Un Metoo dans le stand-up aussi ! – Entretien avec FLORENCE MENDEZ

L’humoriste Florence Mendez répond aux questions de l’École émancipée sur le Metoo engagé dans le stand-up.

Vous êtes considérée comme l’initiatrice du Metoo stand-up, qu’est-ce qui vous a conduit à mettre fin à la silenciation dans ce milieu ?

En tant que féministe, je suis très sensible aux violences sexistes et sexuelles. Quand Judith Godrèche a été enfin écoutée, je me suis dit « ça y est, le milieu de l’humour est peut-être prêt aussi à faire son Metoo ! »

Je pensais que l’appel à témoignages que j’ai lancé prendrait des mois avant que la parole des victimes se libère. Mais ils sont arrivés très vite et concernaient surtout Seb Mellia. Puis, je me rends compte qu’il vient jouer à Bruxelles, ma ville. C’est tellement petit que si une femme fait sa première partie ou qu’il y a parmi les spectatrices des femmes que je connais, que l’une d’elles est agressée, j’aurais une part de responsabilité. Le seul moyen d’agir vite et de protéger éventuellement ces femmes était de le dénoncer. Alors c’est ce que j’ai fait. Depuis la dénonciation, les témoignages continuent d’affluer. Beaucoup sur Seb Mellia, mais aussi sur d’autres humoristes, heureusement rien de comparable.

Votre démarche rencontre-t-elle un écho médiatique ?

Au début, je ne suis pas tellement contactée. La presse reprend juste mes déclarations Instagram. C’est peut-être dû à ma réputation déjà un peu sulfureuse : j’ai dénoncé le harcèlement dont j’étais victime sur France Inter et j’ai qualifié Darmanin de violeur.

La presse s’est peut-être dit que c’était encore un coup de com’ pour parler de moi, juste au moment de la sortie de mon livre Accident de personne. Or, au contraire, ça ne sert pas ma promo, ça l’empêche. Une femme qui parle n’est jamais récompensée par de l’argent ou par de la notoriété. Ça n’apporte que des emmerdes… Puis, Rossana Di Vincenzo, journaliste à Télérama, comprend l’ampleur de ce qui est en train de se passer. Avec l’accord des victimes, j’ai transmis leurs contacts. S’ensuivent les enquêtes publiées dans Télérama et Mediapart.

Vous êtes autiste et vous vivez avec des angoisses permanentes, comment allez-vous depuis que vous subissez des menaces ?

Sur les réseaux sociaux, les fans de Seb Mellia se déchaînent, on n’est pas du tout sur des gens qui se contentent de le défendre : ses fans sont extrêmement violents.

J’ai beau savoir que c’est des petits cons en ligne, et qu’il y a très rarement des passages à l’acte, vivre avec des menaces de mort, de viol, des incitations au suicide… c’est très difficile. Mais d’un autre côté, les victimes se sont confiées à moi, et heureusement qu’elles l’ont fait, elles ont témoigné de violences sexuelles, c’est pour elles que c’est dur. Alors oui, j’ai beaucoup d’anxiété, mais je suis aussi portée par la certitude que ce combat est légitime. Je ne peux pas dire que je n’ai pas eu de moments de questionnements ou de culpabilité, mais avec la quantité de témoignages qui sont arrivés, je pense que c’était la seule solution. Parce qu’il est dangereux, que la situation est grave, j’ai agi dans l’urgence ; pour moi, chacun·e a droit à une défense juste, tout le monde devrait pouvoir être entendu. Je ne crois pas à la justice sur les réseaux sociaux, aux westerns, qu’il faille faire justice soi-même, idéalement, non. Mais là, quand les chiffres des violences envers les femmes sont aussi hauts et que rien ne change, que peut-on faire d’autre ? Quel autre moyen d’empêcher ces mecs-là de nuire à part de prévenir de ce qu’ils font ?

Quelles sont les similitudes et les particularités de ce mouvement par rapport à d’autres Metoo ?

Le problème, dans ce métier, c’est d’avoir raison trop tôt. Adèle Haenel a été historique, pourtant quand elle sort des César, le silence est glacial. Quasiment personne ne se lève pour sortir avec elle. Aujourd’hui, Judith Godrèche a une tout autre écoute. Les gens se lèvent, applaudissent. Mais si c’est possible, c’est aussi parce qu’Adèle Haenel a ouvert la porte. Probablement que le mouvement Metoo stand-up avancera comme cela en plusieurs vagues successives. Nous, humoristes du stand-up, ne sommes pas des stars de cinéma, on a moins d’audience. Pour une certaine presse, ce qui intéresse, ce sont plus les noms que la dénonciation des violences. Pourtant, il ne devrait pas y avoir de traitement différent entre les Metoo cinéma, stand-up ou hôpital. Ils sont tous aussi choquants.

Est-ce qu’on peut rire de tout, y compris du sexisme, quand on sait qu’il participe à la culture du viol ?

Je pense qu’on peut rire de tout. Mais il serait temps d’arrêter de rire des opprimé·es et de commencer à rire des oppresseurs. Quand des mecs font des blagues sur le viol, sur les victimes de viol, et qu’on dit « oh, il est tellement subversif », ce n’est pas le cas. Le mec fait juste des blagues aux dépens des victimes et en faveur des gens qui ont le pouvoir depuis des centaines d’années : les mecs blancs hétéros. Il n’y a aucune prise de risque. Il ne s’agit que de rire avec les dominants. Ça n’a rien de subversif. Ce qui est subversif, c’est monter sur scène, s’exposer sur Internet en faisant de l’humour féministe, queer, trans… Ça, c’est vraiment subversif, c’est essayer d’inverser la balance. Pour ça, j’ai beaucoup plus d’admiration.

Votre roman raconte l’émancipation d’une femme, une résonance avec votre démarche actuelle ?

J’ai toujours trouvé que les gens bien comme il faut dans cette société, ne sont pas les plus bienveillants, les plus sensibles, les plus gentils… Ce roman, c’est ce qu’il raconte. Daphné, Martin, Mona, des personnages pas adapté·es à la société d’aujourd’hui. Et finalement, est-ce une si mauvaise nouvelle de ne pas correspondre aux normes et de ne pas trouver sa place dans cette société ? Krishnamurti, un philosophe et pédagogue indien, disait que le fait d’aller bien dans une société malade n’était pas bon signe. C’est une phrase qui me porte beaucoup. Le Metoo stand-up, c’est le reflet de ça aussi : d’un côté, on a des gens qui fonctionnent avec la société, avec ces inégalités, qui ne sont pas forcément des agresseurs, mais bon, c’est comme ça, comme iels ne sont pas trop impacté·es, iels s’en foutent. Et puis, d’un autre côté, on a les femmes qui, par leur expérience violente de la société, sont souvent devenues plus empathiques, plus sensibles, plus combattantes aussi. Maintenant, je crois qu’une véritable sororité est en train de se créer. Ça fait très peur aux mecs. Parce qu’ils ont toujours visé à séparer les femmes, à les dresser les unes contre les autres. Les femmes, quand elles sont ensemble, ont une force de frappe qui est puissante. Je crois que tous les grands changements sociaux, sociétaux ont été initiés par des femmes. Parce que les femmes, en cas d’injustice, en cas de guerre, ont toujours le plus à perdre.

J’ai lu un article sur une étude sociologique qui montrait qu’il y a une fracture femmes-hommes, que les femmes ont tendance maintenant à être beaucoup plus progressistes, tandis que les hommes commencent à l’être de moins en moins. Et ça, c’est la preuve qu’on est en train de réussir. Le machisme, le patriarcat, c’est une bête à l’agonie, plus dangereuse que jamais. Mais je pense qu’on n’en a plus pour très longtemps. D’ici 50 ans, on aura inversé la machine.

Propos recueillis par Céline Sierra