Frémeaux et associés et ses collaborateurs proposent une plongée
dans les États-Unis. Une partie de notre culture trouve là ses origines.
Le Voodoo provient des religions des nations africaines déportées sur le sol américain et de l’acculturation organisée par les esclavagistes du Sud des Etats-Unis pour éviter toute révolte. Le résultat de ce choc des cultures qui s’organise au sein de la grande propriété terrienne fut ces croyances, les blues et les jazz. Ce mouvement de création représente la culture des Etats-Unis – mais aussi des Antilles, de Cuba et de beaucoup d’autres de ces colonies de « peuplement » -, culture orale pour l’essentiel. D’où l’importance des enregistrements pour transmettre ce patrimoine et, de ce fait, le lien étrange et dialectique entre création et industrie.(1)
Dans le recueil, « Voodoo in America », Bruno Blum nous donne un aperçu du poids de ces mystères devenus des superstitions très largement partagées. Dans « Minuit dans le jardin du bien et du mal », Clint Eastwood, républicain par ailleurs, le raconte à sa façon. Il faut dire que les frères Chess venus de l’Europe centrale, dont le label de blues porte le nom, partageaient avec les bluesmen ces mêmes peurs ancestrales. Pour dire que le Voodoo n’est pas aussi éloigné de notre civilisation qu’on pourrait le croire. Le « Zombie », le « mort vivant », n’est-il pas une des créatures maléfiques éternelles venant de ce terreau ?
Bo Diddley
Muddy Waters, un des maîtres du blues de Chicago, utilisera la figure du « Mojo » venue directement des pratiques Voodoo. Bo Diddley arrivé sur la scène de Chicago au milieu des années 50 a puisé dans ce vocabulaire, ces croyances et même dans le rythme des tambours qui réglaient les cérémonies à Congo Square à la Nouvelle-Orléans. Bruno Blum présente « The Indispensable Bo Diddley, 1955-1960 », coffret de trois CD, complément indispensable du précédent. Le livret propose une interview avec le bluesman qui a profondément marqué les mondes du rock.
James Brown
James Brown, à son tour, utilisera ces traditions pour les transformer en autant de revendications de la fierté d’être Noir dans ces États-Unis structurés par le racisme. Paradoxe, tous les nouveaux venus ont trouvé leur place plus ou moins difficilement sauf les Africains-Américains, groupe social le moins bien loti. Le même Bruno Blum propose « The Indispensable James Brown », en trois CD, pour un voyage dans les années 1956-1961. Le « grand-père » de la soul montre qu’il est un éminent rythmicien, qu’il sait jouer des répétitions de figures pour faire monter la tension, pour faire parler les corps, les faire se rencontrer. C’est une musique physique comme le Voodoo lui-même. James Brown sait tout des cultures afro-américaines. Pour en faire l’expérience et apercevoir les fils invisibles qui relient tous ces musiciens, écoutez « Got My Mojo Working » de Muddy Waters de « Voodoo in America », « Bo Diddley », une sorte de CV du deuxième volume et « Please, please, please » premier grand succès de James Brown. Un fil ténu mais solide provenant de cette histoire qu’ils et elles partagent et que la crise actuelle des « Inner Cities » fait oublier à la génération d’aujourd’hui.
Memphis Slim
Memphis Slim – John Len Chatman à l’état civil, né à Memphis en 1915 – s’est fait reconnaître en France. Il est devenu une vedette populaire au même titre – mais un peu plus tard, à partir de 1961 – que Sidney Bechet. Il a animé pendant des années le club des « Trois Mailletz », club du quartier latin aujourd’hui disparu. Une des conséquences négatives de cet exil, l’oubli de ses premiers temps, de ses enregistrements qui ont transformé les mondes du blues. Gérard Herzhaft retrace dans le livret accompagnant ce choix de trois CD la carrière d’un des maîtres du piano des années 1940 à 1961. De quoi transformer notre regard sur le blues de Chicago, ville où Memphis Slim exercera son art. De quoi aussi redonner à Memphis Slim la place qui lui revient dans l’histoire culturelle française. Il a participé aux tournées de l’American Folk Blues Festival qui a structuré les souvenirs de plusieurs générations d’auditeur(e)s et leur passion du blues.
Nicolas Béniès
« Voodoo in America », coffret de deux CD, « The Indispensable Bo Diddley, 1955-1960 », coffret de trois CD, « The Indispensable James Brown, 1956-1961 », coffret de trois CD, tous les trois présentés par Bruno Blum et « Memphis Slim, piano blues supreme 1940 – 1961 », présenté par Gérard Herzhaft, le tout chez Frémeaux et associés.
1) Le même processus se retrouvera pour le cinéma.
D’abord artisanal – les films muets – puis le passage à la grande industrie. Hollywood devenant une « usine à rêves ».