Les guerres au Proche-Orient s’enchaînent, multipliant les destructions et les victimes. La paix semble introuvable, la communauté internationale est absente, et les dirigeants israéliens paraissent plus déterminés que jamais à poursuivre ces guerres au Liban comme dans la bande de Gaza. Quelles sont les visées israéliennes et comment analyser les récents développements avec l’Iran ?
➤En dépit des assassinats de Hassan Nasrallah et Yahya Sinwar, respectivement chefs du Hezbollah libanais et du Hamas, l’armée israélienne poursuit ses guerres à Gaza comme au Liban. Quels sont les objectifs politico-militaires d’Israël ?
Il y a en Israël un large consensus au sein de la population juive sur les opérations militaires. Le 7 octobre est venu percuter ce faux-semblant dont s’étaient persuadés la population comme les politiques : une sécurité possible grâce à un ensemble de dispositifs sécuritaires et d’apartheid organisant l’enfermement des Palestinien·nes, mais sans rien régler politiquement. L’effondrement sécuritaire provoqué par l’attaque du Hamas a entraîné un consensus autour de la nécessité de multiplier les guerres pour « changer la réalité », comme le disent les dirigeant·es israélien·nes, et donc « rétablir » la sécurité et la dissuasion israélienne.
Mais selon le terrain d’opération, des divergences sont apparues. Ainsi, pour Gaza, on a par exemple le camp Netanyahou et ses allié·es d’extrême droite qui veulent aller « jusqu’au bout », à savoir l’usage de la force au détriment de négociations pour libérer les otages, comme le privilégie désormais l’opposition dite centriste et libérale. C’est la raison pour laquelle Netanyahou est accusé de sacrifier la vie des otages.
À l’inverse, le consensus militariste tient en ce qui concerne le Liban. À titre d’exemple, le leader de la gauche sioniste (les héritiers de Rabin), Yair Golan, a plaidé sans ambiguïté pour l’invasion terrestre du Sud-Liban. Depuis 2006, et le dernier affrontement avec le Hezbollah, le front nord est considéré par les autorités israéliennes comme la plus grande menace sécuritaire. L’état-major israélien a cette confrontation en tête depuis cette date et s’y prépare.
D’un côté, il paraît clair que le gouvernement instrumentalise la guerre faite au Hamas pour « solder » la question palestinienne, voire organiser la recolonisation de Gaza, là où d’un autre côté, les décisions concernant le Liban, notamment l’occupation du sud, ne semblent pas définitivement arrêtées. Il y a donc deux guerres parallèles, chacune avec sa logique propre mais liées par l’objectif commun : garantir la sécurité d’Israël par l’écrasement de ses voisins. Dès lors, tout porte à croire que ces guerres vont se poursuivre.
➤Dans cette configuration, comment faut-il lire les récents développements entre Israël et l’Iran ?
L’Iran n’a pas les moyens d’une confrontation directe. C’est d’ailleurs la logique des proxys (alliés) militaires soutenus par l’Iran à travers la région : milices chiites en Irak, houthistes au Yémen, Hezbollah libanais… Chacun de ces groupes dispose de son propre agenda mais représente, du point de vue iranien, des entités permettant d’assurer sa dissuasion autant que de répliquer sans engagement direct. Engagement direct qui est, du côté israélien, la position soutenue par une partie non négligeable de dirigeant·es, Netanyahou en tête.
Les frappes directes iraniennes sur Israël qui ont eu lieu sont donc un événement en soi exceptionnel. L’escalade est réelle mais limitée car il n’y a aucune volonté (ni capacité) de confrontation directe côté iranien. Néanmoins, il y a une vraie volonté, et ce depuis le 7 octobre 2023, de maintenir la pression sur l’État israélien tant qu’il n’aura pas mis fin à sa guerre génocidaire à Gaza par la signature d’un accord de cessez-le-feu. C’est la lecture qu’il faut faire des roquettes envoyées par le Hezbollah sur Israël : faire pression sur le nord israélien pour marquer une solidarité avec les Palestinien·nes et contraindre l’armée israélienne à diviser ses forces.
Plus largement je pense qu’il faut se défaire de cette idée d’une « communauté internationale agissante », au profit d’une analyse lucide des rapports de force internationaux. L’impunité d’Israël depuis un an aurait pu se traduire par une forme de raidissement d’un certain nombre de puissances occidentales autour de l’attaque du Liban qui recoupe d’autres enjeux. Dans les faits, il n’en est rien et le soutien états-unien demeure.
La seule évolution notable tient aux efforts de la Maison Blanche pour éviter que les bombardements israéliens ne visent en Iran autre chose que des cibles militaires. La volonté est évidente de la part du camp démocrate, à la veille des élections, de contenir autant que possible la guerre, sans pour autant chercher à y mettre fin. Pour le dire autrement, des bombardements israéliens sur des installations nucléaires ou des zones civiles iraniennes, comme c’est le cas à Gaza ou au Liban, auraient sans aucun doute franchi un cap militaire. Cela semble paradoxal, mais les démocrates espèrent sérieusement transformer cela en un succès diplomatique en vue des élections (ndlr entretien réalisé le 2 novembre).
➤Quelle est la situation actuelle et le futur proche dans les Territoires palestiniens occupés ?
Il n’est pas exagéré de dire que la situation actuelle est la plus grave que les Palestinien·nes traversent en ce qui concerne leur droit à la souveraineté depuis 1948. Du côté de Gaza, on est tout simplement sur une destruction totale qui s’accompagne d’un exode de survie dont on ne mesure pas encore l’ampleur.
En Cisjordanie, l’arbitraire règne et des milliers de Palestinien·nes ont été arrêté·es pour empêcher toute révolte ou briser les formes de solidarité. Cela s’accompagne d’incursions massives de l’armée sur des villes où la résistance armée peut encore exister (Naplouse, Tulkarem, Jénine, notamment), tandis que dans les zones rurales, les attaques de colons exercent une pression permanente pour maintenir la domination. Et ainsi, les plus radicaux parmi ces colons poussent les paysan·es à quitter leur terre pour asseoir définitivement le joug colonial.
Voilà pourquoi je dis qu’Israël cherche à « solder la question palestinienne ». C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le vote de la Knesset interdisant toute activité à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) : l’élimination concrète de toute entité qui pourrait soutenir, même de façon minime, les Palestinien·nes (population composée à plus de 50 % de réfugié·es) et par là même, la cause palestinienne.
Propos recueillis parAntoine Chauvel**
*Doctorant en Études politiques (EHESS/ULB) et membre du comité de rédaction de Yaani.fr