Destins scolaires et inégalités

DOSSIER

  • pp. 14-16 du dossier du numéro 103 de la revue de l’Ecole Emancipée / Par Mary David

Les politiques en faveur de l’égalité entre les jeunes à l’école se sont développées après la Seconde Guerre mondiale et ont accéléré la démocratisation scolaire. Les inégalités n’ont néanmoins pas disparu et elles se sont même renforcées depuis les années 1980. La politique éducative des deux dernières décennies accroît la ségrégation scolaire et les inégalités, en défaveur des élèves issu·es de classes populaires.

L’institutionnalisation de l’école sous la Troisième République n’a pas pour objectif de démocratiser l’accès aux savoirs ni de favoriser l’égalité entre les classes sociales. Il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que les principes égalitaires soient inscrits dans la loi fondamentale de l’État français et déclinés dans les politiques scolaires. Les réformes des décennies 1950 à 1970 visent à faire advenir une école plus démocratique et ainsi décrocher les parcours sociaux des individus des destins sociaux liés à leur naissance.

Le recul historique permet de vérifier que la massification et les réformes scolaires d’après-guerre ont en effet accompagné l’accélération des mobilités sociales jusque dans les années 1980. Les jeunes né·es entre 1945 et 1960 ont connu une forte mobilité, souvent ascendante. Paradoxalement, c’est au moment où l’école s’ouvre et se veut égalitaire que les enquêtes démographiques et sociologiques dévoilent son rôle dans la reproduction sociale. Il ne suffit pas de mettre tous les enfants à l’école pour que les inégalités scolaires et sociales disparaissent. Ces résultats se confirment dans les années 1970 et 1980, tandis que le système scolaire s’unifie : les jeunes qui étaient exclu·es du système éducatif auparavant deviennent « exclu·es de l’intérieur ».

Où en est-on aujourd’hui ? La grande masse des jeunes est scolarisée. La démocratisation, sous son aspect quantitatif (la massification), est largement réalisée. Mais elle est devenue ségrégative.

âge14 ans16 ans18 ans20 ans
Taux de scolarisation
99,4 %

96,1 %

79,5 %

56,6 %
Taux de scolarisation en 2020-2021
(Repères et références statistiques, 2 022)

La recherche d’égalité, qui a connu une accélération dans les années 1980 avec la création de l’éducation prioritaire, est désormais mise en cause. Dès son arrivée au ministère de l’Éducation nationale, Blanquer critique l’« égalitarisme ». Sa politique va en effet être sous-tendue par une idéologie inégalitaire et d’exclusion. Elle s’inscrit dans une tendance longue de promotion du rôle utilitaire de l’école : de plus en plus, on attend que celle-ci soit au service de l’économie, développe des « compétences » chez les élèves et professionnalise ses contenus et ses diplômes.

Des parcours socialement différenciés

Le résultat en est que les parcours scolaires, qui n’ont jamais été égaux, deviennent de plus en plus socialement différenciés. Les jeunes qui en font les frais sont les enfants des classes populaires, en particulier les descendant·es d’immigré.es, les habitant·es des quartiers de relégation et les filles. Si les filles ont désormais des scolarités plus longues en moyenne que les garçons, et obtiennent des diplômes plus élevés, les filières d’études restent très sexuées et celles où se concentrent les filles sont moins valorisées socialement et dans l’emploi. C’est le cas dans les études supérieures comme pour les filières de lycée professionnel. Mais les inégalités liées au sexe sont plus faibles que celles liées à l’origine sociale (les deux pouvant se cumuler). Les enfants d’ouvrier·es ont quatre fois plus de chances d’être en retard à l’entrée en sixième que les enfants de cadres, or ce retard est fortement prédictif de la suite du parcours scolaire. Les enfants d’ouvrier·es, d’inactif·ves et, dans une moindre mesure, d’employé·es sont surreprésenté·es au lycée professionnel et sous représenté·es au lycée général et technologique, à l’inverse des enfants de cadres et de professions intermédiaires.

Les enfants immigré·es ou descendant.es d’immigré·es continuent d’avoir des parcours scolaires moins favorables que les autres. Mais cela s’explique pour une part importante par l’origine sociale de ces enfants, plus souvent populaire. Si l’on compare les enfants d’immigré·es aux autres enfants du même milieu social, la réussite scolaire est semblable, voire supérieure. Cela s’explique par le fort investissement scolaire de certaines catégories d’élèves (dont les filles, plus souvent cantonnées au domicile) et des parents. Cela ne doit néanmoins pas occulter les inégalités spécifiques subies par certain·es de ces jeunes, dont celles dues aux discriminations.

La force inégalitaire du système éducatif français tient à deux raisons principales : la structuration de ses parcours et les enseignements qui y sont menés. À rebours du mouvement séculaire d’unification, les ministres successifs multiplient les dispositifs et filières, qui sont autant de possibilités pour l’institution d’écarter les élèves considéré·es comme posant problème.

Voie professionnelle vs voie générale

Dès le collège, qui n’est plus vraiment unique, l’existence de dispositifs tels que les troisièmes « prépa métiers » place certains enfants dans des voies à part, aux débouchés prédéfinis. Ces élèves, majoritairement des garçons issus de familles modestes et en retard scolaire, vont presque tous au lycée professionnel, où ils obtiennent moins souvent que les autres un diplôme. Le maintien de trois voies distinctes au lycée conduit au tri social des élèves, avec une ségrégation qui s’accroît au fur et à mesure des réformes qui augmentent la « professionnalisation » de la voie professionnelle et la prive d’enseignements généraux. L’individualisation des parcours, dont la réforme du baccalauréat et la mise en place de Parcoursup sont une modalité, favorise non seulement les élèves de la voie générale, mais encore celles et ceux qui savent décrypter et anticiper les attentes de l’institution scolaire et mettre au point des stratégies scolaires gagnantes (et à ce jeu… ce sont les enfants d’enseignant·es qui s’en sortent souvent le mieux).

Les inégalités structurelles proviennent aussi de la répartition des élèves entre les écoles ou établissements. La ségrégation sociale, par le haut (populations favorisées) ou par le bas (populations défavorisées) s’accroît. Ceci a été renforcé par les mesures d’assouplissement de la « carte scolaire » qui ont incité les familles des classes moyennes et supérieures à fuir les écoles qu’elles considèrent comme mal fréquentées. Les mesures élitistes ont, elles, vidé les établissements populaires de leurs meilleur·es élèves. Mais si la concurrence entre écoles publiques accroît la ségrégation sociale, c’est la concurrence avec le privé qui l’augmente le plus. Le secteur privé accueille de plus en plus d’élèves de milieu favorisé. Ce sont encore les élèves des quartiers pauvres qui sont les plus pénalisé·es, lorsque le résultat est la ghettoïsation de certains établissements.

Des contenus d’enseignement inégalitaires

Les inégalités tiennent enfin aux contenus scolaires et aux pratiques pédagogiques auxquelles sont confronté·es les élèves. Comme nous l’avons détaillé dans le dossier « Savoirs et inégalités scolaires » de la revue de l’École émancipée n° 100, la construction des inégalités se joue aussi dans la classe. Dès la maternelle, les programmes scolaires, les supports pédagogiques et les modes d’évaluation favorisent les enfants des classes supérieures. Les enfants des classes populaires et leurs familles sont confronté·es à des malentendus sur le sens des activités scolaires, ce qui pénalise leurs apprentissages, malgré leurs efforts. Le sous-financement de l’école a augmenté le nombre moyen d’élèves par classe et fait diminuer le nombre d’heures de cours dans le second degré, au détriment des jeunes ayant besoin de l’école pour s’approprier les savoirs scolaires. Pire, l’école renvoie souvent aux familles la responsabilité de la réussite ou de l’échec des enfants, ce qui est à la fois inégalitaire et stigmatisant.

Ni le changement de ministre cet été, ni les annonces du super-ministre Macron pour la rentrée ne sont de nature à résoudre ces problèmes. Aucun infléchissement n’est annoncé dans la politique inégalitaire ; au contraire, le renforcement de l’apprentissage, la primauté accordée à l’« autorité » (avec son avatar le service national universel), les moyens supplémentaires au privé (sans contrepartie), etc. ne peuvent qu’aggraver la situation. À nous de rendre audible notre contre-discours. ■