Haro sur les chômeur.ses

Les travailleur·ses et les demandeur·ses d’emploi sont confronté·es à une série de réformes qui modifient profondément le paysage social et économique depuis une vingtaine d’années. La plus récente est la loi Plein emploi, avec la réforme du Revenu de solidarité active (RSA), le contrat d’engagement, ainsi que l’introduction des outils d’intelligence artificielle dans le suivi des chômeur·ses.
PAR Alexandra Nougarede
La succession des réformes du chômage, dont la dernière, la loi plein emploi, soulève des inquiétudes sur leurs impacts réels sur la dignité et les droits des travailleur·ses. Loin de répondre aux problèmes de fond du chômage et de la précarité, elles semblent plutôt constituer une série d’attaques contre les plus vulnérables.
La loi plein emploi, lancée avec la promesse de réduire le chômage et de renforcer l’insertion des personnes sans emploi, repose sur un objectif : amener un maximum de chômeur·ses vers l’emploi, même au prix d’une remise en question de leurs aspirations, de leurs conditions de travail et de leurs droits.
Une illusion de travail pour tou·tes ?
La véritable intention derrière cette loi est d’aller au plus près des demandes du patronat local, de faire correspondre la main-d’œuvre disponible aux besoins du patronat sur des métiers en tension. Nous sommes aux antipodes de l’accompagnement d’une personne privée d’emploi, mené en fonction de son histoire, de ses qualifications, de ses besoins, en tentant de faire le lien avec le marché du travail. Aujourd’hui, on part des besoins de l’employeur et on crée les conditions pour que les demandeur·ses d’emploi y répondent coûte que coûte, pour qu’iels acceptent tout type de travail, indépendamment de sa qualité.
Le RSA, qui a longtemps été une bouée de sauvetage pour les personnes les plus démunies, subit une profonde transformation. Plutôt que de renforcer un système de solidarité sociale, la réforme du RSA introduit des conditions de plus en plus restrictives, notamment l’obligation de travailler ou de suivre des formations spécifiques pour recevoir cette aide. Cette mesure s’inscrit dans le cadre du « contrat d’engagement », où les bénéficiaires sont contraint·es d’accepter une série de conditions qui les poussent à une précarisation accrue.
De l’assistance à la stigmatisation
Si l’objectif affiché est de favoriser l’insertion professionnelle, cette mesure transforme le RSA en une sorte de contrainte. Cela ajoute une pression supplémentaire à celleux qui sont déjà dans des situations précaires et stigmatisées. Il ne s’agit plus seulement d’accompagner les chômeur·ses vers l’emploi, mais de les punir pour leur inactivité, sans prendre en compte les réalités du marché du travail et les obstacles rencontrés par les plus démuni·es. Il s’agit de priver les personnes de leur capacité à avoir du contrôle sur leur vie, sur leurs choix, sur leur temps. Avec le RSA conditionné, on ôte à des personnes déjà en difficulté le peu de capacité d’agir dont elles disposent en taxant lourdement leur unique ressource disponible : leur temps. Et pour celles qui ne peuvent s’y plier, on menace de retirer les seuls moyens de subsistance.
Mettre trop de pression sur les personnes peut les conduire à sortir des dispositifs qui leur sont dédiés. C’est ce que l’on commence à constater à France Travail ! La principale crainte à avoir par rapport à cette réforme du RSA, c’est qu’elle peut marginaliser des publics déjà vulnérables en les privant de leur allocation, et les jeter dans la misère. Ce qui aura pour effet de les contraindre à se livrer à des activités informelles, augmentant le risque du non-recours. Nous pouvons déjà l’observer dans les départements qui ont expérimenté depuis 2023, avec une augmentation de 10,8 % du non-recours au RSA quand il recule au contraire de 0,8 % dans les autres départements.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme, dans un avis rendu en fin d’année dernière s’inquiète particulièrement de ce « glissement qui s’opère d’une politique qui relevait de la solidarité nationale vers des politiques dites d’activation, qui rendent responsables les personnes de leur situation de précarité » Elle ajoute : « La réforme actuelle fait courir plusieurs risques aux droits des personnes, notamment le droit à des « moyens convenables d’existence », prévu dans le préambule de la Constitution de 1946, et le droit à « une insertion sociale et professionnelle librement choisie », inclus dans la Charte sociale européenne. »
Un nouveau contrôle de la vie des chômeur·ses
Le « contrat d’engagement » imposé aux privé·es d’emploi dans le cadre de la loi plein emploi s’apparente à une forme de surveillance accrue de leur parcours professionnel. En signant ce contrat, iels s’engagent à respecter un certain nombre de conditions, telles que l’acceptation de tout emploi proposé, la participation à des formations, ou encore la réalisation de certaines démarches administratives. L’idée est de lutter contre la « tentation » de rester inactif·ves , mais il constitue en réalité un contrôle incessant sur la vie des individus.
Ce contrat crée ainsi une nouvelle forme de précarité administrative, où les privé·es d’emploi sont forcé·es de prouver sans cesse leur volonté de travailler, quitte à accepter des emplois mal rémunérés ou à s’engager dans des formations dont la pertinence peut être discutable. Cela ne prend pas en compte les difficultés réelles rencontrées par les chômeur·ses, comme les discriminations, ou les problèmes de santé, qui rendent difficile l’insertion professionnelle dans des conditions humaines et durables. Cela ne prend pas non plus en compte qu’il n’y a pas d’offres d’emploi pour tout le monde !
Vers une société de surveillance
La mise en place de ces réformes est accompagnée d’un renforcement des outils de contrôle et de répression des chômeur·ses. Le spectre de la radiation, qui prive un individu de toute aide sociale pendant plusieurs mois, pèse ainsi sur celles et ceux qui échouent à remplir les exigences de la réforme. Précédemment, les contrôles portaient sur la recherche active d’emploi. Là, les nouvelles instructions sont claires : il s’agit de sanctionner un comportement général des privé·es d’emploi à partir d’un « faisceau d’indices ». Le contrôle est à la fois plus large et plus flou.
Au-delà de l’aspect bureaucratique, ce contrôle renforcé ne fait qu’accentuer la stigmatisation des demandeur·ses d’emploi, les transformant en fautif·ves présumé·es. Le risque est de créer une société où le chômage n’est plus seulement un problème social, mais une faute personnelle à réparer par un suivi constant, des formations imposées et des emplois souvent précaires.
L’un des enjeux préoccupants liés à ces réformes est l’intégration des technologies, notamment de l’intelligence artificielle (IA), dans le suivi des demandeur·ses d’emploi. L’IA pourrait, par exemple, être utilisée pour analyser les parcours professionnels des chômeur·ses, les orienter vers des offres d’emploi en fonction de leurs profils et prédire leurs chances de retrouver un travail. Ces outils, souvent présentés comme des solutions modernes, soulèvent de nombreuses inquiétudes. L’IA pourrait devenir un outil pour surveiller plus efficacement les demandeur·ses d’emploi, avec des critères de performance qui ne tiennent pas compte de la complexité de la situation individuelle de chaque chômeur·se. Les algorithmes peuvent aussi renforcer les discriminations à l’embauche ou la marginalisation de certaines populations déjà vulnérables.
Ces réformes, loin de répondre aux besoins réels des travailleur·ses et des demandeur·ses d’emploi, semblent davantage viser à les contrôler et les contraindre. Plutôt que d’offrir une véritable sécurité d’emploi et des conditions de travail dignes, elles imposent des exigences irréalistes et un suivi constant, tout en stigmatisant les chômeur·ses.
Dans un contexte social morose, avec la multiplication des plans de licenciements et un chômage qui repart à la hausse, ces politiques du « tout pour l’emploi », au détriment des droits sociaux, pourraient avoir des conséquences dramatiques.
Il est urgent d’abroger ces réformes pour répondre aux défis de l’insertion professionnelle dans un monde du travail en constante évolution, et non pour renforcer le contrôle et l’exploitation du salariat, des plus fragiles.