La précarité se développe dans la fonction publique. Cela peut paraître surprenant tant cette dernière est associée à la stabilité et à la sécurité de l’emploi.
PAR Émilie Moreau
Dans la fonction publique (FP), une première cause de précarité se trouve dans la faiblesse des rémunérations des agent·es. Les pieds de grilles indiciaires des fonctionnaires des catégories C et de certaines catégories B sont à peine au-dessus du niveau du Smic et les espaces indiciaires de ces grilles, c’est-à-dire l’écart entre le premier et le dernier échelon, sont très limités. Cela maintient les agent·es dans une fragilité financière durable. Dans la fonction publique d’État (FPE) 24% des agent·es sont de catégorie B et 20% de catégorie C et, respectivement, 15% et 72%, dans la fonction publique territoriale (FPT).
Cette fragilité est accentuée par les politiques de rigueur se traduisant notamment par le gel de la valeur du point d’indice. Depuis 2010, l’inflation cumulée atteint plus de 25%, très loin du niveau d’augmentation de la valeur du point d’indice (6,8%).
La possibilité pour les employeurs publics d’imposer des temps de travail incomplets (d’une durée inférieure à la durée légale) est une deuxième cause de précarité. En effet, cela revient à imposer un salaire incomplet et une situation financière difficile, en particulier pour les agent·es de catégorie C ou les contractuel·les. Cette situation concerne plus particulièrement la FPT où un emploi à temps non complet peut être occupé par un·e fonctionnaire ou un·e contractuel·le quelle que soit la durée du temps de travail (dans la FPE une durée égale ou inférieure à 24h30 ne peut pas être imposée à un·e fonctionnaire).
La généralisation de l’emploi contractuel
L’accroissement du recours à l’emploi contractuel est une troisième cause de précarité car les agent·es ainsi recruté·es sont moins bien rémunéré·es, subissent plus souvent des temps de travail incomplets et bénéficient de protections moindres en matière de stabilité de l’emploi.
Les politiques néolibérales de rigueur budgétaire et de destruction de la FP menées depuis plusieurs années ont conduit, petit à petit, à réduire les effectifs permanents de fonctionnaires. Le recours aux contractuel·les et aux vacataires, limité au départ à des besoins ponctuels, a aujourd’hui largement dépassé ce cadre, notamment à cause de la loi de la transformation de la fonction publique qui facilite leur recours pour des emplois permanents. En 2022, 22% des 5,7 millions d’agent·es de la FP sont des contractuel·les.
Ces causes de précarité coexistent, s’entremêlent et parfois se cumulent, dégradant d’autant plus la situation des agent·es et en particulier des femmes qui sont surreprésentées dans les emplois à temps incomplets ou faiblement rémunérés. C’est le cas pour les 128466 accompagnant·es pour les élèves en situations de handicap (AESH), emploi contractuel à temps incomplet (à 63,7% en moyenne) exercé à 93,4% par des femmes. La grille indiciaire définit une rémunération, nette à temps complet entre 1 566 et 1 897 euros, soit entre 997 et 1 208 euros pour une quotité de travail à 63,7%.
Justice sociale
Pour l’ÉÉ et la FSU, mettre fin à la précarité dans la FP est une revendication essentielle pour plus de justice sociale, d’égalité et de meilleures conditions de travail et de vie. Cela passe par un temps de travail choisi par les agent·es et par une revalorisation salariale d’ampleur pour tous les personnels (augmentation et indexation de la valeur du point d’indice et reconstruction des grilles indiciaires). De telles mesures seront aussi un moyen de reconnaître l’importance des métiers publics et l’engagement des agent·es au service du public.
Réduire la précarité c’est aussi réduire le recours à l’emploi contractuel et renforcer le statut général de la FP et le service public (SP). En effet, la contractualisation a des effets négatifs pour les personnels eux-mêmes mais aussi pour l’ensemble de la FP dans la mesure où l’égalité de traitement des agent·es est mise à mal par le recrutement de personnels sous contrat. Inégalités accentuées par la mise en concurrence créée par certains employeurs publics comme l’Éducation nationale, où dans certaines académies et disciplines déficitaires, les contractuel·les peuvent obtenir des remplacements plus intéressants que les remplaçant·es titulaires. La mise en concurrence et les inégalités sont également contraires au nécessaire travail collectif essentiel au bon fonctionnement des SP et à la qualité du service rendu. Par ailleurs, le recrutement de contractuel·les contourne la voie principale d’accès à la FP qu’est le concours, mettant à mal l’égalité des chances dans l’accès à la FP et introduisant une logique de recrutement opaque. De plus, ce type de recrutement peut entraîner une perte d’expertise à long terme: la formation de ces agent·es est moindre et la précarité de leur situation conduit à un turnover important, ce qui nuit à la continuité et à la qualité des services rendus à la population.
C’est pourquoi, l’ÉÉ et la FSU revendiquent une titularisation massive des agent·es contractuel·les et dans un premier temps l’amélioration des droits des contractuel·les pour que les employeurs n’aient aucun avantage à recruter par cette voie et pour en finir avec la mise en concurrence des agent·es entre elles et eux.
Sources:
– Rapport annuel sur l’état de la FP, 2024 Panorama statistique des personnels de l’enseignement scolaire 2023-2024
– Base de données sociales de l’ESR, 2022
– «L’explosion du recours aux vacataires, ou l’ubérisation de l’enseignement supérieur» note du collectif Nos services publics, avril 2024.