La mise en place des groupes de niveau au collège constitue la mesure la plus emblématique du Choc des savoirs. Mais, avec elle, s’agence une logique de réformes dont le but est la mise sous tutelle des enseignant·es et la ségrégation des élèves, qui touche l’ensemble du système éducatif. Afin d’y mettre un coup d’arrêt, il faut montrer la cohérence des attaques pour mobiliser les premier et second degrés.
Attal l’assume : « Le taux de réussite au brevet, et sans doute au bac, diminuera dans les années à venir. » C’est le fait le plus marquant : l’abandon aujourd’hui revendiqué du consensus établi entre 1945 et la fin des années 1990, ayant conduit à une augmentation générale des qualifications.
Les mobilisations, impliquant majoritairement les personnels et les parents d’élèves des collèges, ont permis de porter dans l’opinion publique, avec succès, le cœur de l’affrontement idéologique qui se joue avec ce renoncement. Mais force est de constater que l’élargissement aux autres niveaux de la scolarité n’est pas encore suffisant. Faire les liens entre les différentes mesures du Choc des savoirs, montrer leur filiation avec les réformes Blanquer et dévoiler leurs conséquences sur l’ensemble de la scolarité, cela constitue une étape nécessaire.
Vers un métier qui creuse les inégalités
Les évaluations nationales, généralisées du CP à la seconde à la rentrée prochaine, ont une place centrale : elles feront les groupes de niveaux et la séparation des parcours après le collège, mais elles président aussi à la refonte des programmes.
Celle-ci est engagée en mathématiques et français pour les cycles 1 et 2, avant une réécriture généralisée de la maternelle au collège. Recentrés sur des attendus faisant la part belle aux items des évaluations nationales, avec des repères annuels voire infra-annuels tournant le dos à la logique de cycle, ces nouveaux programmes sont en rupture avec les consensus scientifiques.
La labellisation des manuels concernera la lecture en cycle 2 à la rentrée prochaine, avant une généralisation aux autres disciplines et niveaux les années suivantes. Ce type de mesures avait été osé par le régime de Vichy ou le gouvernement Orban… Les critères de labellisation, formulés par le Conseil scientifique de l’Éducation nationale (CSEN), confirment les pires inquiétudes : serait exclu tout manuel ne s’appuyant pas sur les evidence based studies1. Les progressions proposées ne pourraient être que linéaires et très normées.
S’impose ainsi un modèle étapiste (du « simple » au « compliqué ») et procédural, en rupture avec une vision constructiviste des apprentissages visant l’acquisition de savoirs complexes et émancipateurs pour tou·tes les élèves.
C’est donc à un changement radical de l’activité enseignante qu’il faut s’attendre, dans toutes les disciplines et à tous les niveaux, et à l’assignation des élèves des classes populaires (mais pas seulement) à de petits savoirs, le temps d’une scolarité réduite.
Une entreprise ségrégative qui fait système
Les mesures Choc des savoirs sont dans la continuité de celles prises sous Blanquer, avec la promotion des fondamentaux et de l’individualisation des parcours en primaire et au collège, le lycée modulaire, les attaques sur la voie professionnelle, Parcoursup, ou l’évitement scolaire permis par le privé.
Recours au redoublement ou aux groupes de niveaux — dont la recherche a montré qu’ils augmentaient les inégalités scolaires –, promotion de compétences de bas niveau, réécriture des programmes… autant d’armes pour garantir des parcours ségrégués selon l’origine sociale. Cela, ajouté à un brevet barrage et une classe de « prépa seconde » qui ne prépare pas au lycée mais à la formation professionnelle par alternance — en dehors de l’école, donc –, fait système : l’objectif du Choc des savoirs est l’éviction la plus précoce possible de masses coûteuses d’élèves, pour donner des gages aux libéraux (puisqu’elles permettront de nouvelles suppressions de postes en particulier en lycée), à la partie la plus réactionnaire de l’opinion et au patronat. D’un côté, un parcours scolaire restreint, soumis à une employabilité précaire au plus bas de l’échelle sociale, de l’autre, des cursus ambitieux garantissant la pérennité de l’accès aux places dominantes dans la société. La lutte des classes a bien lieu en classe, et le gouvernement actuel, comme sous Blanquer, fait des pratiques enseignantes le champ de cette bataille.
Tout cela s’emboîte par ailleurs avec la réforme de la formation initiale et les « Écoles normales du XXIe siècle ». Il s’agit bien de « normaliser » les pratiques enseignantes, avec des contenus de formation centrés sur des compétences fondamentales et des formateur·rices, nommé·es pour une durée limitée sur lettre de mission, sous contrôle.
Poursuivre l’affrontement idéologique
Face à cette radicalisation des politiques éducatives, on observe le rassemblement de l’ensemble des forces de progrès. Le collectif Riposte en éducation rassemble plus de 130 chercheur·es, l’arc syndical du SGEN-CFDT à Sud éducation, les mouvements pédagogiques et les associations complémentaires de l’école. Les tribunes, y compris de chef·fes d’établissement, se multiplient condamnant les orientations ministérielles. L’intersyndicale premier degré au complet appelle à l’abandon des évaluations nationales. Les mobilisations dans le 93, le 44, et plus largement dans les collèges parviennent à agréger les parents d’élèves. Par ailleurs, le front de soutien au ministère se lézarde. Fait symptomatique, des membres influents du CSEN viennent de le quitter pour contester les mesures du Choc des savoirs.
Le pouvoir est fragilisé. Sur les groupes de niveaux, c’est une évidence. Mais cette victoire idéologique peut se transformer en défaite syndicale si nous n’arrivons pas à embrayer sur la mobilisation qui se construit depuis janvier. Nous avons la responsabilité de faire échec à ce train de réformes, qui constituent une violence professionnelle et sociale sans précédent, parachevant la casse libérale de l’école tout en faisant le lit des idées d’extrême droite qui les inspirent.
Là où la mobilisation est en pointe, elle est le fruit d’un fort volontarisme syndical. Et le niveau de mobilisation reste très hétérogène. Mais ce n’est pas une fatalité si nous parvenons à visibiliser, amplifier et fédérer, en articulant Choc des savoirs et choc des moyens.
Cela implique de mettre en lumière la cohérence des mesures par une élaboration fédérale, de multiplier les rencontres militantes interdegrés, d’initier des actions associant les parents d’élèves. Tout cela pour construire, dans la suite des départements les plus mobilisés, un grand mouvement de toute l’Éducation, capable de faire échec à cette politique, et mettre en perspective sa réorientation vers une école égalitaire et respectant ses personnels.
Marie Haye et Adrien Martinez
1. Méthode de recherche dite « fondée sur la preuve », qui importe dans le champ de l’éducation
les méthodes de production de savoirs scientifiques issues de la recherche médicale. Elle fait l’objet d’une controverse en sciences de l’éducation, critiquée par une partie de la recherche parce qu’étant peu productive et renseignant peu sur les pratiques enseignantes décrites.