Plus de 100 000 personnes se sont mobilisées dans les manifestations et rassemblements, en France, le 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Il faut maintenant aller plus loin pour faire baisser le niveau de ces dernières.
PAR Sophie Abraham, Amandine Cormier, Ingrid Darroman
Le mouvement MeToo, en mettant en avant la parole des femmes victimes de violences, a permis une prise de conscience de la société sur l’ampleur des violences sexistes et sexuelles (VSS) et sur la nécessité de les combattre. Pourtant, le niveau des VSS ne diminue pas et reste très élevé. Récemment, le procès des 51 violeurs de Gisèle Pélicot a montré à quel point la culture du viol est ancrée dans notre société et que les agresseurs sont des hommes ordinaires.
En 2023, encore 103 féminicides ont été commis par un conjoint ou un ex-conjoint. 213 000 femmes sont victimes de violences dans le couple et 94 000 viols ou tentatives de viol dont 8 000 au travail ont lieu par an. 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, en majorité au sein de la famille.
Alors que les faits enregistrés pour VSS ont explosé (+282 % entre 2017 et 2023), le nombre de condamnations reste extrêmement faible. 94 % des affaires de viol ont été classées sans suite en 2021.Une très grande majorité des auteurs de VSS bénéficient de l’impunité face à la justice. À cela il faut ajouter le manque de moyens alloués à la lutte contre ces violences et pour accompagner les victimes.
Une loi cadre contre des violences systémiques
Ces violences s’inscrivent dans un continuum dans lequel les discriminations et stéréotypes sexistes jouent un rôle prépondérant. Elles revêtent un caractère systémique et il faudra davantage qu’un saupoudrage de mesures, qui relèvent plus de la communication que de la lutte réelle pour les éradiquer.
Depuis longtemps, les féministes revendiquent une loi-cadre qui prenne en compte tous les aspects de la lutte contre les violences faites aux femmes : prévention, sensibilisation du public, accompagnement des victimes, solidarité financière avec les victimes, sanction et suivi socio-judiciaire des agresseurs avec des programmes spécifiques destinés aux détenus condamnés pour des délits et des crimes liés à la violence à l’encontre des femmes. Dès 2006, le Collectif national pour les droits des femmes avait rédigé une proposition de loi cadre contre les violences faites aux femmes.
C’est dans la continuité de ce travail que la coalition féministe pour une loi-cadre intégrale contre les violences sexuelles a été lancée officiellement le 21 novembre 2024. Celle-ci, formée à l’initiative de la Fondation des femmes, regroupe plus de 60 organisations, associations féministes, organisations syndicales (CGT, FSU et Solidaires), juristes, défenseur·es des droits humains et expert·es. Pendant plusieurs semaines, elles ont mis en commun leurs expertises et leur expérience de terrain pour élaborer 140 propositions1 législatives, réglementaires et budgétaires proposant des solutions concrètes et globales face à l’ampleur des VSS.
Ces propositions couvrent tous les aspects de la lutte contre les VSS :
✓ la prévention par l’éducation et la sensibilisation à tous les niveaux de la société ;
✓ l’identification et la prise en charge des victimes, avec une attention particulière aux groupes vulnérables tels que les enfants, les personnes handicapé·es et les femmes migrantes ;
✓ le soutien psychologique et médical, en facilitant l’accès aux soins pour les victimes et la mise en place de structures d’accueil spécialisées ouvertes 24h/24 ;
✓ la formation des professionnel·les (éducation, santé, justice, police, travail et emploi) pour mieux repérer et traiter les cas de violences sexuelles ;
✓ l’amélioration du parcours judiciaire, en renforçant les moyens humains et financiers de la justice pour qu’elle puisse mieux accompagner les victimes et juger les auteurs des crimes ;
✓ la lutte contre toutes les formes d’exploitation sexuelle, notamment la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains et les violences obstétricales et gynécologiques ;
✓ la sanction des auteurs avec des peines appropriées et un suivi renforcé pour éviter la récidive.
Le gouvernement Barnier avait rejeté l’idée d’une loi-cadre intégrale contre les violences faites aux femmes, jugeant plutôt prioritaire la mise en œuvre des lois existantes. Il est plus que probable qu’il en soit de même des futurs gouvernements sous la présidence d’Emmanuel Macron.
Pourtant la lutte contre les VSS mérite une politique globale et des moyens importants, au moins 2,6 milliards par an : c’est pour cela que les féministes, notamment au sein de la coalition, resteront mobilisées jusqu’à obtention de la revendication de cette loi-cadre intégrale.
1.https://www.loi-integrale.fr/
L’Espagne, un exemple à suivre ?*
En 2004 et 2017, l’Espagne a adopté à la suite une loi et un Pacte d’État contre la violence conjugale avec plusieurs volets: prévention, protection et condamnation des agresseurs. Avec un budget d’un milliard d’euros sur cinq ans, le nombre de féminicides a diminué significativement (72 en 2004, 30 en 2020). Ce budget a permis de créer des tribunaux et des brigades de police spécialisées traitant uniquement les violences de genre. Les magistrat·es mieux formé·es protègent mieux les victimes et condamnent plus sévèrement les agresseurs.
Au même moment en France, le Grenelle des violences conjugales consacrait seulement 5 € par habitant·e contre 16 € en Espagne. Et si des policier·es suivent des formations pour mieux accueillir et protéger les victimes, seule 1 sur 5 porte plainte et peu aboutissent à une condamnation. En 2019, les condamnations étaient deux fois plus élevées en Espagne (36 000). L’Espagne délivre 17 fois plus d’ordonnances de protection et les délais pour leur obtention sont plus rapides (72 h contre 6 jours en France). Or, les mesures de cette ordonnance sécurisent la victime: bracelet anti-rapprochement (seulement 1 000 en France), aides financières versées par la CAF (230 à 1 300 euros), chambre en hébergement spécialisé (10 000 places).
La plateforme espagnole VioGén permet la collaboration de toutes les administrations pour assurer un suivi partagé et une évaluation constante du danger pour les victimes afin de prendre des mesures de protection rapides. En 2021, 56 000 femmes et enfants ont ainsi été protégé·es de récidives. La part de victimes espagnoles tuées ayant porté plainte contre leur conjoint, est passée de 70 % à 20 % entre 2010 et 2020. En France, ce taux s’élevait à 40 % en 2019.
Selon l’ONG Fundacion Mujeres, le regain de féminicides depuis 2023 en Espagne montre qu’il faut« renforcer la sensibilisation de la population pour combattre la minimisation du risque » etinciter l’entourage à parler quand il sait.
* Rapport sur « Les politiques publiques de lutte contre les violences conjugales en Espagne : regards croisés avec la France »