Si l’organisation du lycée en trois voies (générale, technologique et professionnelle) a été un outil de massification de l’accès au baccalauréat et aux études supérieures, cette organisation est également un système qui reproduit les inégalités sociales.
Par Olivier Thiébaut
àla rentrée 2023, les élèves dont les parents sont employé·es, ouvrier·es ou inactif·ves (hors retraité·es) représentaient 50,3 % des élèves de collège mais seulement 35,6 % des élèves de la voie générale (hors seconde) contre 53,5 % des élèves de la voie technologique et 68,6 % de celleux de la voie professionnelle… Des proportions quasi identiques à celles de 2017, avant les réformes Blanquer. Celles-ci et les réformes antérieures ont particulièrement fragilisé le lycée. Depuis 2009, les transformations successives de la voie professionnelle ont systématiquement abouti à une baisse des volumes horaires. L’objectif est de préparer l’employabilité des futur·es salarié·es (par l’intégration des soft skills, comme les compétences comportementales, par exemple) et de valoriser l’apprentissage sous le contrôle direct du patronat. Depuis 2017, la dépense annuelle moyenne par élève en euros constants stagne ou régresse dans le secondaire, à l’exception de l’apprentissage. Les voies générale et technologique ont également souffert des réformes Blanquer. Ces dernières, en couplant une nouvelle organisation du lycée à la mise en place de Parcoursup, ont accentué la hiérarchisation des voies. En effet, de nombreuses formations du supérieur sont dorénavant fermées aux lycéen·nes (souvent d’origines modestes) de la voie technologique qui a été oubliée des politiques publiques. La mise en place des spécialités a créé des parcours d’initié·es et a renforcé les inégalités sociales et de genre. La fausse ouverture de la voie générale « au libre choix » est donc un leurre qui organise le tri de la jeunesse.
Pourquoi le lycée unique n’est-il pas encore porté par la FSU ?
Personne ne nie le maintien des inégalités dans le cadre des trois voies ni la ghettoïsation de certaines formations. Les mêmes militant·es qui mettent en avant les réussites des voies technologiques et professionnelles admettent la dégradation accélérée des conditions de travail et la présence trop importante d’élèves orienté·es par défaut. De la même manière, beaucoup de camarades sentent que le système actuel et les réformes en cours dans l’ensemble de l’école renforcent l’idée néfaste qu’il y a des savoirs fondamentaux et d’autres, annexes. C’est pour cela, et parce qu’autrement, les mandats d’une scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans et d’une culture commune n’auraient aucun sens, que des mandats d’étude ont vu le jour lors des derniers congrès de Metz pour la FSU et de La Rochelle pour le Snes-FSU visant, pour ce dernier, à une classe de seconde la plus commune possible.
Néanmoins, pour la majorité UA du Snes-FSU, les conséquences des réformes Blanquer valident par l’absurde les inquiétudes quant à la fragilisation du lycée et rendent plus difficile la critique de la hiérarchisation des voies, puisque ces dernières seraient une protection contre les attaques des dernières années. Le rejet d’un lycée commun chez UA prend également appui sur les craintes d’annualisation et de bivalence issues de la voie professionnelle… comme si la structure actuelle avait empêché les attaques néolibérales contre les statuts. Dans d’autres syndicats de la FSU, ces arguments s’associent à des réflexes corporatistes de défense des corps, par exemple celui des professeur·es de lycée professionnel, et c’est une logique semblable qui vaut pour la défense des spécificités de la voie technologique. A contrario, pour l’ÉÉ, la revendication d’un lycée unique s’articule avec celle d’un corps unique de la maternelle à l’université. À une plus grande échelle, malgré les affirmations, présentées comme fédérales, sur l’unité du second degré, l’idéal d’une école commune reste un horizon lointain et il apparaît plus simple de défendre auprès de la profession un cadre existant.
Le lycée unique pour l’ÉÉ
Alors que les familles populaires aspirent aux études supérieures (et à la diplomation au niveau licence) pour leurs enfants, surreprésenté·es dans la voie professionnelle et, dans une moindre mesure, dans la voie technologique, les politiques éducatives actuelles limitent considérablement leurs possibilités de poursuite d’études à l’université alors que celle-ci, en tant que service public, a vocation à les accueillir. Il y a une forme de contradiction dans le fait de défendre d’une part l’accès de droit à l’université pour toutes et tous les bachelier·es ainsi qu’une scolarité portée à 18 ans, et de l’autre, à défendre l’existence de trois voies au lycée, très hiérarchisées socialement et scolairement. À terme donc, il faudra revendiquer une forme de rapprochement des trois voies par une culture commune ambitieuse même si, dans l’immédiat, la défense des moyens d’enseignement existants est impérative pour ne pas accélérer la casse du système éducatif.
Pour l’ÉÉ, le lycée unique est un lycée commun et polytechnique pour toutes et tous les élèves, c’est-à-dire leur proposant des enseignements techniques, professionnels et généraux avec une spécialisation progressive. Ce projet s’entend parce que l’ÉÉ, et, plus globalement, la FSU portent un projet de transformation de l’école et de la société qui ne peut pas aller à son terme sans élévation de l’ambition scolaire pour tou·tes. Ce qui fait actuellement obstacle à leur réussite pleine et entière n’est pas à chercher dans les capacités ou les compétences qu’on leur prête, mais dans les conditions qui leur sont faites pour étudier, et celles qui nous sont faites pour conduire les apprentissages avec succès. C’est cette dégradation des conditions de travail et d’études du fait de politiques éducatives néolibérales qui peut conduire à penser qu’un lycée unique est utopique. Défendre ce projet impose donc de renforcer le collège, dernier maillon commun de l’école. C’est là et à l’école primaire qu’il faut lutter contre les déterminismes sociaux. Cela passe par des moyens supplémentaires et la lutte contre tous les dispositifs (troisième prépa métier, par exemple) qui visent, dans le discours, à penser et traiter les inégalités, mais qui, dans les faits, contribuent à les creuser. Avancer vers cet objectif, c’est aussi cesser de penser que les enseignements techniques et professionnels ne sont pas pour toutes et tous.
Ce projet revient à « découpler les capacités formées à l’école et leur usage dans le travail »1. Dit autrement, la démocratisation scolaire poussée à son terme constitue un verrou contre l’entrisme du patronat dans l’école tout en massifiant jusqu’au bout l’accès aux savoirs, à tous les savoirs, pour toutes et tous les élèves. Ce sont les injonctions multiples et contradictoires, sans moyens, du système actuel et son absence de réponse aux évolutions sociales et aux difficultés scolaires, qui limitent le niveau des savoirs, pas leur massification. Nous partons travailler le matin pour faire réussir les élèves qui nous sont confié·es, mais nous en sommes empêché·es. Le projet de lycée unique polytechnique que porte l’ÉÉ est une réponse à la perte de sens vécue par les collègues et justement dénoncée par la FSU.
1. Jean-Pierre Terrail, « Tous à l’école à 18 ans ! », article publié dans Le Monde diplomatique en septembre 2021 et reproduit sur le site du Groupe de recherches sur la démocratisation scolaire (https://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article333)