Nul besoin de remonter à l’hiver 1954 : le droit au logement n’est pas respecté en France, les associations et autres collectifs solidaires dénoncent la situation des sans-abri ou des mal-logé·es sans relâche. Le nombre d’enfants qui dorment à la rue marque les esprits (pour mémoire, l’Unicef dénombre 2 822 enfants à la rue le 2 octobre 2023), mais la puissance publique ne réagit pas. Pire, les politiques en place favorisent la financiarisation du secteur, et creusent les inégalités.
Alors qu’il s’agit d’un droit fondamental, on assiste depuis des années au désengagement de l’état sur les questions liées au logement : les secteurs que l’État abandonne deviennent des marchés juteux pour les acteurs privés. Ainsi, on voit fleurir des résidences privées pour les étudiant·es, comme pour les séniors, et l’offre publique, plus accessible financièrement, s’amoindrit. Cette explosion de la financiarisation du secteur au profit d’intérêts privés s’articule avec une fiscalité qui bénéficie aux plus aisé·es : selon le rapport d’Oxfam France, trois niches fiscales ont coûté près de 11 milliards aux finances publiques en 12 ans alors même que cela aurait pu financer la construction de plus de 70 000 logements sociaux.
La crise du logement est donc multifacettes : elle correspond au cumul de l’effondrement de la production de logements sociaux, de l’explosion des taux d’intérêt et des coûts des travaux, des factures d’énergie insoutenables et de l’insuffisance générale de politiques publiques en faveur des plus fragiles. On assiste en conséquence à une montée de la pauvreté et des inégalités.
Inégalités et discriminations
Le 29e rapport de la Fondation Abbé-Pierre1 alerte sur le nombre de personnes sans logement : elles sont 330 000 sans domicile, à la rue ou en hébergement d’urgence (le 115). Il s’agit en grande partie de réfugié·es en attente d’examen de leur demande d’asile ou encore débouté·es de leurs droits. 330 000, chiffre supérieur au nombre d’habitant·es d’une ville comme Montpellier, est sans aucun doute sous-estimé : des personnes dorment dans des caves, sous des tentes, dans une voiture ; sans faire toujours le 115, ou sans parvenir à le joindre, elles ne sont pas comptabilisées.
L’accès au logement est fortement inégalitaire : les personnes perçues comme d’origine étrangère ou de couleur ont moins de chance d’être reçues lorsqu’elles demandent à visiter un logement à louer. Elles doivent chercher plus longtemps2. Les immigré·es vivent plus souvent dans des espaces très petits et privés du confort de base. Le logement est un facteur essentiel de socialisation, il conditionne aussi l’accès à l’emploi : les personnes ainsi discriminées le sont alors à plus d’un titre et l’accès au logement est un facteur déterminant de leur exclusion.
L’habitat indigne
Celles et ceux qui ont un logement ne sont pas pour autant à l’abri des effets de la crise qui s’accélère de manière très inquiétante : les populations les plus précarisées vivent dans des conditions dégradées. La Fondation Abbé-Pierre estime à plus d’un million le nombre de victimes d’un habitat indigne : en bidonville, en surpeuplement, dans un quartier délabré, un logement insalubre, un bâti dégradé. Ces conditions de vie ont un fort impact sur la santé, le confort, et l’estime de soi. Dans des conditions un peu moins précaires, si l’absence de sanitaires ou de chauffage est devenue plus rare (sans avoir totalement disparu), d’autres problèmes témoignent du « mal-logement » : une mauvaise isolation thermique ou phonique, une impossibilité de se chauffer en raison du coût de l’énergie, ou encore un choix à faire entre payer son loyer ou se chauffer, ou encore manger… La « facture logement » est devenue pour beaucoup insoutenable. 6,8 millions de logements, soit 13,5 millions de personnes, sont concernés. Un ministre du Logement, O. Klein, avait en son temps alerté sur le mal-logement, véritable « bombe sociale ». Il n’a pas été entendu.
Véronique Ponvert
1. Rapport L’État du mal-logement en France (février 2024).
2. Observatoire des inégalités (23 nov. 2021).