La fermeture des moyens d’accès à la santé de proximité détruit les moyens de vivre dans de nombreux territoires.
PAR Julie Bernat
Dans le Sud Aveyron, en 2003, la volonté de fermer l’hôpital de Saint-Affrique (le plus gros employeur de la ville) et de le fusionner avec celui de Millau avait échoué grâce à la forte mobilisation de la population et des élu.es locaux·les du bassin. Les habitant·es n’en étaient pas à leur coup d’essai, puisque cinq ans auparavant, iels avaient, déjà, par leur lutte, contraint l’Agence régionale de l’hospitalisation^1^ à renoncer à la fermeture de la maternité. C’est d’ailleurs à Saint-Affrique qu’est née en 1995 la règle dite de l’« exception géographique » selon laquelle, à moins d’habiter un vrai désert de population, une femme doit trouver une maternité à moins de 45 minutes de son domicile. En avril 2004, la Coordination nationale des comités de défense des maternités et hôpitaux de proximité est créée et lance son appel à Saint-Affrique, rejointe par des comités locaux. Le Manifeste, comité local de Saint-Affrique, est formé en association et regroupe des usager·es de l’hôpital, des syndicats (CGT, Confédération paysanne, FSU et Solidaires) et des organisations politiques.
Nouvelle offensive, nouvelle bataille
En 2018, cette fois, il s’agit de construire un nouvel hôpital commun entre les deux villes. Dans le contexte de pénurie des spécialités médicales nécessaires à une prise en charge de proximité, le projet obtient le soutien de la région (PS) et du département (LR), et nombre de communes du Sud Aveyron suivent. La bataille reprend pour garder sur ce territoire à l’économie fragile, les moyens d’y vivre. Les soignant·es soumis·es à des conditions de travail difficiles par manque d’effectifs et de moyens voient, dans un premier temps, la perspective d’un nouvel hôpital d’un œil favorable. Pour les habitant·es, l’affaire n’est pas la même.
Le Manifeste réussit à engager la bataille sur le droit de vivre et l’accès pour toutes et tous à une prise en charge des soins et des questions de santé dans un territoire rural et escarpé, écarté progressivement des lieux où se concentrent l’économie, les emplois. Un travail de proximité, initié par le Manifeste, s’engage. Les projets de « modernisation », les formules managériales et de novlangue néolibérales sont décortiquées et expliquées à la population. Conférence de presse, actions symboliques, réunions dans les villages en lien avec les mairies… toutes ces initiatives finissent par intéresser les soignant·es (médecins et personnels) pour qui le projet d’hôpital commun commence à se traduire par une restructuration et un management très agressif, amorçant une réduction drastique des effectifs et des moyens. La disparition progressive du plus petit des deux hôpitaux inquiète les villages. Reste à dépasser le fatalisme pour déboucher sur la mobilisation.
En septembre 2024, les actions reprennent de l’ampleur, les maires du Saint Affricain rejoignent progressivement la mobilisation sur « la garantie du maintien de la prise en charge hospitalière de proximité au moins jusqu’à l’ouverture du nouvel hôpital ». La bataille n’échappe pas au contexte général marqué par l’accélération du démantèlement du service public de santé, où l’on voit ses gestionnaires organiser à marche forcée sa destruction au nom… de sa défense. Alors que la direction de l’Agence régionale de santé et le ministère tentent de fragiliser les rapports personnel soignant/médecin et s’engagent dans une démarche de provocation et de criminalisation des habitant·es, la population, déterminée, entame une nouvelle phase de mobilisation et de luttes pour que le principe d’égalité d’accès aux soins continue d’exister partout, sur tous les territoires.
« Celui qui se bat peut perdre mais celui qui ne se bat pas a déjà perdu » B. Brecht.
1. Ancien nom de l’Agence régionale de santé.