Militant·es depuis de nombreuses années en Seine-Saint-Denis, nous avons entendu parler de la victoire historique de 1998 après un mouvement d’ampleur alliant parents, personnels et élèves.La mobilisation séquano-dionysienne née fin 2023 s’inspire de ce mouvement avec la perspective des Jeux Olympiques et Paralympiques qui auront une place importante dans le département. Elle affirme cet héritage militant comme source d’énergie et signe de détermination vers une lutte soutenue et victorieuse.
Un temps de préparation comportant plusieurs étapes a permis aux collègues, à la base, de s’approprier leur propre lutte et de construire la plateforme revendicative. L’intersyndicale (FSU, CGT, Sud, CNT) invite dès le 11 novembre les personnels à lister les besoins et coproduire les cahiers de doléances départementales. L’idée est que les chiffres avancés par l’intersyndicale soient ceux de celleux qui bossent et doivent décider de leurs conditions de travail. La publication des résultats de l’enquête a lieu le 21 décembre en présence de Sophie Binet (CGT), Benoît Teste (FSU) et Simon Duteil (Solidaires). La moitié des écoles et établissements a participé à cette consultation et exige : 5 200 postes d’enseignant·es, 2 200 postes d’accompagnant·es des élèves en situation de handicap (AESH), 650 postes d’assistant·es d’éducation (AED), 320 postes pour l’accompagnement personnalisé, 175 postes de conseiller·es principaux·ales d’éducation (CPE) et des classes à 20 élèves maximum. Les besoins sont chiffrés à 358 millions d’euros. La détermination du mouvement et de l’intersyndicale s’observe dans la construction d’outils communs et d’une communication unitaire : mails à l’ensemble de la profession, kits d’aide à la mobilisation, tableurs partagés d’informations, mise en place d’une caisse de grève… avec l’objectif de la lutte commune.
Allez, en grève !
Le début de la reconduction tâtonne, confronté à l’articulation avec les dates nationales du 31 janvier et du 1er février, bien suivies dans le département mais sans aboutir à un début de grève reconductible. Ces dates isolées (« faux départs ») permettent néanmoins l’organisation des AG de ville et des tournées d’établissements ou d’écoles.
Le 93 organise donc son propre calendrier. Pour gagner, on décide avant les congés d’hiver que la Seine-Saint-Denis ne fera pas sa rentrée le 26 février et les AG locales sont invitées à voter la reconduction le reste de la semaine. Pour occuper le temps long de la mobilisation, les actions de visibilisation se multiplient. Ainsi le 26 février, suite aux propos scandaleux de l’éphémère ministre Amélie Oudéa-Castera et de l’actualité autour de l’enseignement privé, un rassemblement a lieu devant le lycée Stanislas à Paris. Puis, c’est le vernissage de l’exposition photo devant le Conseil régional d’Île-de-France qui montre l’état du bâti scolaire et attire la presse. Le 4 avril un happening, suivi d’une manif, évite un cordon de sécurité lors de l’inauguration de la piscine paralympique à Saint-Denis en présence d’E. Macron pour dénoncer son coût, 174 millions d’euros, la moitié du plan d’urgence ! Le secrétaire de l’UD CGT 93 est arrêté et placé en garde à vue à l’issue de l’action.
L’intersyndicale cherche à faire la synthèse des propositions des villes tout en étant source de propositions d’actions et en soutenant les initiatives locales. Les manifestations convergentes du 14 mars puis du 30 mars en sont un bon exemple. L’intersyndicale propose un point d’arrivée et invite les personnels à s’organiser et à établir un maillage de parcours de manifestation convergeant vers la Direction des services départementaux de l’Éducation nationale (DSDEN). L’expérience est renouvelée le 30 mars avec la FCPE 93. Plusieurs points de convergence sont établis afin de rassembler toutes les forces de la communauté éducative : le Stade de France pour l’ouest du département, Montreuil pour le sud-est et le centre commercial Rosny2 pour le nord et le centre du département.
« Choc des savoirs » contre choc des moyens
La mobilisation part des collèges avec comme catalyseur les groupes de niveaux, une des mesures du Choc des savoirs annoncées par G. Attal. Ces annonces destructrices pour l’école publique ravivent la colère et la détermination des personnels mobilisés. À cela s’ajoutent la réforme des lycées professionnels, les annonces sur la prépa lycée, les dotations horaires globales (DHG) et la carte scolaire (ouvertures et fermetures de classes dans le 1er degré). Les personnels condamnent un modèle scolaire et social qui trie et veut priver nos élèves du 93 du droit fondamental à l’éducation de l’école au lycée. Les personnels mobilisés ont pour réponse à la difficulté scolaire le plan d’urgence, par un abondement des moyens et une amélioration des conditions de travail et d’apprentissage. C’est l’idée de retrouver la dignité pour notre département qui est mise en avant.
Des élu·es et parents se sont mobilisé·es ; l’investissement de la FCPE 93 a permis la construction d’actions avec et par les parents : réunions d’information, banderoles devant les écoles, occupations des bureaux de direction d’école, manifestations locales, nuits des écoles, écoles, collèges ou lycées déserts. Le 24 mars, la FCPE 93 a rassemblé la communauté éducative sur le parvis de la préfecture de Bobigny. Elle a produit et diffusé des cartes postales à destination de l’Élysée.
Les lycéen·nes et – plus rarement – les collégien·nes se sont mobilisé·es. Celleux de B. Cendrars à Sevran se sont montré·es très créatif·ves dans leurs outils de communication et investi·es dans leur participation aux AG, actions de visibilisation, blocus et tournées d’établissements.
La seule réponse a été la répression : le 15 mars, profs et élèves de B. Cendrars sont convoqué·es pour avoir dénoncé la vétusté de leur lycée sur TikTok. Le 26 mars, 15 élèves du lycée J. Jaurès (Montreuil) sont exclu·es cinq jours pour avoir participé à la mobilisation. Un parent du même établissement est déféré devant le tribunal et sera en procès le 13 septembre.
Les maires de 12 villes mettent en demeure l’État d’initier un plan d’urgence pour le département. Le préfet fait casser l’arrêté des maires par le tribunal administratif.
On peut gagner !
L’intersyndicale éducation 93 a été reçue à cinq reprises. Fait exceptionnel, elle a été reçue à Matignon mi-avril. Cette audience laissait présager des annonces concrètes du ministère de l’Éducation. Mais lors de l’audience suivante, la ministre N. Belloubet n’a pris aucun engagement en termes de moyens. Elle « aurait besoin d’un mois supplémentaire pour affiner des annonces. »
Comme décidé en AG : « toujours pas de moyens, toujours pas de rentrée » le 22 avril, le gouvernement était prévenu. Cette grève de rentrée a été suivie par 30 % des enseignant·es, avec une meilleure participation du primaire, mais une nette baisse dans les collèges. L’AG a proposé un plan d’action avec des dates de mobilisation, en semaine, ou le week-end avec les parents pour maintenir le rapport de force d’ici la prochaine date nationale.
Par Mina El Azzouzi et Agnès Guichard
L’intersyndicale a décidé d’appeler à la grève et à un rassemblement au ministère le 28 mai, jour où elle est reçue par la ministre.