Plus de 60 % des collèges n’appliquent pas les « groupes de niveau » tels que G. Attal les a conçus. Si cette première bataille gagnée contre le tri des élèves démontre les forces de résistance des personnels, elle cache d’importantes disparités et ne doit en rien occulter les combats qu’il reste à mener.
Par Jordi Le Cointe
Pour un·e collègue débutant en septembre en collège, en français ou mathématiques, c’était la grande surprise. Comment s’organiseraient ses enseignements ? Les retours de terrain (plus de 1 500 retours à l’enquête collège initiée à la rentrée par le Snes-FSU) démontrent une multitude d’organisations qui se structurent en trois modèles.
Tout d’abord, la mise en place de regroupements hétérogènes et fixes sur l’année : les professeur·es suivent alors les mêmes élèves, mais celleux-ci n’appartiennent pas forcément à la même classe. Cela permet d’éviter le tri des élèves en fonction de leur niveau et les atteintes à la liberté pédagogique. Les établissements dans lesquels cette formule s’est imposée sont souvent ceux où les équipes ont le plus résisté.
Ensuite, il y a les établissements où la réforme s’applique quasiment à la lettre. Après une période en classe entière (avec de la co-intervention pour les enseignant·es chargé·es ensuite de prendre un groupe), les élèves sont trié·es par niveaux et réparti·es dans des groupes. La composition de ces derniers est réévaluée plusieurs fois dans l’année. Dans ce type de configuration, les élèves sont stigmatisé·es et les professeur·es doivent suivre des progressions communes.
Enfin, des établissements ont constitué les groupes à partir des classes, moins quelques élèves identifié·es comme « en difficulté », qui sont réuni·es dans un même groupe. C’est la configuration la plus stigmatisante pour ces élèves exclu·es de leur classe.
À la marge, dans quelques collèges (souvent de petite taille), la réforme n’est pas du tout appliquée. Dans d’autres, les groupes n’existent que sur un niveau (le plus souvent en sixième), ou alors la co-animation (sur tout ou partie de l’horaire disciplinaire) remplace les groupes.
Le ravage des « barrettes »
Si, selon les académies, il a été permis aux personnels de direction de transiger plus ou moins avec la réforme, un élément est quasiment incontournable : la mise en barrette des cours de français et de mathématiques. Cela signifie que les élèves d’un niveau donné ont tou·tes cours de français ou de mathématiques en parallèle.
Il faut donc que les professeur·es de ces disciplines travaillent aux mêmes heures, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’organisation du collège. Cela permet surtout, en cas d’absence de professeur·es, de redistribuer les élèves concerné·es dans les autres cours qui ont lieu en parallèle. Un moyen donc de dissimuler le manque de remplaçant·es et les postes non pourvus, quitte à désorganiser le travail des enseignant·es avec des effectifs qui explosent et des préparations de cours qui tombent à l’eau. Parmi les batailles à mener, il y aura donc celle de la barrette !
Les nombreuses contraintes induites par cette réforme ne sont pas sans effet sur l’organisation des établissements. Ainsi, il n’est plus rare que des élèves aient les deux tiers de l’horaire hebdomadaire d’une discipline le même jour. Une aberration pédagogique ! Les « trous » (période sans cours au milieu d’une journée) se multiplient dans les emplois du temps, surchargeant les salles de permanence et rallongeant les journées des élèves comme des personnels (qui n’ont souvent pas le matériel ou l’espace pour travailler sur place).
Pour les élèves de sixième, l’explosion du groupe classe (dont les effets délétères au lycée lors de la dernière réforme ne sont plus à démontrer) entraîne une hausse du stress, avec des emplois du temps parfois incompréhensibles. Dans les collèges où le tri est organisé, il produit une pression énorme sur des enfants de 10 à 12 ans.
Des élèves maltraité·es
Si certain·es chef·fes d’établissement ont affirmé leur hostilité à la réforme, la majorité a tenté de l’appliquer au plus proche des textes, au moins dans un premier temps. Celles et ceux qui ont tenu bon dans leur hostilité, ou cédé du terrain dans leur volonté d’appliquer la réforme, l’ont fait grâce aux résistances locales, qui elles-mêmes ont contraint le ministère Belloubet à desserrer un peu l’étau. Il faut tout de même souligner le zèle de certain·es, souvent les plus carriéristes, qui a conduit à des situations d’extrême conflictualité dans les établissements et même à des recours au tribunal administratif, soutenus par le Snes-FSU.
Concernant les corps d’inspection, cela dépend des disciplines : en lettres, les inspecteur·rices, dans l’ensemble défavorables à la réforme, ont plutôt contribué à son assouplissement ; en mathématiques, iels ont souvent poussé à la mise en place de regroupements par niveau. Dans certaines académies comme celle de Lille, des « descentes » d’inspecteur·rices de mathématiques en septembre ont eu lieu pour imposer le tri des élèves là où il n’avait pas encore cours ! Par ailleurs, s’il y a un groupe d’élèves qui est particulièrement touché par cette réforme (malgré les pseudos assurances des ministres successif·ves), ce sont les élèves à besoins particuliers, qui se retrouvent souvent dans le groupe des « faibles ». Cela peut concerner les élèves allophones, celleux qui sont atteint·es de troubles du neuro-développement ou les sections d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa). C’est donc bien l’inclusion qui est mise en danger par les groupes de niveau, en plus du manque colossal de moyens.
Les batailles à mener
Lors de la mobilisation du printemps dernier, deux batailles ont été gagnées : celle de l’opinion (la profession est aujourd’hui majoritairement opposée aux groupes de niveau ce qui n’était pas acquis au début de la mobilisation) et celle contre le tri des élèves, puisque la réforme dans la version Attal ne s’applique que minoritairement.
Les risques sont cependant encore énormes, notamment avec la généralisation (déjà prévue dans la loi) des regroupements de niveau en quatrième et troisième à la rentrée prochaine. C’est alors toute la marge (les trois heures en plus des horaires réglementaires par division, octroyées à chaque établissement, et qui servent à mettre en place certains enseignements comme les options, ou des groupes réduits en sciences ou en langues) qui y passerait. C’est aussi une pression supplémentaire sur les emplois du temps et les salles, qui induirait une dégradation des conditions d’enseignement et de travail.
Les mises en barrette doivent tomber, et à travers elles tout le système de tri, sur l’ensemble du pays et non plus seulement dans les collèges mobilisés. Cela passera par la création rapide d’un rapport de force en mobilisant, notamment dans les lieux où ce ne fut pas le cas au printemps dernier, autour des difficultés rencontrées en cette rentrée.