
La situation des mineur·es étranger·es isolé·es est une autre illustration de ces politiques anti-jeunes, dans le sillage d’un racisme systémique installé dans les institutions de la République. Il s’agit d’adolescent·es qui doivent être protégé·es en vertu de la loi, alors qu’ils et elles sont dans les faits traité·es comme des étranger·es majeur·es en situation irrégulière.
Dans notre pays, un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de ses proches, l’ASE est exsangue, la PJJ peine à offrir du temps éducatif aux jeunes qu’elle accompagne et elles ne sont plus en mesure de fournir aux mineurs des placements protecteurs. Parallèlement, jamais la Ve République n’a connu une justice aussi sévère alors que 800 mineur·es (un record) ont été incarcéré·es au cours des six derniers mois…
Le retour de moyens pour des véritables missions d’éducation à la PJJ n’est plus une option, mais une urgence absolue que le SNPES-PJJ/FSU soutient au travers du « plan d’urgence à la PJJ » depuis 2023.