Les chiffres sont terribles et glaçants. Le dernier rapport de la fondation Abbé-Pierre estime à plus de 4 millions le nombre de personnes mal logées, entre celles privées de logement personnel et celles vivant dans des conditions très difficiles, dans des logements très exigus ou ne remplissant pas les normes minimales de confort. En parallèle, plus de 12 millions de personnes se retrouvent en « situation de fragilité par rapport au logement ». Elles subissent ainsi un « taux d’effort » excessif, les locataires les plus pauvres du parc privé y consacrant ainsi plus de 42 % de leurs revenus, un logement fortement surpeuplé, des situations d’impayés ou une précarité énergétique restreignant les possibilités de se chauffer en hiver. Au total, près de 15 millions de personnes sont ainsi contraintes de vivre dans ces conditions, qui peuvent en outre se cumuler…
Le sociologue Gaspard Lion, qui estime par ailleurs que plus de 100 000 personnes vivent à l’année dans des campings, le souligne dans Causette, « l’ampleur de cette crise se mesure également par la diversité de ses manifestations : elle a des conséquences sur la santé des individus, le travail, les études ou, encore, la possibilité de se projeter et de déployer des projets de vie. »
Une crise découlant de l’austérité
Cette situation de crise du logement s’aggrave au fil des années. Elle peut se résumer ainsi à gros traits : les logements disponibles et la construction reculent, les taux d’intérêt et la spéculation flambent, tandis que le logement social est saturé, empêchant les classes populaires et moyennes d’acheter ou de louer à des prix abordables (lire page 15). Cette crise intense et fulgurante, qualifiée d’« inédite » par les défenseur·ses du droit au logement, touche tant l’offre que la demande.
Principale raison, l’austérité budgétaire conduisant à une réduction drastique de l’effort public pour le logement, de la part de l’État comme des collectivités locales, qui atteint un seuil historiquement bas à 1,6 % du PIB, très loin des 2,2 % qui y étaient consacrés en 2010. Même s’il est désormais stable depuis 2018, sa répartition interne creuse encore les inégalités, avec une baisse des aides au loyer après la diminution des APL au profit d’une hausse des primes de rénovation de l’habitat privé, sans bilan sur leurs impacts à la fois sociaux et écologiques.
À cela s’ajoutent l’envolée des charges locatives suivant celle des prix de l’énergie, la forte hausse des loyers du logement social indexés sur le coût actuel de la construction qui se renchérit fortement au vu de la crise.
Instrumentalisation par le gouvernement et l’extrême droite
En plus des conséquences de cette austérité imposée, la politique gouvernementale met à mal le droit au logement pour les plus pauvres. En plus d’une profonde remise en cause de la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU — lire page 16) et à rebours de critères impartiaux et objectifs d’accès au logement social, le Premier ministre fait sien le choix d’un renforcement à venir du poids des maires dans leur attribution et donc d’une inflation des passe-droits et de leur instrumentalisation à des fins électoralistes. Une volonté qui pourrait résonner avec la campagne nauséabonde de l’extrême droite mettant en avant les falsifications statistiques d’un récent rapport sur les HLM de Fondapol, un think tank libéral qui se focalise beaucoup sur la question migratoire, pointant la « surreprésentation des étrangers extra-européens » dans le logement social en tentant d’instiller que les critères d’attribution en seraient à l’origine. Or, comme l’explique dans Médiapart Marianne Louis, directrice générale de l’USH, la fédération des HLM, ce sont bien les revenus qui déterminent l’accès au logement social et « les immigrés occupent des emplois en moyenne moins qualifiés et moins rémunérés. Ils n’héritent pas non plus d’un logement de leurs parents. »
Une autre politique du logement est possible
Dans un avis récent, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) estime que « la politique du logement comporte des aspects de discrimination systémique » malgré différents textes législatifs et réglementaires pointant les « arbitrages budgétaires, la complexité́ des procédures, les limites des réponses aux besoins d’accompagnement et l’absence de contrôles coercitifs en cas d’inapplication des textes qui conduisent de fait à exclure du droit au logement décent une partie des personnes dont les revenus sont les plus faibles. »
Des solutions existent pourtant pour endiguer cette crise du logement et permettre l’accès à un logement décent pour toutes et tous. C’est ce que met en avant notamment le DAL (lire page 19) à travers ses revendications de réquisition des plus de 3,1 millions de logements vacants, d’un encadrement strict des loyers permettant leur baisse, d’une relance massive de la construction de logements sociaux, de la taxation des profits spéculatifs à leur juste hauteur et de l’abrogation des lois criminalisant les mal-logé·es comme celle initiée par l’actuel ministre du Logement.
Arnaud Malaisé