EDUCATION
- pp. 4-6 du numéro 103 de la revue de l’Ecole Emancipée, par Marie Haye et Adrien Martinez –
Depuis avril avec les « 100 jours d’apaisement » jusqu’à fin août dans la presse, en passant par les annonces fin juin à Marseille, ville dont il avait fait l’année passée le laboratoire d’une libéralisation exacerbée de la question scolaire, ou fin juillet en triplex de Nouméa, Macron se livre à un activisme médiatique dans lequel l’école tient une place centrale. Prenant la main sur le sujet, il apparaît comme son propre ministre de l’Éducation nationale, reléguant Ndiaye puis Attal à un rôle d’exécutant de la politique éducative présidentielle, toujours plus libérale, autoritaire et qui tourne définitivement le dos à la démocratisation scolaire.
Le 24 juillet dernier, depuis Nouméa, Macron disait sa volonté que la formation des enseignant·es ait lieu « en dehors du temps devant les élèves ». Cela recouvre une disposition déjà contenue dans l’article 50 de la loi Blanquer rendant cette formation obligatoire, ainsi que dans le décret 2019-935 du 6 septembre 2019 créant une allocation pour les enseignant·es la suivant pendant les vacances. Cette annonce fait écho au rapport du sénateur Longuet (LR), paru quelques jours plus tôt, préconisant la prise en compte dans la carrière du suivi de cette formation obligatoire.
Nouveau ministre, même politique
Nul doute que ces propositions en forme de casse du statut séduiront l’ultralibéral Attal, rapporteur de la loi relative à l’orientation des étudiants (ORE) en 2017, puis chargé de la mise en place du service national universel (SNU) en 2018. Gestion des personnels, obsessions pour les « fondamentaux » et l’autorité confinant à l’autoritarisme, ségrégation des contenus scolaires… Les signes sont nombreux d’une continuité avec la politique éducative de ces dernières années qui a vu l’exacerbation des inégalités et de la violence vis-à-vis des personnels.
Ainsi sur le bac, ne pouvant plus nier les problèmes posés par les épreuves de spécialités en mars, Macron, tout en légitimant le contrôle continu et Parcoursup, a été obligé à Marseille de concéder des « aménagements ». Contre toute attente (celle du report des épreuves de spécialités), le nouveau ministre planche… sur le grand oral : pour motiver, selon lui, les élèves à venir en classe jusqu’à la fin, l’idée est que le grand oral donne des crédits ECTS nécessaires à l’obtention des diplômes de l’enseignement supérieur.
Dans l’une de ses premières déclarations, Attal s’est prononcé en faveur d’une « expérimentation » du port de l’uniforme à l’école, se fixant comme objectif de « remettre le respect de l’autorité et les savoirs fondamentaux au cœur de l’école ». Sur ce chapitre, la refonte des programmes d’histoire-géographie annoncée par Macron le 23 août est éclairante : faisant abstraction de la réalité de l’enseignement de ces disciplines, elle sert à légitimer les discours déclinistes chers à la droite et l’extrême droite, tout en faisant oublier le vrai problème, celui des inégalités, que la politique macroniste ne fait qu’aggraver.
Haro sur les pauvres !
À Marseille, Macron a annoncé quatre mesures phares pour les quartiers prioritaires : la scolarisation des enfants de moins de trois ans, la baisse des effectifs en moyenne section de maternelle, les collèges ouverts de 8h à 18h à l’horizon 2027, ainsi que la création d’une cité éducative dans chaque quartier prioritaire de Marseille à la rentrée 2024.
La première prête à sourire, tant il y a eu acharnement ces 20 dernières années contre la scolarisation des tout.es-petit.es. Cette disposition, qui existe déjà, est le plus souvent rendue impossible à appliquer du fait des effectifs très lourds, liés au manque de moyens. De 28,2 % de moins de trois ans scolarisé.es en 2000, on est passé à 9,4 % en 2016. Depuis l’arrivée de Macron à la présidence, ce taux a encore chuté à moins de 7,5 %. Les moyens nécessaires ne sont d’ailleurs jamais évoqués. Et pour cause : la carte de l’éducation prioritaire sera revue pour la rentrée 2025, en même temps que celle des quartiers prioritaires de la politique de la ville, laissant craindre une réduction de ces derniers.
La promesse d’une Cité éducative dans chaque quartier prioritaire de Marseille pour la rentrée 2024 signe le mépris social de la macronie : mobilité sociale pour une petite partie des enfants des milieux populaires, les plus « méritant·es », et, pour la grande majorité, la soumission au patronat. À Marseille, Macron a ainsi rappelé l’un des volets de sa réforme du collège : la mise en place d’une demi-journée de découverte des métiers toutes les deux semaines dès la classe de cinquième, donc au détriment des enseignements, financée par le Pacte. Cette disposition concerne théoriquement toutes et tous les élèves, mais ce sont les enfants des milieux populaires qui sont les premiers visé.es, comme l’expliquait Macron : « pourquoi les enfants des quartiers difficiles ont des problèmes d’orientation ? Parce que les parents ont souvent des problèmes économiques eux-mêmes, qu’ils n’ont pas de réseau, donc pas de bon conseil. »
Le retour des « orphelins de 16 heures » de Sarkozy
Quant à l’ouverture des collèges de 8h à 18h, c’est déjà une quasi-réalité depuis la mise en place en 2008 de l’accompagnement éducatif, devenu aide aux devoirs puis devoirs faits. L’efficacité de ces dispositifs est douteuse : les enquêtes nationales et internationales montrent au contraire que les inégalités scolaires continuent de se creuser. Selon Macron pourtant, « l’inégalité scolaire se crée dans les temps où l’enfant a été renvoyé chez lui. » L’école n’aurait pas de responsabilité dans les inégalités : les familles inégalement dotées en seraient à l’origine. Il suffirait donc de limiter le temps passé en famille dans les quartiers populaires pour les réduire. CQFD !
Partant donc de ce préjugé classiste et d’une idée reçue selon laquelle les congés scolaires seraient trop longs, en particulier l’été (alors que la France est dans la moyenne des pays européens), Macron a annoncé à Marseille son intention de les réduire, et, le 23 août, d’avancer la rentrée pour « les élèves qu’on aura évalués et qui en ont besoin ». Il reprend ici une vieille lune de la droite, feignant d’oublier que les journées et les vacances raccourcies comme la garderie à l’école pendant ces temps sans école creusent les inégalités : pendant que les enfants des milieux populaires sont « gardé.es », les autres se reposent, font des activités culturelles, sportives, partent en vacances…
Tout en prétendant faire quelque chose pour les élèves des milieux populaires, la politique éducative macroniste réactive les discours stigmatisants qui font peser sur les individus la responsabilité des inégalités qu’ils subissent. C’est que Macron veut pouvoir gouverner une startup nation. Pour cela, il entend faire travailler davantage les enseignant·es, les transformer en auxiliaires du patronat, et modifier l’objectif de l’école : il ne doit plus s’agir de former avec ambition la grande masse des élèves accueilli·es à l’école publique pour en faire des citoyen·nes émancipé·es, mais de viser leur insertion sur le marché du travail.
Déscolariser l’école
Si l’objectif était l’égalité, il faudrait commencer par revenir sur les deux décennies de politique de baisse des moyens, qui ont aussi conduit à diminuer le temps d’enseignement. Il faudrait aussi faire en sorte que toutes et tous les élèves reçoivent effectivement des enseignements jusqu’à la fin de l’année scolaire, ce qui suppose des moyens de remplacement et de revoir le calendrier des examens et de l’orientation. Plutôt que la durée des vacances, il faudrait penser la qualité de ce temps, ce qui suppose des parents disposant de suffisamment de moyens et de temps (il faudrait donc augmenter les salaires et diminuer le temps de travail), le renforcement des moyens alloués aux pouvoirs publics et aux associations proposant séjours et activités pendant les congés scolaires, pour en faire de vrais temps de respiration en même temps que des périodes de réinvestissement des apprentissages, nécessaires au développement des enfants.
Le lendemain des annonces de Macron à Marseille, Nahel Merzouk, 17 ans, était assassiné par deux policiers. Sa mort a déclenché des révoltes urbaines, aussitôt réprimées, qui n’ont modifié en rien le cap libéral que Macron s’est fixé. Le capitalisme a besoin des inégalités pour prospérer : il ne s’agit donc pas pour la macronie de lutter contre, mais de les entériner en habillant ce renoncement à la démocratisation de paternalisme néocolonial et de discours de retour à l’ordre face au prétendu ensauvagement de la jeunesse des quartiers populaires. Les déclarations de Macron à Bormes-les-Mimosas le 17 août en forme de sermon à la jeunesse le confirment. ■