Le patrimoine archéologique constitue les archives du sol. C’est un bien commun non renouvelable qui disparaît peu à peu alors que 50 000 hectares de terres sont artificialisés en France chaque année. Depuis vingt ans, les politiques libérales menacent l’archéologie, notamment l’archéologie préventive.
PARBenoît Ode, Corinne Charamond, SNAC-FSU**
L’archéologie préventive repère, découvre et fouille des sites archéologiques de toute nature (villages du Néolithique, nécropoles gauloises ou romaines, ateliers de potiers du Moyen Âge…) avant que passent les bulldozers, selon le principe de la conservation par l’étude (si on ne peut conserver les sites, on peut sauver les informations qu’ils décèlent).
Il s’agit d’une discipline récente, héritière de l’archéologie de sauvetage, peu à peu imposée par des archéologues militant·es, véritables empêcheur·ses de bétonner tranquille dont les métiers, la législation et les institutions ont été obtenus par les mobilisations.
C’est grâce aux luttes menées par les archéologues dans les années 1980 et 1990 que la France s’est dotée, en 2001, d’un dispositif d’archéologie préventive conforme aux conventions internationales.
Depuis cette date, près de 2 500 opérations sont réalisées chaque année par 4 000 à 5 000 archéologues professionnel·les de l’Institut national d’archéologie préventive (Inrap), des services territoriaux et des sociétés privés agréées.
Seuls 7 % des projets d’aménagement et de construction font l’objet de sondages préliminaires, les diagnostics archéologiques, prescrits par les archéologues des Directions régionales des affaires culturelles (Drac), et dans un cas sur quatre ou cinq ces sondages sont suivis d’une opération de fouille préventive.
Si les opérations de diagnostics sont financées par l’impôt, les fouilles, elles, sont payées par les aménageurs (sauf pour les particuliers qui sont exemptés), le coût de l’archéologie représentant 1 à 3 % du budget total des travaux.
Ce dispositif unique en Europe a permis depuis vingt-cinq ans de renouveler considérablement nos connaissances sur l’histoire des sociétés anciennes et sur l’évolution des paysages. Au fil du temps, le professionnalisme des archéologues et l’intérêt croissant des citoyen·nes pour leur patrimoine et leur histoire ont fait de l’archéologie préventive une nécessité acceptable pour la grande majorité des aménageurs.
La crise la plus grave depuis 20 ans
Or, depuis 2001, l’archéologie fait régulièrement l’objet d’attaques. Cela commence en 2003, lorsque la droite, dans un esprit revanchard, crée de toute pièce et sans aucune justification économique un secteur concurrentiel de l’archéologie préventive, largement maintenu à flots depuis par des fonds publics.
Les attaques de la droite libérale et/ou réactionnaire n’ont jamais cessé, accompagnées d’un dénigrement régulièrement exprimé par le ministère de tutelle, celui de la Culture. Ainsi, récemment, la ministre Dati déclarait qu’il ne fallait plus « faire des fouilles pour se faire plaisir » et qu’elle préférait « mettre de l’argent dans la restauration du patrimoine plutôt que de creuser un trou pour creuser un trou. »
Aujourd’hui un nouveau cap est franchi : le projet de loi dite « de simplification de la vie économique » prévoit, en sus de graves régressions démocratiques et environnementales, que les grands projets d’aménagement dit d’intérêt majeur ne seront plus soumis aux obligations de l’archéologie préventive.
Effet A69 ou souffle trumpien, les parlementaires des diverses nuances de droite semblent s’accorder sur l’intérêt de lever toute entrave à la destruction de notre patrimoine naturel et culturel (excepté pour les châteaux privés et certaines cathédrales).
Cette offensive contre l’archéologie surgit au moment où le secteur est déjà fortement fragilisé par les politiques de rigueur budgétaire, la précarisation des professionnel·les, les sous-effectifs et la dégradation des conditions de travail.
Un drame en quatre actes
Cette opération de saccage pourrait être l’aboutissement d’un drame en quatre actes, fâcheusement habituel pour les services publics.
Acte 1 : entraver le bon fonctionnement d’un dispositif en abaissant les moyens.
Depuis le mois de mars, les archéologues sont mobilisé·es pour dénoncer la réduction drastique des moyens d’intervention sur le terrain (pour l’Inrap et les services des collectivités territoriales), avec pour résultat des retards de chantiers de moins en moins acceptables. Et par conséquent la mise au chômage de centaines d’archéologues, bloquant ainsi l’accès au premier emploi pour les jeunes diplômé·es.
Ces réductions de moyens, dans le contexte de crise qui touche particulièrement le monde de la culture, surviennent après des années de disette dans la fonction publique : peu de recrutements, le plus souvent précaires, et non-renouvellement des nombreux départs à la retraite.
L’acte 2 est le maintien d’un dispositif en réduisant les objectifs et la qualité du service.
Oubliant les objectifs d’une mission de service public, comme pour la santé et pour l’éducation, les hauts fonctionnaires et petits comptables qui nous dirigent ont mis en œuvre des managements toxiques basés sur le reporting et l’optimisation des coûts, des jours-humains dans des tableurs, pour n’obtenir que casse sociale, mal-être au travail et baisse de qualité du service rendu.
Dernier exemple : les injonctions du ministère de la Culture à ses agent·es des Drac pour les forcer à adapter le nombre et la nature des opérations d’archéologie aux moyens d’intervention, volontairement diminués, des opérateurs publics…
Dans l’acte 3, on laisse s’installer le sentiment que le dispositif ne fonctionne pas et qu’il n’est pas soutenable. Les temps d’attente pour une intervention avant travaux explosent comme jamais, mettant en péril l’acceptabilité même de l’archéologie préventive. Rien de tel que des délais qui s’allongent pour énerver aménageurs et élu·es locaux·les !
Le service public de l’archéologie se trouve ainsi fragilisé, l’ensemble des archéologues précarisé·es. Alors que cette situation pourrait être en grande partie réglée si les revenus fiscaux mis en place pour le financement de l’archéologie préventive étaient utilisés pour l’archéologie préventive ! Ce qui n’est pas le cas depuis 2016, pour une part croissante de ces recettes fiscales.
Finir par casser le dispositif ?
Le Snac-FSU, au premier rang d’un mouvement porté par l’ensemble de la communauté archéologique, dénonce l’acte 4, ces nouvelles offensives qui aggraveront la crise sociale chez les archéologues et les risques de destructions irrémédiables des éléments de notre histoire et de nos paysages.
Une pétition « Sauvons le patrimoine archéologique ! » a réuni 16 000 signataires. Une manifestation nationale pour la défense de l’archéologie prévue le 12 juin à Paris a réuni toute la profession : archéologues de l’Inrap, des Drac, des services territoriaux, des opérateurs privés, des précaires, des étudiant·es, des enseignant·es et des chercheur·es.
Sauvons le patrimoine archéologique !
☞ Signer la pétition en ligne :
https://chng.it/hwZGvKCZWY