Jeunesses populaires révoltées

DOSSIER

  • Leader du dossier du numéro 103 de la revue de l’Ecole Emancipée / Par Arnaud Malaisé et Sophie Zafari

Le 27 juin 2023, Nahel M. est mort, tué d’un tir policier à bout portant. Cette mort s’inscrit dans une histoire traumatique, celle d’une jeunesse issue de l’immigration postcoloniale qui fait face aux injustices qui se succèdent depuis des décennies. Ces expériences engendrent non seulement un rejet de la police, mais aussi une perte de confiance dans la République et ses promesses trahies.

Ces morts sont à l’origine des émeutes dans les zones urbaines paupérisées, comme cela s’est produit en ce début d’été dans nombre de villes – y compris petites – sur tout le territoire.

Les jeunes – garçons – en sont les principaux acteurs, oubliant le risque qu’ils prennent, en passant à l’acte, d’être blessés ou emprisonnés. Cette fois, la répression judiciaire est d’ampleur exceptionnelle, comme le souligne Alain Bertho, avec plus de 1 000 comparutions immédiates et plus de 700 condamnations à la prison.

On est parfois surpris·e, voire heurté·e par la violence autodestructrice des jeunes qui laissent éclater leur rage en s’en prenant à leurs propres quartiers, aux biens publics ou privés. Comme en 2005, le discours de l’incompréhension, de l’indignation et de la condamnation morale face aux pillages, aux incendies de lieux publics est relayé presque partout. Un discours de la disqualification des motivations de leur colère. Relayant le récit de l’extrême droite, le thème de l’ensauvagement des marges ressurgit dans la parole publique. La violence qu’on leur prête sert à mieux cacher celle qu’on leur fait. À commencer par les discriminations ethno-raciales. Mary David montre (p. 14) que, dès l’entrée à l’école, la violence de l’institution s’incarne dans les discriminations et injustices que certain·es subissent et elle forge les destins scolaires. Fabrice Dhume insiste sur les conditions de la « reconnaissance » de ce racisme par l’institution scolaire (p. 20), Xavier Dunezat poursuit sur la nécessité pour la France de se confronter à la longue histoire raciste, patriarcale, capitaliste de ses institutions (p. 24). Indispensable face à cette idéologie nauséabonde qui parle d’une partie des jeunes comme de nuisibles et des mères comme des responsables qu’il faudrait également punir…

Une jeunesse/des jeunesses

Comme le souligne Nolwenn Neveu (p. 16), que l’on aborde la jeunesse comme un groupe social partageant des conditions d’existence ou comme un processus de transition entre l’enfance et l’âge adulte, l’étude des expériences concrètes des jeunes montre qu’il s’agit d’une jeunesse plurielle, une génération protéiforme structurée par d’importants rapports sociaux. Aujourd’hui, c’est parmi les jeunes que l’on observe les taux de pauvreté et le taux de chômage des actif·ves les plus élevés. Les jeunes, notamment celleux issu·es des classes populaires, sont particulièrement hanté·es par l’angoisse et l’urgence de l’insertion, professionnelle notamment, en raison d’une prise en charge reposant assez largement sur les épaules de la famille. L’essentiel des aides passe par la politique familiale, à l’encontre d’une pleine citoyenneté sociale pour les jeunes. À l’opposé et pour desserrer l’étau de la reproduction des inégalités, l’extension immédiate du RSA aux moins de 25 ans dans les mêmes conditions que le reste de la population est indispensable, tout comme la possibilité de reprendre ses études à tout moment et ce, quel que soit le parcours scolaire antérieur.

A contrario, les politiques en direction de la jeunesse se caractérisent par une accumulation de dispositifs se révélant à la fois illisibles et inefficaces et concentrés, depuis les années 1970, sur l’insertion sociale et professionnelle. À cela s’ajoute aujourd’hui la citoyenneté… dont les contours restent flous – « civilité » et « vivre-ensemble » – et renvoient à des problématiques déjà anciennes autour de la délinquance juvénile. Ces notions sont révélatrices des représentations de la jeunesse dans la France contemporaine. Avec le Service national universel (SNU) qui voudrait mobiliser les jeunesses face à une nation en danger (sic), il s’agit d’une volonté de conformer, de contrôler et de soumettre les jeunes en s’inspirant de l’enrégimentement militaire. Le refus de ce dispositif par de très nombreuses organisations témoigne de l’inquiétude face à la volonté d’embrigadement des jeunesses et en particulier de la jeunesse populaire.

Malgré le lieu commun d’une dépolitisation, qui découlerait hâtivement de son comportement abstentionniste massif, la jeunesse est certes davantage désaffiliée politiquement que le reste de la population, mais également très engagée. Plus encline aussi à manifester et à utiliser des modalités de lutte non conventionnelles(1), très marquée par les inégalités et la crise climatique, la jeunesse s’engage aux trois-quart(2) dans différentes actions citoyennes.

Il lui manque néanmoins des structures spécifiques pour s’organiser. Robi Morder montre (p. 22) que les jeunesses populaires sont un enjeu pour le renouvellement du syndicalisme. Il a la responsabilité, au côté du mouvement social et des forces politiques progressistes, de prendre en compte ces jeunesses et leurs quotidiens emplis de discriminations, de violences sociales, de racisme systémique, de harcèlements policiers…

Combien de fois le feu… avant l’explosion qui embrasera définitivement cette jeunesse et bousculera ce système nuisible ? ■