Ni Shah, ni Mollahs !

Version intégrale de l’interview de Irène ANSARI de la Ligue des femmes iraniennes pour la démocratie, parue dans le numéro 98 de la revue de l’Ecole Emancipée.

Ecole Emancipée : Quelle est la place des mouvements féministes en Iran ?

Irène Ansari : Il est évident que les femmes jouent un rôle très important dans le soulèvement qui dure depuis 6 semaines et qu’elles se trouvent au premier rang des manifestations mais les mouvements féministes ne sont pas encore structurés comme en France. En Iran, il n’y pas d’organisations ou d’associations légalisées qui défendent les droits des femmes mais il existe certainement des groupes et des cercles clandestins. Cependant, les iraniennes n’ont pas cessé de lutter contre les violences qui leur sont faites depuis 1979 et ont essayé par différents moyens de se sortir de ce carcan. Des milliers ont été arrêtées sous différents prétextes notamment celui qu’elles étaient « mal voilées ».

Pour rappel, la veille du 8 Mars 1979, alors que les iraniennes souhaitaient fêter librement pour la première fois cette journée, Khomeiny annonce que « les femmes doivent porter le voile islamique sur leurs lieux de travail » après avoir annoncé que les femmes ne pouvaient pas être juges ! C’est suite à ces propos que les femmes manifesteront pour protester contre le port du voile obligatoire. En réclamant la liberté et l’égalité, elles criaient dans les rues « nous n’avons pas fait une révolution pour revenir en arrière ». Un groupe du MLF présent en Iran à ce moment-là, a tourné des images qui seront dans le film « Mouvement des femmes, l’année zéro ».

La plupart des iraniennes et iraniens n’ont pas compris que les annonces de Khomeiny étaient significatives d’un régime répressif même s’il était évident que si le régime contrôlait la moitié de la population (les femmes), il contrôlerait tout.

En mars 1979, les mobilisations des iraniennes n’ont hélas pas été soutenues par les forces démocrates, de gauche, progressistes iraniennes (à quelques exceptions près) mais ont obtenu une solidarité internationale.

C’est à la suite des protestations des femmes en Iran que, Le Comité International des Droits des Femmes (C.I.D.F) présidé par Simone de Beauvoir est né en mars 1979 en précisant que « les événements actuels d’Iran soulignent à quel point la condition des femmes reste partout précaire. » Une de ses premières actions a été d’envoyer une délégation à Téhéran pour s’informer de la situation des femmes iraniennes. A cette période il y a eu beaucoup d’actions, de prises de positions, de conférences, d’articles en solidarité internationale avec les iraniennes pour dénoncer leur situation après la prise du pouvoir par les religieux en Iran et cela dans plusieurs pays y compris la France.

En 1980, la guerre entre l’Iran et l’Irak était une bonne opportunité pour le régime théocratique de réprimer toutes et tous les opposant.es. Dans ce contexte de répression généralisée les femmes ont subi une double peine, les violences envers elles ont été littéralement légiférées. A ce moment-là, les religieux martelaient que le rôle des femmes est d’enfanter pour agrandir l’armée de l’islam, le régime n’a jamais caché sa stratégie d’exporter « sa révolution Islamique » partout dans le monde. C’est ainsi que ce régime religieux s’est instauré en mettant en place des lois puisées dans la charia, dont le port du voile obligatoire, pour mieux contrôler le corps des femmes. Pour appliquer ces lois et exclure et violenter les femmes, tous les moyens sont bons, notamment la police des mœurs. L’assassinat de Jina Masha c’est le continuum de ces violences exercé pendant 43 ans par le régime des mollahs sur les femmes. C’est contre ce système et contre ce modèle de société que les iraniennes se révoltent.

EE : Quelle est l’origine du mouvement actuel ?

IA : Suite à l’assassinat de Jina Masha Amini, femme kurde iranienne de 22 ans, par la police des mœurs, un soulèvement est parti du Kurdistan iranien qui a une longue histoire de lutte avec le régime. Immédiatement, ce mouvement a été soutenu par les jeunes femmes partout en Iran. A ce jour, on parle de 257 morts dont une dizaine d’enfants, des milliers d’arrestations et des milliers de blessés.

Cette mort tragique a touché tout le monde mais le contexte d’injustice sociale, de crise économique, a aussi un rôle majeur dans la mobilisation actuelle. 60 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, 40 % des jeunes sont au chômage y compris les diplômé-es qui par conséquent sortent d’Iran. Le régime est corrompu, il n’y a aucun partage des richesses, les jeunes n’ont aucune perspective d’avenir.

Après 6 semaines, le mouvement continue, les étudiant-es et les lycéen-nes, les ouvrier-es, les enseignant-es, les intellectuel-les, les sportif-ves se mobilisent malgré la répression.

Le nombre de mort·es au Kurdistan et au Baloutchistan est bien plus élevé qu’ailleurs sur le territoire. En même temps les bases des organisations kurdes ainsi que les camps des réfugié.es installés en Kurdistan irakien ont été bombardés par l’armée des « Pasdaran » (les gardiens de la révolution) et il y a eu au moins une vingtaines de morts et plus de cinquante blessées. Quand je parle du peuple iranien, je parle de tous les peuples d’Iran qui est un pays multi-peuple, composé des Baloutches, des Kurdes, des Arabes et des Turcs. Ces mêmes peuples ont été également réprimés à l’époque du Shah.

La génération qui se révolte aujourd’hui est née sous la dictature. Elle a, avec les nouvelles technologies, une ouverture sur le monde actuel, elle voit que d’autres modes de vie existent. Ces manifestations prouvent que l’état a échoué sur tous les plans.

Pour une partie de la population, il y avait un espoir de réforme du régime mais au fil des années, l’impossibilité de réformer ce régime est flagrante. En 2017, 2018, 2019, il y eu des mobilisations sociales en Iran qui ont été réprimées dans le sang et la majorité de la population a acquis cette conscience politique qu’on ne peut pas réformer ce régime religieux et tyrannique.

EE : Un slogan est très populaire « Femmes, Vie, Liberté », quelles sont les revendications féministes et sociales mises en avant aujourd’hui ?

IA : Il est important de rappeler que ce slogan qu’on entend actuellement non seulement en Iran mais aussi dans plusieurs langues à travers le monde, a son origine dans la lutte des femmes du Rojava. Aujourd’hui, les revendications féministes dépassent largement l’abrogation de loi sur le voile obligatoire ou la suppression de la police des mœurs. Les femmes et les hommes, revendiquent « Liberté, Egalité et Justice sociale ». Elles et ils visent l’ensemble de ce régime théocratique dont la maitrise du corps des femmes est le « talon d’Achille ». Elles et ils veulent un état démocratique et laïc.

EE : En tant qu’association féministe laïque, comment vous positionnez-vous ?

IA : Dans notre pratique de tous les jours, en accompagnant les demandeuses d’asile, (majoritairement iraniennes et afghanes) qui est une de nos actions, notre position est claire et nette. Depuis que notre association existe, nous travaillons avec d’autres collectifs féministes et militants pour faire connaître la situation des femmes en Iran.

Je crois profondément (et cela ne date pas d’aujourd’hui) que la liberté, l’égalité et la justice sociale sont complètement incompatible avec un régime religieux même light. Et en ce qui concerne l’Etat islamique en Iran, il n’y pas photo !

D’ailleurs, dans toutes les religions, les femmes sont inférieures aux hommes et leur point commun est le contrôle du corps des femmes.

EE : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la construction des mobilisations de soutien ?

IA : Dès le début de soulèvement récent en Iran, notre association a régit et depuis, nous avons organisé avec différentes associations et collectifs tels que CNDF, LDH, Amnesty international, des actions en soutien avec les iraniennes et iraniens en lutte dans le pays.

Jusque là, le soutien à travers le monde est considérable et cela doit continuer, car c’est au prix de leur vie que les peuples iraniens payent leur mobilisation. Se sentir soutenu dans son combat, c’est très important. Il faut non seulement dénoncer haut et fort la répression de ce régime tyrannique mais aussi mettre en place des collectifs ou des comités du soutien avec le mouvement actuel en Iran. Pourquoi ne pas faire un comité international comme en mars 1979 ou au moins un comité de soutien en France ?

La solidarité internationale qui est une de nos devises nécessite que les forces progressistes, les organisations politiques, syndicales et associatives, soutiennent le mouvement et mettent la pression sur leurs propres Etats afin de relâcher le régime iranien même si nous savons que les intérêts économiques passent avant tout.

EE : Un appel d’universitaires féministes du monde entier parle de « régime d’apartheid sexiste de l’Iran » et d’une « révolution féministe enflammée par la rage ». Il évoque aussi « la longue histoire de l’oppression coloniale mêlée à la récente montée des discours xénophobes, racistes et antisexistes en Occident » et « une approche dite progressiste mais néo-orientaliste ». Quelle est votre analyse ?

IA : A mon avis ce qui se passe actuellement est plus large qu’une révolution féministe. Certes, on est en face d’une révolte féministe et un mouvement de la libération des femmes enchainées depuis quatre décennies par un régime religieux et d’apartheid sexiste, mais pour moi, la révolution est large et globale.

Il faut soutenir sans aucune ambiguïté cette révolte et sans avoir peur de la récente montée des discours xénophobes, racistes et antisexistes en Occident. A mon avis, rien n’empêchait et n’empêche surtout aujourd’hui, la solidarité avec la lutte des iraniennes. Certes, on risque que ce sujet, d’ailleurs comme d’autres, soit exploité par l’extrême droite en France notamment, mais ce n’est pas une raison pour ne pas dénoncer et condamner ce qui se passe en Iran !

Il faut rappeler que la théorie du relativisme culturel a fait beaucoup de mal aux iraniennes, cela a freiné un soutien international dans leur lutte, nos seulement contre le port du voile obligatoire mais aussi contre toutes les lois sexistes et les violences qu’elles subissent depuis 43 ans. Faisons la distinction entre nos prises de position et les débats ici et la situation réelle là-bas car on parle d’un islam politique, d’un pays dans lequel les femmes sont opprimées, violées, tuées, si elles ne respectent pas la loi qui est notamment d’être obligées de porter un signe religieux. En tout cas pour moi, le voile, obligatoire ou pas, ce n’est pas un simple tissu sur la tête mais le signe de la domination masculine et un outil de contrôle du corps des femmes. Je pense aussi que les droits des femmes sont universels et le destin et la condition des femmes sont liés à travers le monde.

Aujourd’hui ces droits sont en dangers par les intégristes de tous bords (Etats unis, Pologne, Turquie,… ).

EE : Votre espoir pour l’avenir ?

IA : Je suis optimiste, ce mouvement va continuer mais je m’inquiète de la répression encore plus sanglante dont ce régime est capable. Le rapport de forces actuel est inégal entre ce régime fanatique et armé jusqu’aux dents et ces femmes et ces hommes qui ne décolèrent pas. Malgré le nombre élevé des tué.es et blessé.es, il faut savoir que ce régime meurtrier n’a pas sorti toute sa force de répression mais de l’autre côté, le peuple n’a pas encore employé tout.es ces forces et moyens. D’autres éléments géopolitiques peuvent rentrer également en compte à savoir que ce régime est un danger réel pour la paix au Moyen Orient . En tout cas, si par malheur le régime arrive à réprimer le mouvement comme il l’a fait en 2019, la société ne serait jamais comme avant cette révolte politique.

Au contraire de ce que prétendent les royalistes, les velléités de retour à la monarchie ne se trouvent pas parmi les revendications des femmes et des hommes qui sont en train de donner leur vie pour en finir avec le régime des mollahs. Ce milieu pro-royaliste a beaucoup de moyens, des chaînes de télévision à l’étranger pour faire croire que les gens veulent revenir à une monarchie constitutionnelle mais c’est complètement faux !

N’oublions pas qu’en 1978, les occidentaux ont soutenu Khomeiny dans la prise de pouvoir au prix d’écarter les forces progressistes et démocrates de la révolution, on ne veut pas vivre la même chose. Ni Shah ni mollahs !

Propos recueillis par Ingrid Darroman le 25 Octobre 2022