Consentement dans la définition pénale du viol, fausse bonne idée ?

La proposition d’introduire la nécessité d’un consentement positif dans la définition pénale du viol suscite des débats aussi bien chez les féministes que chez les professionnel·les du droit.

Par Amandine Cormier

Le 8 mars 2022, la Commission européenne a proposé une directive européenne sur la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Son article 5, qui visait à établir une norme minimale pour la criminalisation du viol dans l’Union européenne, proposait une définition commune du « crime de viol » caractérisé dès lors que la victime n’a « pas consenti à l’acte sexuel ». S’alignant sur la Convention d’Istanbul, l’article mettait l’accent sur l’absence de consentement de la victime, ce qui avait provoqué des débats. La France s’était opposée à cette définition.

La définition actuelle du viol — « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol » (article 222-23 du Code pénal) — a été obtenue en 1980 grâce aux mobilisations féministes et à la suite du procès d’Aix de 1978. Dans ce procès pour viol de deux jeunes touristes belges par trois hommes, Gisèle Halimi et l’association Choisir avaient décidé de mettre en accusation la loi elle-même aux côtés des trois hommes reconnus coupables et condamnés. Auparavant, le viol n’était défini que par la jurisprudence.

L’introduction de la notion de consentement dans la définition pénale du viol en droit français divise les professionnel·les du droit comme les féministes, même si tout le monde s’accorde sur le fait que le viol est trop faiblement pénalisé (voir encadré).

Un pas vers l’égalité

Les partisan·es de l’introduction de la notion de consentement dans la définition du viol estiment que cela diminuerait le nombre de classements sans suite en permettant la prise en compte de situations où les procureur·es ne parviennent pas à prouver qu’il y a eu contrainte, violence, menace ou surprise. Aujourd’hui pour elles et eux, une présomption de consentement est présente en filigrane dans le Code pénal, présomption qui ne s’efface que s’il y a violence, contrainte, menace ou surprise. Obliger l’auteur présumé à s’assurer du « consentement positif » de la personne, de son accord librement exprimé permettrait de se défaire de cette présomption.

Ils et elles y voient aussi une avancée d’un point de vue éducatif. Dire dans la loi qu’il est important de s’assurer que l’autre est d’accord pour un acte sexuel serait un pas vers l’égalité entre les femmes et les hommes et vers des relations égalitaires, en mettant fin à l’idée que le corps des femmes est à disposition des hommes.

Le risque de faire du viol un crime à part

Pour les opposant·es à l’introduction du consentement dans la définition française du viol, malgré son absence actuelle du Code pénal, la question du consentement de la victime est constamment présente dans les affaires de viol et chez les acteur·trices judiciaires. L’attitude de la victime est toujours étudiée pour savoir si elle était consentante ou non à l’acte sexuel. « Au lieu de se concentrer sur la stratégie de l’agresseur, la justice se focalise sur un éventuel consentement de la victime^^ ^1^ », expliquent les signataires d’une tribune dans l’Humanité en septembre 2024. « On se focalise davantage sur l’état d’esprit de la plaignante que sur le comportement de l’accusé », selon Catharine MacKinnon, avocate et écrivaine américaine. En devenant un critère de la qualification du viol, le comportement de la victime serait alors encore plus central qu’il ne l’est aujourd’hui, avec le risque de faire peser sur elle la responsabilité du viol.

Ces discussions laissent aussi penser que le viol serait un crime à part, où les débats sont centrés sur la victime. A-t-on déjà réfléchi à modifier la définition pénale du meurtre pour y intégrer la notion de consentement de la victime ? Pour le viol, comme pour les autres crimes, c’est le comportement de l’agresseur qui doit être questionné et condamné, pas celui de la victime.

Le poids du patriarcat

Un autre écueil consisterait à croire qu’« un oui est toujours un oui ». La notion de consentement ne tient pas compte des inégalités entre les femmes et les hommes et de la société patriarcale dans laquelle nous vivons. Le consentement à un acte sexuel peut être extorqué dans un contexte de domination, de manipulation ou de contrainte dans lequel une victime pourrait « consentir » à un acte sexuel non désiré par peur des représailles, par pression sociale ou parce qu’elle n’a pas les moyens de s’affirmer. D’après le Collectif féministe contre le viol, extorquer le consentement des victimes fait partie intégrante de la stratégie des agresseurs pour assurer leur impunité.

Autre argument des opposant·es, le viol n’a rien à voir avec la sexualité. Il ne s’agit pas d’un rapport sexuel non consenti mais d’une violence. C’est un acte imposé, un crime caractérisé par des éléments légaux, matériels et intentionnels, par une violation de l’intégrité physique des victimes avec des conséquences lourdes et durables. Le violeur cherche à accomplir son projet d’acte sexuel quelle que soit l’expression du refus de sa victime, il cherche à la dominer.

Le procès des viols commis sur Gisèle Pelicot par Dominique Pelicot et ses 50 co-accusés, a relancé le débat sur la définition pénale du viol. Au-delà de la sanction pénale, ces débats montrent aussi que la prévention et l’éducation doivent être une priorité pour lutter contre la culture du viol qui imprègne notre société.

Les délits et crimes sexuels sont l’une des formes les plus répandues de violences contre les filles et les femmes.

97,3 % des agresseurs sont des hommes.

En France, seules 6 % des victimes de viol, tentative de viol ou agression sexuelle portent plainte^2^. Il s’agit d’une estimation minimale, car l’enquête interroge seulement les femmes de 12 à 74 ans vivant en France continentale et en ménages ordinaires. Elle ne permet pas d’enregistrer les violences subies par les personnes vivant en collectivité (foyers, centres d’hébergement, prisons, etc.) ou sans domicile fixe.

Le nombre de classements sans suite pour les affaires de viol est de 94 %^3^.

En 2020, le nombre de mineur·es victimes de violences sexuelles enregistré en France s’élevait à 39 433, le nombre de personnes déclarant avoir été victimes d’inceste en France en 2020 était de 6,7 millions et la part de filles parmi les victimes de violences sexuelles contre les mineur·es en France était de 78 %^4^.

1. https://www.humanite.fr/en-debat/consentement/justice-contre-lintroduction-du-consentement-dans-la-definition-du-viol

2. Source : Enquête « Vécu et Ressenti en matière de Sécurité » 2022 – Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI)

3. Étude de l’Institut des politiques publiques portant sur la période de 2012 à 2021

4. Statista, 2020, Pédocriminalité, inceste et violences sexuelles sur mineurs en France – Faits et chiffres | Statista.