Elle était une fois une langue émancipée

Version intégrale de l’interview de Typhaine D parue dans le numéro 102 de la revue de l’Ecole Emancipée.

Typhaine D est une autrice, comédienne, metteuse en scène, youtubeuse, créatrice de la Féminine Universelle, professeuse d’art dramatique, artiste, coach, formatrice, conférencière engagée pour l’écoféminisme, l’enfantisme, l’antispécisme. Typhaine D se produit notammente au café de la Gare à Paris pour deux spectacles
Contes à rebours et La Pérille Mortelle. Elle se déplace aussi pour tout évènement sur contact. Toutes les informations sont sur son site https://typhaine-d.com/
. Les réponses de Typhaine D sont écrites à la féminine universelle comme elle s’est exprimée lors de notre interview.

EE : Peux-tu nous expliquer la féminine universelle ?

Typhaine D : La principale, c’est qu’on puisse se saisir de ce qui nous parle. Moi je ne féminise pas toute, mais il y a des copines qui féminisent vraiment toute. Elles disent mote pas mot par exemple. Moi je m’en fiche qu’on dise un soulier ou une chaussure parce que je féminise les choses qui ont du sens politique pour moi, donc c’est la clitoris, la vagine mais par contre c’est le verrue plantaire. Les trucs qui m’emmerdent c’est mascouillin. Ce n’est pas fixé, c’est juste une autorisationne que je fais à pouvoir juste s’emparer de la langue et exister dans notre propre langue et dont les femmes s’emparent comme elles la souhaitent et dont je m’empare comme je la souhaite. Moi je m’en fiche qu’on dise un soulier ou une chaussure parce que je féminise les choses qui ont du sens politique pour moi, donc c’est la clitoris, la vagine mais par contre c’est le verrue plantaire. Les trucs qui m’emmerdent c’est mascouillin. Faisons comme ça noues parle, comme c’est politique pour noues. C’est ça l’objectif. Mais après la copine qui va dire la souillère, je trouve ça très drôle aussi, je trouve ça très chouette. La principale, c’est de s’en saisir comme on veut. Il y a des fois où je dis une question quand c’est une question relou, il faut presque dire un question et quand c’est chouette, je dis une questionne ! Je ne dis jamais comme je le souhaite, mais je la souhaite, c’est juste la manière de parler historique et légitime. Madame De Sévigné écrivait « heureuse, je la suis », c’est une femme qui parle, c’est logique donc, par exemple, Simone de Beauvoir aurait écrite « On ne naît pas femme, on la devient ». Quelle défaite d’écrire « On ne naît pas femme, on le devient ». Quelle défaite sémantique ! C’est terrible et ça montre toutes les limites. Je dis pas ça contre Simone, hein, Simone est merveilleuse.

EE :  Depuis quand la question de la langue et de son rôle dans la reproduction du patriarcat te questionnent et depuis quand travailles-tu dessus ?

Typhaine D: Depuis que je suis petite fille, comme énormémente de femmes, je me souviens de manière extrêmemente précise, de cet instant où l’instit a dit, en français (pas en française) le masculin l’emporte sur le féminin. Cette phrase là, on se l’est toutes prise dans la gueule. Je me souviens où j’étais dans la salle, comment j’étais habillée, où était l’instit, qui dans les garçons rigolaient (pas ceux qu’on préférait), et puis de celles qui ont baissé la tête, qui ont eu honte, de celles qui ont ri nerveusemente. J’ai levé la main et j’ai dit « Mais quoi? Commente ça ? Qui a décidé ? Seulement les mecs ? Et quand ? Est-ce que les femmes avaient le droit de vote ? ». L’instit a répondu « C’est comme ça », voilà la réponse des adultes médiocres. Je me suis sentie vraimente très male, c’était un moment terrible parce que les garçons jubilaient. Noues étions réduites à néant dans notre propre façon de nous exprimer donc de penser aussi. J’avais vraimente comprise que la langue était ma force, que ma capacité à m’exprimer de manière à convaincre, à rassembler allait être un de mes outils et je sentais que cet outil m’échappait avec l’aval des adultes. Forcémente, j’ai continué à essayer de rentrer dans le carcan scolaire mais ça restait dans ma tête.
Puis j’ai voulu écrire Conte à Rebours, une réécriture féministe des contes de fées, je voulais reprendre cet imaginaire commun qu’on a partoute sur la terre. A la première phrase « Il était une fois », je me suis dite que non, je ne pouvais pas commencer par « il » mon livre féministe, d’autant plus que c’est « une fois qu’elle était ». Qui c’est ce mec ? Le même que dans quelle heure est-il, dans « il neige » alors que c’est « la » neige, ça fait chier. J’ai commencé à écrire « Elle était une fois » parce que c’était une évidence. En tirante cette première file de la toile d’araignée, elle y a tellement de choses qui sont venues ! Je me suis pas dite que j’allais bosser sur la langue mais je ne voulais pas de cette langue qui me trahit et qui détruit mon propos féministe. Quand j’ai voulu écrire, « je voudrais rendre hommage aux femmes », j’ai vu la phrase écrite et j’ai fait « Ahhhh… », donc j’ai écrit « rendre femmage » et on comprend toute de suite. Un peu plus tard, en note de bas de page j’ai commencé à écrire « pour rendre à César ce qui est à César », je me suis arrêtée au deuxième César : « mais c’est pas possible ». La victime de César, c’est qui ? Cléopâtre. Donc j’ai écrit « rendre à Cléopâtre ce qui est à Cléopâtre » et ainsi de suite, comme « heureuse, je la suis ». 
J’ai rencontré quelques années après Aurore Evain, qui elle est la femme qui nous a rendues le mot autrice. Elle faisait des recherches sur l’apparition du mot actrice, parce que les femmes n’avaient pas le droit de monter sur scène pendant des siècles et des siècles. Elle est tombée sur ce mote autrice en trouvant dans les registres de l’Académie française, « payée à compte d’autrice ». Elle a vu que ce mot là a été utilisé pendant des siècles et des siècles tranquilloute. Elle a commencé à l’utiliser et tout le monde lui oppose « mais c’est moche, on ne comprend pas, on dirait une maladie… » Donc elle s’est battue pendant dix ans vraimente toute seule à dire non mais c’est le mot légitime ! Maintenante tout le monde dit autrice, mais elle s’est battue pendant dix ans toute seule. Quand  je la rencontre, elle me parle de ça, du mot matrimoine et j’ai commencé à m’autoriser encore plus.  Je me suis dit « non seulement tu fais tes trouvailles, mais en plus elle y a une légitimité historique » ! 
C’est rendre femmage à nos aînées, elle Il y a quelque chose qui se passe. J’ai ensuite rencontré Eliane Viennot qui elle, suite à Aurore Evain, commence à raconter l’histoire de la masculinisation de la langue dont je parle beaucoup dans mes spectacles et donc cette décision politique historique où ils se sont dit « on va rentrer dans leur tête, dans leur manière de penser, pour leur faire comprendre qu’elles sont inférieures, que dans chaque phrase qu’on dit, l’infériorité des femmes est larvée ». C’est incroyable comme outil de destruction d’une peuplesse, la nôtre. Ca m’a autorisée à aller plus loine, mais avec des limites. Je voulais dire « je vais bienne » par exemple, mais je sais qu’à chaque fois qu’on transgresse quelque chose, elle y a tellement de représailles, de moqueries, de harcèlement, d’attaques, même d’insultes. Les mecs en face sont atroces. Un jour, une copine qui aimait beaucoup la féminine universelle me dit « Alors tu vas bienne aujourd’hui ? » Je me suis dit « si elle se l’autorise, pourquoi pas moi ? « . Je me sers de la féminine universelle comme outil de créationne, parce que ça élargit des horizonnes, parce que ça nous redresse aussi, parce que exister dans notre propre tête, c’est ultra puissante, parce que ça donne de l’estime de soi de dire « elle fait belle » plutôt qu' »il fait beau », c’est immense en vrai. 
Et parce que le langage structure la pensée, les pensées changent forcémente. Je la pratique, dans ma vie, avec mes sœurs. Je ne la pratique pas quand je suis avec des banquiers, je n’ai pas envie d’avoir un débat, là je parle en inclusive, je dis juste toutes et tous plutôt que tous. Minimum syndical. Mais quand j’écris, je suis obligée d’écrire comme ça parce que quand j’écris autremente, il y a quelque chose qui nie ma propre pensée, ma propre existence, toutes les femmes. Et comme j’écris et je joue pour noues, c’est impossible d’écrire au masculin l’emporte. Je préfère dire au « mascouillin l’emporte » parce que c’est plus visuel. Voilà, ça a commencé en 2012 avec cette fameuse écriture de « Elle était une fois » et puis ça a grandi et ça continuera à évoluer.

EE : Pourquoi as-tu travaillé davantage sur les contes pour enfantes ?

Typhaine D : Quand j’étais petite, j’ai rêvé avec ce que j’avais pour rêver, notammente énormémente avec les Disney, comme nombre d’entre noues. Mon dessin animé préféré était La Petite Sirène. J’essayais de prendre les choses qui ma parlaient, qui ma plaisaient je trouvais ça super qu’elle veuille quitter sa famille. Mais elle y avait déjà des choses qui m’énervaient énormémente. J’étais hyper fan d’Ursula donc j’étais carrémente pas d’accord qu’Eric la tue à la fin, en plus avec un truc hyper phallique (il l’empale avec le mât cassé de son bateau).  Elle y avait aussi plein de choses que je ne voyais pas, comme tout le monde. Notammente je me souviens du Petit Poucet, qu’on avait étudié parce que c’était au programme de français. C’est une histoire complètement délirante où ça se finit bienne parce que le Petit Poucet a l’idée de faire bouffer sept petites filles pour se sauver lui et ses frères. Tout le monde est soulagé, sept petites gamines ont été bouffées, leur mère pleure, tout le monde s’en tamponne. Mais non, pas tout est bienne qui finit bienne, on ne s’en fout pas ! Si c’était des ogresses, elle les auraient bouffé les mecs. D’ailleurs, vu leur réaction, elles auraient eu raison. Moie je vous la réécris, elles les bouffent et terminé, on n’en parle plus ! Les petites filles ne sont pas des ogresses, ce sont les filles de l’ogre. Double peine, non seulement ton père est un gros taré, mais en plus tu mérites de mourir… Ca m’a vraimente beaucoup choquée. Je savais à quel point c’était l’imaginaire commun, même quand on n’a pas vu les Disney, on les a étudié à l’école, les gens nous les ont racontés. C’est une propagande misogyne, j’ai voulu les reprendre dans Contes à rebours pour en faire des outils d’émancipationne et de de compréhensionne des systèmes d’oppression. Oppression je le mets au mascouillin, c’est un oppression, c’est d’ailleurs un violence quelque part. Revaloriser les héroïnes, leur permettre de parler en leur nom, remettre leur histoire à l’endroite, remettre l’empathie là où elle doit être, remettre la culpabilité là où elle doit être et donner des pistes de soins pour aller mieux et d’émancipationne via les luttes collectives et la sororité.

EE : La certaine universalité des contes pour enfants est-elle un outil pour le patriarcat ?

Typhaine D : L’exemple que je pourrais donner, qui est hyper marquant, c’est Le Petit Chaperon rouge. Déjà, c’est une métonymie, elle est désignée, elle est objectisée parce qu’on l’appelle par un objet. Dans mon conte,  je l’ai faite grandir, comme c’est la chaperonne, elle devient autre chose que son chaperon, elle devient une personne. Elle a cinq ans je crois et sa mère lui dit « attention, c’est hyper dangereux la forêt mais je t’envoie quand même amener de la nourriture à ta grand mère ». Alors de deux choses l’une, soit c’est dangereux et on envoie pas la gamine, soit ce n’est pas dangereux. Et là, évidemment, tout le monde se dit, la mère est méchante, non, non, non, il est où le père ? Donc elle se retrouve dans la forêt et sa mère lui dit « tout se passera bien  si tu cueilles pas des fleurs et si tu ne mange pas des fraises et si tu parles pas aux inconnus ». Elle va faire tout le contraire, s’arrêter cueillir des fleurs, manger des fraises et répondre au loup qui lui adresse la parole. Le loup qui n’est pas un loup, qui est en fait un homme pédocriminel au départ, c’est ça quand même l’histoire, c’est pour prévenir les enfantes et les enfants qu’il y a des hommes dangereux.
Tu peux tracer dans la forêt sans t’arrêter, ni pour les fleurs, ni pour les fraises, ni pour répondre au loup (et les ouves dont on ne parle jamais et de toute façon , ce ne sont pas les loups que les hommes ont exterminés le problème aujourd’hui). Le truc c’est que, même si tu traces, le pédocriminel peut quand même s’attaquer à toi. Dernière arnaque, c’est que c’est le chasseur qui est censé les sauver. Le chasseur, c’est lui qui tue avec ses balles perdues dans la campagne. En fait, on noues fait toujours croire que l’ennemi c’est pas un homme, c’est un loup, c’est un ogre, un animal, mais ça ne va pas être un homme. Attention, on va pas apprendre aux petites filles à se méfier des mecs, tu imagines la galère derrière pour eux ? Le méchant c’est toujours autre chose, et le sauveur c’est toujours un mec. Ce conte, c’est vraiment ce renversement de la culpabilité qu’on a aussi quand les femmes viennent porter plainte, et pourquoi voues étiez à cette heure là dehors et pourquoi voues étiez habillée comme ça ? Est-ce que finalement voues ne l’avez pas allumé ? C’est finalement que la victime c’est la coupable et que c’est à noues de noues adapter pour essayer de survivre. Mais non, c’est au pédocriminel de pas violer. C’est un des exemples, mais c’est là où ça passe une vraie propagande parce qu’on a toutes intégré que le Petit Chaperon rouge elle l’a un peu cherché, que c’est un peu une glandue alors que c’est une petite fille de cinq ans qu’on envoie en pleine forêt ! Les petites filles, les femmes, ne sont pas les coupables, quoi qu’elle aient faite, quoi qu’elles n’aient pas faite, le coupable, c’est l’agresseur.

EE : Quelle place le militantisme féministe doit prendre dans la culture pour pouvoir se populariser?

Typhaine D : Je suis pas la seule à le dire, mais quand on dit la culture, il y a déjà une arnaque des des hommes dominants là dedans. C’est la culture des hommes dominants qui est devenue la culture. Il y a les cultures, le fait de dire la culture, c’est quand même une énorme arnaque. On a l’homme bourgeois qui prétend que sa culture est celle de tout le monde et qui aide les pauvres gens à avoir accès à « sa » culture, alors que c’est là qu’il passe sa propagande. Il y a une culture féministe, les autres, si elles ne sont pas féministes, par conséquente, sont automatiquement masculinistes. Il n’y a pas d’attentisme dans une lutte d’oppression, soite tu te mobilises pour l’opprimée, soite tu ne prends pas partie et du coup ça laisse toute la place à l’oppresseur. Je pense que toutes les cultures devraient devenir féministes et qu’on devrait mettre à la poubelle le reste. Je dirais que je n’ai pas très envie de garder les écrits de Sade par exemple qui explique comment torturer des femmes sexuellement et dont les textes sont étudiés comme de la littérature. Elle faut inverser les valeurs, elle faut que toutes les valeurs virilistes, ce qui est aujourd’hui valorisé, c’est à dire la prise de pouvoir, la compétition, le faite d’écraser autrui, la domination, le faite de réussir tout seul en laissant tout le monde derrière soi, à moitié mort, ne soient plus des valeurs. Noues devons arriver à retourner les choses et de faire des valeurs qui sont dites féminines aujourd’hui, les valeurs de tout le monde. La communication, le soin des autres, la paix, le respect, la base. Je pense que la féminisme est une éthique, ce qui est insupportable doit être dévalorisé, combattu, ostracisé dans la société. Il faut que tout comportement viril suscite immédiatement que toute la société se dresse devant lui. Pour l’instant, ils sont agresseurs parce qu’ils ont intérêt à le faire. Il faut que les agresseurs n’aient plus intérêt à le faire, donc il faut que toute la société lutte contre. Mais oui, la féminisme devrait être en transversalité de tout ce qu’on raconte en permanence, comme d’ailleurs toutes les autres luttes contre toutes les oppressions. La justice et l’égalité devraient être en filigrane de tout.

EE : Comment es-tu devenue militante féministe, comme artiste et au delà de ton métier ? Que penses-tu pouvoir apporter aussi au milieu militant ? Qu’as-tu appris du milieu militant ?

Typhaine D : J’ai apprise toute et toute réapprise. Je pense que quand on arrive sur la terre, filles comme garçons, on est féministe. On n’arrive pas sur la terre en se disante qu’on va opprimer la moitié de l’humanité, même chose pour l’antispécisme. Finalemente, pour moi devenir féministe, comme antispéciste, comme enfantiste (toutes les luttes progressistes), c’est revenir à l’évidence de la base qu’on a désapprise à cause de notre éducation hyper discriminante. Je pense que c’était latente en moi. Mes premiers combats étaient contre l’adulte, j’avais comprise quand j’étais petite fille que l’adulte nous opprimait. Pourquoi vouvoyer les adultes alors qu’ils me tutoyaient, je disais « tu », ça choquait les gens et j’étais punie. Il faut vouvoyer  les adultesparce qu’ils ont pris la peine de vieillir, alors qu’ils ne peuvent pas faire autrement !
Il y avait déjà ce truc qui était là mais les combats enfantistes (mot que j’ai dû inventer parce qu’il n’existait pas) sont primordiaux  , lutter contre la misopédie, la haine des enfants. On pourrait en parler longtemps, mais c’est comme ça qu’on apprend l’oppression, en supportante les ordres.
 A la puberté, j’ai très mal vécue le passage du statut de petite fille à objet sexuel dans la tête de beaucoup d’hommes et de garçons. La colère a grandi énormémente quand j’ai grandi. Et puis évidemment, j’ai croisé des agresseurs. Dans plusieurs écoles de théâtre, c’était pareil partoute, c’était « metoo » mais avant qu’on en parle. Il y avait énormément plus d’étudiantes comédiennes que d’étudiants comédiens. Les rôles étant inversement proportionnels en quantité, ils ont énormément de rôles et noues on bosse comme des dingues parce qu’on a très peu de rôles, assez dévalorisants. On peut être très très fortes, mais il y a très très peu de place, c’est l’enfer. En plus, noues on a des diktats de beauté, eux pas du tout. Rien n’allait, sans parler des profs agresseurs qui nous mettaient sous emprise, voire des violences sexuelles directes sur le plateau sous prétexte de mise en scène… J’avais une espèce d’énorme haine, rage tout ce que voues voulez qui grimpait et en plus quand je disais « il y a un problème » aux gens autour de moi, on me répondait « mais non, vous avez le droit de vote. Calme toi. » J’ai vu sur internet une réunion plénière d’Osez le féminisme, association qui venait de se créer. On est à l’hiver entre 2009 et 2010 et je me suis pointée. L’association se créait, il y avait tout à faire parce qu’on nous avait pas apprise l’histoire de nos ancêtres. On a perdu un temps fou à refaire la même chose. Je me suis dit que j’avais trouvé ma famille. Je disais excusez moi, « je pense qu’il y a un problème », et là elles me disaient « ben tu m’étonnes qu’il y a un problème et c’est même pire que ce que tu crois ». Toute cette rage, on pouvait la mettre au service de la lutte collective, de l’émancipation, de la sororité. Ca a cessé de me rendre malade, c’est devenu un moteur pour lutter, pour vivre, pour avancer. Ca a été le grand début, et puis après j’ai fait le choix de quitter le milieu traditionnel du théâtre et du cinéma, ce qui a été un grand deuil par rapport à mes rêves de petite fille. Moi, je voulais être comédienne et dans ce monde là, le seul métier qui existe, c’est comédien. Comédienne, c’est objet sexuel en fait. Et je ne veux pas être objet sexuel. Je n’en pouvais plus de me battre pour rester habillée ou pour garder mes poils et d’être agressée sur les plateaux de manière générale. En faite, toutes les comédiennes qui font autre chose qu’objet sexuel, elles doivent réinventer leur boulot toute seule. Muriel Robin, Sylvie Joly, Florence Foresti, Valérie Lemercier, elles doivent réinventer leur vie, réinventer un nouveau métier, donner un sens au mot comédienne qui ne soit pas objet sexuel. Mais on doit faire ça toute seule. 
J’ai allié mes métiers de comédienne, de metteuse en scène, d’autrice avec mes valeurs, mes combats et mes compétences de féministe. Entre temps, j’étais devenue experte de différents sujets dans la féminisme, j’avais beaucoup lu, j’avais été formée par le CFCV, l’AVFT, j’avais vu et donné des conférences. Ca a donné mes spectacles et d’autres choses à plusieurs femmes. Maintenante je ne souffre plus sur scène et je suis d’accord avec ce que je raconte. Je ne fais pas souffrir les femmes dans la salle, en tout cas, je fais tout ce que je peux pour ne pas déclencher de traumas, même quand on aborde le sujet des violences. Je fais en sorte de ne pas décrire des violences, de ne pas utiliser des mots des agresseurs, etc. Je vois à quel point on peut faire passer d’autres choses que dans les associations. Etante aussi conférencière, formatrice sur ces questions là, notamment dans des entreprises, je dis sensiblemente les mêmes choses, mais je dois beaucoup plus me battre pour que ce soite reçu que quand je suis sur scène. Sur scène, on passe par l’imaginaire, par le rire, par l’émotion et donc on contourne des biais, on contourne des entraves à la compréhensionne que peuvent avoir les femmes. Les hommes, on les contourne pas parce que ceux qui veulent comprendre comprennent. Les autres, c’est parce qu’ils veulent garder leurs privilèges, on s’en fout de leur parler. On permet aux femmes d’avancer par un endroit qui est moins colonisé peut être. J’ai l’impressionne que je suis plus efficace en passant par la scène ou mes vidéas pour faire passer des messages et permettre aux femmes de s’autoriser à penser leurs intérêts.

EE : Comment te situes-tu dans dans les mouvements féministes aujourd’hui ?

Typhaine D : Je sais qu’aujourd’hui c’est à la mode de dire qu’il y a autant de féminismes que de femmes, mais quand un mot veut tout dire, il ne veut plus rien dire. Je pense que la féminisme, ce n’est pas tout et rien, je pense que c’est très précise au contraire. Si par exemple Marine Le Pen ou Darmanin disent « je suis féministe », on ne  va pas les croire. Dupond-Moretti avait dit qu’il était féministe, on ne l’a pas cru. La féminisme pour moi et je la dis dans mes spectacles assez régulièremente c’est vouloir l’abolition de l’ensemble des violences et des discriminations, quelles qu’elles soient et du coup, construire un monde de justice, d’égalité, d’équité et même de paix. Si on garde des violences parce qu’on dit qu’elles sont jolies quand elles ont des paillettes dessus ou que c’est bien si ça rapporte de l’argent, ce n’est pas au féminisme. Je me situe dans une féminisme dans la lignée de celle de Louise Michel, de Simone de Beauvoir, évidemmente, de Flora Tristan. Il y a cette féminisme historique qui a commencé avec Christine de Pisan, même avante. Les féministes qui m’ont les plus nourries sont Christine Delphy ou Andréa Dworkin. Quand je dis Typhaine D, le D (sans point car ce n’est pas une abréviation) c’est aussi celui de Dworkin, Delphy. C’est aussi Laura Carpentier-Goffre qui est une sociologue, dans la même mouvance, qui n’est pas assez connue, mais qui m’a énormémente apprise. C’est la féminisme radicale matérialiste dans le sens marxiste du terme. Se baser sur la réalité de l’oppression, ses expressions matérielles, collectives et globales. Comment l’individue se sent, se perçoit ne m’intéresse pas, c’est individualiste. L’individue m’intéresse dans ma vie mais ma pensée est collective, j’ai un projet de société, je vois les systèmes en place et je regarde comment matériellement ça impacte les personnes, ce que je veux, c’est un système juste, le collectif prévaut sur la perception de l’individue.

Propos recueillis par Amandine Cormier et Ingrid Darroman.