Murielle Guilbert et Julie Ferrua,co-déléguées de Solidaires à l’issue du congrès national de Toulouse qui s’est tenu du 22 au 25 avril dernier.
Dans une période de démantèlement des conquis sociaux et d’attaques contre les libertés, quelles campagnes syndicales centrales allez-vous mener au sortir de votre congrès ?
Nous allons engager une campagne sur les salaires et l’égalité. Avec des revendications chiffrées, un Smic porté à 2 000 euros nets au vu du poids de l’inflation et un plafonnement des écarts de revenus de 1 à 4. Avec également l’objectif de ne laisser personne sur le côté, en augmentant le RSA comme l’allocation adulte handicapée versée dès 18 ans et en revalorisant fortement les métiers féminisés.
Pour s’emparer de cette urgence avec l’ensemble des organisations syndicales, nous allons également œuvrer à construire une campagne unitaire contre les idées d’extrême droite, une campagne parlant à l’ensemble du monde du travail, au-delà des syndiqué·es et du milieu militant.
Comment mener campagne pour gagner?
Suite au bilan du mouvement retraites de 2023, nous poursuivons notre réflexion, interne dans un premier temps, sur la grève. Ce mouvement a manqué d’un rapport de force plus élevé avec des grèves vraiment reconductibles qui auraient pu bloquer l’économie et ainsi faire céder ce gouvernement qui a quand même tenu, contre des manifestations rassemblant des millions de personnes dans la rue.
La syndicalisation est également un élément important. Comment avoir plus de syndicats de terrain et de lutte pour créer les conditions d’un mouvement social gagnant ? Il faut donc plus de syndicalisme, ce qui passe pour nous par un développement au sein de Solidaires. C’est clairement notre priorité des trois prochaines années.
Comment articuler la nécessité de l’unité syndicale avec la place particulière du syndicalisme de transformation sociale, avec notamment Solidaires, CGT et FSU, et son travail en commun plus spécifique ?
L’intersyndicale large continue, les « numéros 1 » se rencontrent toujours et des choses se font, parfois à géométrie variable comme sur l’assurance chômage avec les seules organisations représentatives dans le privé, ou sur l’extrême droite avec l’initiative de la Confédération européenne des syndicats, mais ce n’est pas gênant du moment qu’existe une expression sur l’extrême droite plus large, comme la journée de mobilisation à Béziers avec CGT, CFDT, Unsa, FSU et Solidaires. Cette pérennité de l’intersyndicale à huit est un message important pour le monde du travail.
En parallèle, le travail engagé depuis des années avec la CGT et la FSU perdure, comme les journées intersyndicales femmes, et s’enrichit avec les toutes récentes assises de la santé et de la sécurité des travailleurs et travailleuses.
Il y a une continuité dans ce rapport particulier entre les trois organisations de transformation sociale qui constituent un bloc, peut-être moins visible en ce moment, mais toujours aussi vivant. C’est plutôt très positif.
Un bloc combatif sur lequel on peut s’appuyer pour mener grèves et luttes articulées avec le socle de l’intersyndicale large.
Durant votre congrès, quels ont été les débats sur la structuration actuelle du syndicalisme de transformation sociale et ses possibles évolutions et recompositions ?
Nous avions amorcé le débat durant le congrès précédent avec une phrase engageant des réflexions sur une recomposition syndicale à la base. Une phrase relevée par des journalistes et d’autres organisations syndicales.
Le congrès de la FSU à Metz a été ensuite un moment fort avec notamment Philippe Martinez qui a posé pour la CGT la nécessité d’accélérer sur cette question de la recomposition syndicale, tandis que de notre côté nous avons pointé toutes nos convergences, très nombreuses, notamment sur les revendications. Le précédent mouvement retraites en 2019 en avait également montré l’importance. À côté de cela, nos organisations ont des différences de fonctionnement et de pratiques internes.
Il s’agissait donc de réfléchir encore sur la recomposition, d’en appréhender l’utilité et les modalités pratiques éventuelles. Ce débat, qui se menait plutôt au sommet qu’à la base des organisations, s’est heurté à la perplexité, voire à l’opposition, de secteurs professionnels au sein de Solidaires, notamment là où les relations intersyndicales peuvent être compliquées.
Pour éviter des oppositions internes clivantes, notre congrès a décidé d’élargir le sujet, de repartir sur l’évolution du syndicalisme et de se questionner sur l’outil qui serait le plus utile pour les travailleurs et travailleuses à travers un débat interne approfondi. Il s’est également montré très clair sur le refus de toute démarche de « fusion-absorption », une approche à l’opposé d’une véritable recomposition syndicale.
De leur côté, la CGT et la FSU avancent de manière très concrète. Si la réflexion en interne à Solidaires est peut-être plus lente, c’est en partie dû aussi au dernier congrès de la CGT ciblant clairement la FSU et pas Solidaires pour mener ce débat sur la recomposition syndicale.
Reste que l’intervention de Benoît Teste à notre congrès a été vraiment appréciée avec l’affirmation par la FSU d’une non-fermeture du travail engagé avec la CGT vis-à-vis de Solidaires. Une affirmation que nous prendrons évidemment en compte dans notre réflexion interne.
Quelles perspectives et échéances de « recomposition syndicale », même si le terme est absent de vos textes, apparaissent de l’ordre du possible pour Solidaires ? Quel poids du contexte avec un rapport de force défavorable au salariat et la possible arrivée à court terme de l’extrême droite au pouvoir ?
Le poids du contexte avec l’extrême droite va forcément influer, c’était d’ailleurs le point de départ de notre réflexion sur le sujet au congrès précédent. Néanmoins, nous avons besoin de mener, assez vite, de véritables débats internes sur ce sujet. Notre congrès n’est vraiment pas un « enterrement » de cette question, c’est une manière de reposer le débat pour dégager un consensus. Cette question est difficile dans des secteurs professionnels où existent des oppositions frontales avec la CGT, dans le rail mais aussi ailleurs comme l’énergie, avec des difficultés de travail en commun au quotidien, comme dans les mobilisations.
Enfin, la question des pratiques syndicales et du fonctionnement interne se pose entre le consensus en vigueur à Solidaires, la synthèse à la FSU et les nombreux votes d’instances à la CGT. Par notre histoire et des similitudes entre la synthèse et le consensus, deux démarches identiques qui exigent de trouver du commun, la FSU est proche de Solidaires sur cette question.
Propos recueillis par Arnaud Malaisé