Formation des enseignant·es, une réforme de plus

Depuis l’été 2023,la communauté éducative se prépare à une énième réforme de la formation et du recrutement des enseignant·es qui ont déjà été modifiés structurellement de nombreuses fois depuis la fin des années 2000. La dernière réforme du concours, imposée par Blanquer, date de 2022.

Lors de la réforme Blanquer de la formation, les syndicats avaient alerté sur les graves dangers, notamment sur le risque de voir de nombreuses et nombreux étudiant·es se détourner de l’enseignement avec un concours placé en fin de master (M2, soit bac +5). C’est bien ce qui s’est passé, et cela a renforcé la tendance de long terme à la désaffection pour le métier d’enseignant·e. Résultat : de moins en moins de candidatures aux concours, de plus en plus de postes sans prof, et panique à bord pour le gouvernement, incapable d’anticiper ni de prévoir, bref, de gouverner.

La réforme proposée est ouvertement pilotée depuis l’Élysée et Matignon ; non seulement les enseignant·es et leurs organisations syndicales n’ont pas été consultées en amont, mais encore les ministères de l’Éducation nationale (MEN) et de l’Enseignement supérieur (MESR) sont sommés de la mettre en place dans un calendrier intenable et avec des objectifs en partie inconciliables.

Le gouvernement navigue à vue, concours en M2, concours en L3, absence totale de planification et de programmation. Cela se traduit par des désaccords manifestes entre les deux ministères et par une absence de réponse à la plupart des questions posées par les syndicats, et ce tout simplement… parce que les réponses n’existent pas dans le cadre de cette réforme qui crée bien plus de problèmes qu’elle n’en résout.

Le calendrier imposé, nouveaux concours en 2025 avec des modules de préparation aux concours des premier et second degrés en L3 qui devraient être prêts dès septembre 2024, est matériellement intenable. Sauf à s’affranchir complètement des règles universitaires, du Code de l’Éducation et de toute préoccupation pédagogique. Les propos tenus aux organisations syndicales montrent un très grand degré d’impréparation, des confusions et des désaccords entre ministères. Dans ce contexte, les enseignant·es universitaires impliqué·es dans la formation sont extrêmement inquiet·es, de leur sort et de celui de leurs étudiant·es.

Un calendrier intenable

La réforme annoncée prévoit de placer les concours de recrutement en fin de troisième année de licence (L3), soit deux ans plus tôt qu’actuellement. Dans le premier degré, de manière transitoire pour 2024-2025 en attendant la mise en place de licences dédiées, et dans le second degré de manière pérenne, il est prévu que les étudiant·es suivent des modules complémentaires à leur licence. Les maquettes des concours ont été communiquées au compte-gouttes en mai 2024 et les équipes universitaires devraient ainsi concevoir ces modules entre juin et septembre 2024, au mépris des calendriers réglementaires et de leurs conditions de travail. De plus, les universités n’ont reçu aucun financement pour cela. Le président de la République annonce que ces modules seront financés à coût constant et qu’il faudra, pour mener à bien la réforme, fermer certaines licences, notamment pour créer dès 2025 de nouvelles licences spécifiques pour préparer les futur·es professeur·es des écoles, sur le modèle des parcours préparatoires au professorat des écoles, mis en place à la rentrée 2021. Celles-ci ne seront pas ouvertes dans toutes les universités, une seule licence préparatoire au professorat des écoles (LPPE) est requise dans chaque académie, ce qui va éloigner les formations des jeunes. Or, les bachelier·es issu.es des classes populaires optent plus souvent pour des formations proches du domicile des parents pour des raisons évidentes de coût du logement et de la vie étudiante. Dans les académies qui connaissent des difficultés importantes de recrutement, ce parcours préparatoire au professorat des écoles ne résoudra donc pas le problème du manque de candidat·es aux concours.

Un contrôle des contenus

Les lauréat·es des concours premier et second degrés suivraient une formation en deux ans de master, mais les contenus de ces formations seraient imposés par le MEN via des « maquettes nationales avec un degré de granularité très fin »1.

Alors que la création des Inspé date de 2019, la réforme prévoit de créer une nouvelle structure pour chapeauter la formation : les écoles normales supérieures du professorat (ENSP), dirigée par l’Inspection générale et co-portées par les deux ministères qui fixeront à la direction des « objectifs ». Ces ENSP remplaceront-elles ou s’ajouteront-elles aux Inspé ? Ceux-ci vont-ils disparaître ? Les réponses données à ces questions sont contradictoires.

Pour enseigner dans ces licences et masters, les formateur·ices qui proviendraient du MEN à 50 % seraient « choisi·es » (repéré·es sur le terrain) et ne conserveraient leur poste que trois ans, renouvelable une fois. La volonté de contrôle des contenus par le MEN est très visible : il s’agira pour ces formateur·ices de transmettre aux enseignant·es débutant·es les « bonnes pratiques » validées par le MEN et son Conseil scientifique (CSEN). Les personnels des universités représenteront alors 50 % seulement des formateur·ices des ENSP en licence PPPE et en master 1er et 2nd degrés. Pour enseigner en master ENSP après le concours, le MEN ose préciser que les personnels des universités seront choisis, contrevenant ainsi à toutes les règles universitaires, ce que le MESR ne s’est pas privé de faire remarquer ; pour la LPPE, cela n’a pas été précisé : est-ce un oubli malheureux ? L’inquiétude des formateur·ices actuel·les en Inspé est également très grande : ce sont pour la plupart des permanent·es dont le poste n’est pas révocable, que vont-ils devenir s’iels ne sont pas « choisi·es » pour former en ENSP ?

Le grand flou

La réforme n’est pas non plus de nature à rassurer les étudiant·es. Certes, en master, les lauréat·es seront rémunéré·es, mais faiblement : 900 euros en M1 (37 % en stage d’observation et de pratique accompagnée) et 1 800 euros en M2, année pendant laquelle iels seraient en responsabilité de classe à mi-temps. En M1, cette rémunération de 900 euros serait en dessous du seuil de pauvreté pour une personne seule. D’autant plus si, comme l’affirme le gouvernement pour l’instant, les M1 relèvent d’une affectation nationale après le concours : comment déménager et vivre avec 900 euros par mois ?

Le MEN ne donne pas de documents officiels et reporte sans cesse les concertations avec les syndicats, notamment concernant les questions de passerelles et de poursuites d’études, centrales pour les étudiant·es : avec une licence en poche, faut-il s’inscrire en master 1 Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (MEEF) à l’Inspé à la rentrée de septembre 2024  alors qu’il sera possible de passer le concours niveau L3 au printemps 2025 ? Pour les étudiant·es inscrit·es en M2 MEEF à la rentrée 2024, quel concours passer (L3 ou M2) ? Comment se préparer aux concours dans une telle incertitude ?

Le mépris du gouvernement pour les conditions d’étude et de travail des étudiant·es est flagrant, ce qui montre encore une fois que l’attractivité du métier et l’augmentation du vivier de candidat·es aux concours ne motivent absolument pas cette nouvelle réforme précipitée de la formation des enseignant·es.

Des « innovations statutaires » dangereuses

Dans la FSU, l’ÉÉ porte, depuis la mastérisation de la formation, la volonté d’un recrutement sur concours des enseignant·es à la licence, suivi des deux années de master rémunérées comme élèves fonctionnaires. De loin, la réforme annoncée pourrait sembler faire écho à ce mandat. Elle a d’ailleurs été plutôt favorablement accueillie par les étudiant·es qui envisagent de se préparer aux concours, car elle semble proposer une solution pour éviter la grande précarité de la vie étudiante. Mais cette réforme est contraire aux principes que nous défendons pour la formation des enseignant·es. Le contenu et les modalités de mise en place sont inacceptables, et cela s’accompagne d’« innovations statutaires », dont les ministères ne savent même pas si elles seront validées juridiquement. Les lauréat·es de M1 ne seraient en effet pas des fonctionnaires stagiaires, mais des « stagiaires alternant·es », qui recevraient une « gratification » et non un salaire d’élève-fonctionnaire ou de fonctionnaire-stagiaire, ce qui semble pour l’instant contradictoire avec les statuts de la fonction publique. Serait-ce là une première brèche, une première attaque des statuts de la fonction publique qui convergerait avec les annonces récentes de Stanislas Guérini à ce sujet ?

1. lettre FDE sur le site du SNESUP