Chronopost – des travailleurs sans papiers en lutte pour leurs droits ! Questions à Aboubacar Dembele

* Aboubacar Dembele est délégué des grévistes de Chronopost à Alfortville (94).

L’entretien complet est disponible en podcast sur le site de l’EE, onglet écoutes émancipées.

Quel est ton parcours et comment êtes-vous entrés en lutte ?

Je suis né au Mali, j’ai traversé la Méditerranée en 2018, à la recherche de la liberté et d’un travail digne. Comme des milliers d’autres migrant·es, je suis contraint de travailler sous alias, en enchaînant des contrats courts qui empêchent toute régularisation.

J’ai été embauché par Derichebourg Intérim, sous-traitant de la Poste. À deux heures du matin à l’ouverture, pas de vérification d’identité, seuls les équipements de sécurité sont requis ! On reconnaît facilement les camarades sans papiers : soumis aux hurlements des chefs, ils chargent et déchargent des colis à une cadence infernale de 2 heures à 7 h 30 pour 600 euros par mois. Malgré une lutte victorieuse en 2019 avec Sud PTT-Solidaires, et la régularisation de l’ensemble des grévistes, le patron voyou a continué à exploiter d’autres sans-papiers avec ces contrats hebdomadaires.

Dès la fin du couvre-feu, en décembre 2021, nous avons installé le piquet de grève. Chronopost a dû déplacer son entrée et le contrat de sous-traitance de 8 millions avec Derichebourg a été résilié. En décembre 2023, la Poste a été condamnée par le tribunal de grande instance de Paris à 7 000 euros d’amende pour non-respect du devoir de vigilance sur les conditions de travail et les contrats. Mais elle continue à prétendre ne pas être notre employeur. 28 mois après, nous restons sur le piquet de grève.

Quelles sont vos revendications ?

Chronopost pratique, au cœur de son métier, la sous-traitance en cascade. C’est un prêt illicite de main-d’œuvre et c’est illégal.

Nous exigeons que La Poste contraigne Derichebourg à communiquer les noms des travailleurs recensés par les inspecteurs du travail de la Direction régionale interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Drieets) et à fournir le Cerfa et le certificat de concordance qui nous sont dus. Nous exigeons aussi l’ouverture des guichets à la préfecture du Val-de-Marne. L’État porte la responsabilité du blocage qui permet aux patrons d’exploiter et de maintenir des travailleurs en situation irrégulière. En mai 2023, 18 dossiers de demande de régularisation ont été déposés ; seuls 4 ont été régularisés, 9 sont encore en cours d’instruction. Notre revendication, c’est la régularisation de toutes et tous avec une seule preuve de travail , contre le tri des dossiers, et les décisions arbitraires.

Tu parles « d’esclavage moderne », pourquoi ?

Ils disent « on ne peut pas accueillir la misère du monde » ; on leur répond « arrêtez de fabriquer la misère partout où vous passez », comme Bolloré qui spolie les peuples en Afrique. Ou la France qui fabrique une main-d’œuvre obligée de travailler dans l’ombre dans des conditions indignes pour des salaires de misère dans les chantiers des JO, les entrepôts de Chronopost ou le ménage des bureaux. C’est cela l’esclavage moderne : des patrons voyous qui utilisent des lois xénophobes.

Comment vous organisez-vous ? Avec quelles perspectives ?

Nous avons créé des liens avec des syndicats (Solidaires, CGT ministère du Travail et FSU), des élu·es, des associations (LDH, RESF) et des partis (LFI, LO, PCF et NPA) dans la lutte contre l’immigration jetable, puis contre la loi asile et immigration et contre le racisme et l’extrême droite.

Nous étions dans la bataille contre la réforme des retraites, parce que nous, sans-papiers, nous travaillons et cotisons sans bénéficier de la solidarité. À chaque contrat, on repart à zéro : colis, marteau-piqueur, ménage… Hors de question de travailler jusqu’à 64 ans !

L’État casse les luttes : il impose ses réformes et considère que les gens finiront par baisser les bras. De l’argent, il y en a, et on en a marre de travailler pour survivre et créer des milliards de bénéfices pour une poignée de patrons. La perspective concrète, c’est lutter pour l’égalité des droits : des papiers, du travail, un logement et une retraite digne pour toutes et tous.

Nous continuons à nous mobiliser pour obtenir satisfaction. Et nous avons besoin du soutien des militant.es du Val-de-Marne et de toute la région parisienne.

Propos recueillis par Magalie Trarieux