Entretien avec Pablo Kranoplosky, cofondateur du RESF – 20 ans d’actions pour les sans-papiers

Il y a vingt ans était constitué le Réseau éducation sans frontières pour assurer le droit à l’éducation pour tou·tes les enfants. Pablo Kranopolsky, cofondateur du RESF, répond aux questions de l’École émancipée.

Le réseau a été créé en 2004, peux-tu nous rappeler ce qui en a été à l’origine ?

Le réseau est né de collectifs locaux préexistants. Dans l’académie de Créteil, j’animais depuis 1994, avec Jean-Michel Delarbre, un collectif de défense des enseignant·es et lycéen·nes étranger.es. Jean-Michel y représentait le Sgen-CFDT et moi la Ferc-CGT. Ce collectif unitaire, incluant la FCPE et les associations antiracistes, s’est d’abord créé pour défendre les maîtres-auxiliaires étranger.es, souvent d’ancien.nes étudiant.es, dont le réemploi était empêché par une circulaire interministérielle inspirée par le ministre de l’Intérieur Pasqua. Puis nous avons été sollicités pour des élèves et des étudiant.es menacé·es d’expulsion.

Au lycée Jean-Jaurès de Châtenay-Malabry (92), un collectif d’enseignant.es, animé par Richard Moyon et Armelle Gardien, mène une action similaire depuis 1996, pour la régularisation des élèves. Les mêmes combats sont menés dans d’autres villes : Nantes, Beauvais…

Lorsque Sarkozy devient ministre de l’Intérieur en 2003 et affiche sa xénophobie décomplexée, ces collectifs éprouvent le besoin de se rassembler et de mettre sur la place publique le scandale de la maltraitance des sans-papiers scolarisé.es. Le 26 juin 2004, à la Bourse du travail de Paris, naît le Réseau éducation sans frontières (RESF) sur la base d’un appel fondateur1 qui dit notamment : « Il est du devoir des enseignants, des personnels des établissements scolaires, des élèves eux-mêmes et de leurs parents mais aussi des associations (parents d’élèves, défense des droits de l’homme, antiracistes) et des organisations syndicales et autres d’agir pour tirer ces jeunes de la situation qui pourrit leur vie. »

Quelles sont les composantes du RESF ?

Le réseau n’est pas un cartel d’organisations, mais il a vite rassemblé des syndicats et associations, notamment dans le monde de l’éducation, à commencer par celles qui étaient déjà parties prenantes des collectifs préexistants : Ferc-CGT, FSU, SGEN-CFDT, SUD-Éducation, et surtout la FCPE, qui assurait un maillage national dans les écoles et établissements. Ajoutons la Ligue des droits de l’homme (LDH), le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), le Groupe d’information et de soutien des immigré.es (Gisti), la Fédération des associations de solidarité avec toute·s les immigré.es (Fasti)… Au total, plus de 120 organisations ont signé l’appel fondateur. Mais les collectifs locaux regroupent, au-delà des syndicats et associations, de simples citoyen·nes vite devenu.es des militant·es actif·ves du réseau.

Au début, il s’occupait principalement des élèves, à partir de quand s’est-il déployé dans les facs ? Est-il toujours lié à l’éducation ?

Le fait que l’angle d’attaque soit le sort des élèves et parents d’élèves, ne signifie pas que le réseau se désintéresse des autres populations persécutées par les lois xénophobes. Dès 2006, s’est créé le Réseau universités sans frontières. Il n’a pas connu un développement aussi fulgurant que le RESF des débuts, mais il s’étend. Cette année 2024, une permanence RUSF s’ouvre par exemple à l’Upec (Paris-est-Créteil). Un guide unitaire, intitulé Accompagner les étudiantes et les étudiants étrangers avec ou sans papiers2, vient d’être élaboré notamment par les syndicats étudiants ou enseignants du supérieur, le Gisti et la LDH… Le RESF s’est aussi investi dans des collectifs unitaires pour les enfants roms ou les familles à la rue. Le droit à l’éducation doit être garanti et effectif pour tous. Enfin, les militant·es du réseau s’engagent aussi auprès des travailleur.ses sans-papiers en lutte, appuyés par les syndicats de salarié.es.

Quelles sont les actions qui sont mises en œuvre pour aider les sans-papiers ?

La première demande des familles ou des jeunes qui nous contactent est de les aider à déposer un dossier de demande d’admission exceptionnelle au séjour. La situation s’est tellement dégradée avec la « dématérialisation » des demandes dans les préfectures, que le simple fait d’obtenir un rendez-vous est vécu comme une victoire. Nous sommes même contraint·es d’agir pour le renouvellement des titres de séjour, car la « dématérialisation » réussit à transformer des immigré·es régulier·es en sans-papiers. Le RESF est actif dans le collectif Bouge ta pref où l’on trouve également le Secours catholique, la Cimade… Lorsque tombent les obligations à quitter le territoire (OQTF), la priorité est de mobiliser les communautés scolaires : pétitions, rassemblements devant l’établissement ou devant la préfecture… Seules les mobilisations permettent de faire abroger les OQTF. Il est même des cas où nous avons imposé le retour en France d’élèves expulsé.es.

4Depuis 20 ans, les lois sur l’immigration n’ont cessé de se durcir, quelles conséquences pour les sans-papiers et le RESF ?

Le durcissement des lois n’a pas pour effet de diminuer le nombre de sans-papiers, c’est tout le contraire : des personnes qui auparavant auraient été régularisées sont rejetées dans la clandestinité. Le but recherché cyniquement affirmé par Darmanin : « leur pourrir la vie », c’est-à-dire en fait de les obliger à raser les murs pour que leur vulnérabilité garantisse leur surexploitation.

Au niveau des élèves, les contrôles au faciès débouchent sur de nombreuses OQTF « sans délai », c’est-à-dire sans possibilité de recours au tribunal après 48 heures, et assorties d’interdictions de retour en France d’un, deux ou trois ans. Dans ces conditions, les jeunes voient s’effondrer leurs projets d’études et leur avenir.

Quelles sont les conséquences de la montée du RN et de la diffusion de ses idées dans la société ?

Si le durcissement des lois n’a pas diminué le nombre de sans-papiers, il a en revanche banalisé, voire légitimé, les discours racistes. L’aboutissement en a été la collusion de la macronie, de la droite LR et du RN pour faire adopter la loi Darmanin, quitte à mettre au goût du jour les discours sur la « préférence nationale ». Les lois xénophobes ont fait sauter les digues et le RN est le seul à en profiter.

Après 20 ans, y a t-il toujours la même volonté des membres du réseau de s’investir ? De quoi le RESF a-t-il besoin aujourd’hui ?

La volonté de s’investir, oui. Mais les membres du réseau, qui étaient en activité et dans la force de l’âge au moment de sa fondation, ne peuvent continuer à agir seul·es. Le danger est grand d’un enfouissement dans le traitement des dossiers et d’un repli local, chaque collectif face à sa préfecture. Notre rôle, c’est la mobilisation des esprits au niveau national, à commencer par les communautés scolaires. L’espoir est du côté des mobilisations de la jeunesse : elles doivent nécessairement lier le droit au séjour et la lutte contre la montée du fascisme.

Propos recueillisparDominique Angelini

1.https://reseau-resf.fr/Texte-fondateur-du-RESF-appel-a-la-regularisation-des-sans-papiers 2. 2.https://www.gisti.org/spip.php?article7119.