Les promesses économiques du macronisme ont fait long feu. La diminution drastique des recettes publiques alimente le déficit, met la croissance en berne et entrave la réindustrialisation. Les conséquences sociales et politiques sont connues.
Par Philippe Légé
Le 3 avril 2017, Emmanuel Macron déclarait : « si je bats Marine Le Pen et que nous arrivons au bout de la recomposition de la vie politique et de notre action, je suis convaincu que la raison d’être du Front national sera très affaiblie. Parce qu’il se nourrit des inefficacités du système. » Bilan : la présidentielle 2022 a représenté une progression historique de l’extrême droite, le RN a fait plus du double du score de la majorité présidentielle lors de l’élection européenne de 2024 et il a gagné encore 5 millions de voix par rapport à 2022 lors du premier tour des législatives 2024. Le rejet politique du macronisme se double, et se nourrit en partie, d’un échec économique. En réduisant de 38 milliards les impôts sur les entreprises, Emmanuel Macron pensait « libérer la croissance ». De 2017 à 2024, le PIB a augmenté au rythme annuel moyen de 0,85 %. Le président ne promettait-il pas la réindustrialisation ? Elle n’a pas eu lieu. Un retour à l’équilibre budgétaire ? De 2017 à 2024, le solde public s’est dégradé de 2,7 points, dont 2,5 points peuvent être attribués à la baisse des impôts. Seule promesse tenue : le niveau d’emploi a augmenté. Mais cette hausse provient surtout du développement de l’apprentissage et des emplois mal rémunérés.
Une gestion budgétaire exécrable
Le déficit budgétaire était de 5,5 % du PIB en 2023. Le programme de stabilité transmis à la Commission européenne en avril 2023, puis la Loi de finances adoptée en décembre (en application de l’article 49.3 de la Constitution), prévoyaient de le ramener à 4,4 % du PIB en 2024. Le ministre des Finances de l’époque, Bruno Le Maire, déclarait que la réduction du déficit était « un impératif catégorique » et appelait sa majorité « à revenir à l’esprit de 2017 » et à son « ADN politique ». Or, selon le nouveau ministre, Antoine Armand, on s’achemine vers un déficit « entre 6,1 et 6,2 % selon toute vraisemblance ». Certes, le budget réalisé n’est jamais identique à la prévision, mais l’écart est d’une ampleur inouïe : près de 50 milliards d’euros ! L’impact de la chute des transactions immobilières sur les finances publiques a été sous-estimé. Les rentrées de TVA s’avèrent moindres du fait d’une consommation des ménages stagnante depuis la fin 2023. La hausse des inégalités et la stagnation du pouvoir d’achat en 2023 (+0,3 %) en sont les principales causes. Par ailleurs, Bercy a sans doute « mal intégré qu’une croissance de l’emploi portée par les bas salaires, les micro- entrepreneurs et l’apprentissage rapporte peu en cotisations sociales, mais est coûteuse en subventions. »1
Des recettes fiscales amputées
Ce qui est en cause est, de façon plus générale, la trajectoire que le macronisme a fait subir aux finances publiques. Les dépenses publiques ont été bridées. Depuis 2017, elles ont augmenté au même rythme annuel moyen que le PIB, soit 0,85 %. En revanche, les prélèvements obligatoires ont été réduits de 71 milliards. Cela a contribué à creuser les inégalités et à étouffer l’activité en encourageant l’épargne des plus riches et des grandes entreprises. Par exemple, selon France Stratégie, l’instauration du prélèvement forfaitaire unique (« flat tax ») de 30 % sur les revenus du capital a conduit à une hausse des dividendes versés, mais sans effet mesurable sur l’investissement productif ni sur l’emploi2. De son côté, la Cour des comptes a indiqué dans son rapport de juillet 2024 que « la période 2018-2023 a été marquée par d’importantes baisses d’impôts, dont l’impact est estimé à 62 milliards d’euros en 2023, soit 2,2 points de PIB. »3 Malgré cela, le taux de prélèvements obligatoires est demeuré assez stable jusqu’en 2022, car le dynamisme spontané des recettes « masquait encore, fin 2022, l’effet des baisses de prélèvements obligatoires intervenues depuis 2018 ». Mais depuis 2023, le ralentissement des prélèvements « révèle l’impact sur moyenne période des mesures de baisses de prélèvements obligatoires mises en œuvre à partir de 2018 ». En clair, le macronisme a sapé les moyens de l’action publique.
Des dépenses publiques précieuses
Or il est faux de se représenter l’économie comme reposant sur l’activité d’un secteur privé dont l’énergie ne demanderait qu’à être libérée du boulet du public. Outre leur nécessité sociale, les dépenses publiques en prestations sociales, en investissement et en salaires assurent des débouchés au privé. C’est particulièrement vrai en 2024 : la consommation des ménages n’augmente que de 0,7 % contre 1,5 % pour celle de services publics, et tandis que diminue l’investissement des entreprises (-1,7 %) et des ménages (-5,9 %), celui des administrations publiques augmente (+2,1 %). En réduisant ses dépenses publiques, la France aurait suivi la voie allemande vers la récession. C’est pourtant ce que s’apprête à faire le gouvernement Barnier, ce qui provoquera une dégradation des services publics, une hausse du chômage, mais aussi… une contraction des rentrées fiscales. En outre, il est contreproductif sur le plan écologique de réduire les aides à l’isolation thermique des bâtiments et à l’achat de véhicules moins polluants. De même, augmenter la taxe intérieure de consommation finale sur l’électricité au-delà de 32,44 euros par mégawattheure reviendrait à taxer davantage une énergie décarbonée.
Opacité et désinvolture
Selon un rapport du Sénat, le gouvernement précédent a « fait le choix de ne pas communiquer au Parlement, pas même aux Rapporteurs généraux et Présidents des commissions des finances, les informations relatives à la dégradation probable des comptes publics en 2023, dont ils disposaient dès l’automne »4. L’opacité a continué de prévaloir durant tout l’été 2024 autour des lettres-plafonds fixant les crédits des ministères pour 2025. Et il est prodigieux d’entendre cet automne Gabriel Attal, Aurore Bergé ou Emmanuel Macron s’opposer aux hausses d’impôts alors qu’ils ont plombé le budget pour « affamer la bête », c’est-à-dire priver les administrations publiques de ressources suffisantes. Résultat : un gouvernement de droite s’apprête à augmenter les impôts, y compris pour les entreprises et les plus riches. À l’heure où est écrit cet article, le gouvernement insiste toutefois sur le caractère temporaire de cette petite inflexion. Par exemple, la contribution exceptionnelle sur le profit des grandes entreprises porterait le taux de l’impôt sur les sociétés de 25 % à 30,15 %. Mais Macron l’avait descendu de 33 % à 25 % ! Et la hausse ne serait maintenue qu’un an ou deux. Or il faut retrouver davantage de ressources pérennes.
- C. Ramaux et H. Sterdyniak, « Budget 2025: un tournant… sans horizon », https://www.atterres.org/wp-content/uploads/2024/10/Budget2025-23-octobre-1-1.pdf 2. 2. https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/ 3. atoms/files/fs-2023-rapport-isf-quatrieme_rapport_complet_17octobre_2.pdf 4. 3. https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-07/20240715-RSPFP-2024_0.pdf 5. 4. https://www.senat.fr/rap/r23-685/r23-685-syn.pdf