Sous couvert de faux bon sens, proclamant à qui veut l’entendre sa profession de foi scientifique et sa volonté de combattre les inégalités scolaires, JM Blanquer imprime sa marque sur l’école.
Derrière sa mesure frappante de CP et CE1 à 12 élèves en éducation prioritaire et malgré une conjoncture démographique qui lui est favorable dans le 1er degré, perdure une réalité de 104 000 classes trop chargées. Il manque en France 24 000 postes de PE pour rejoindre les effectifs moyens des pays de l’OCDE. La communication du ministre a une certaine efficacité, puisqu’elle contribue à masquer le fait que le sous-investissement de la France dans son école se poursuit.
En matière d’inclusion scolaire, toujours le même tropisme quantitatif. Les effectifs des EBEP1 augmentent. Le gouvernement a annoncé, qui plus est, la scolarisation de 80 % des élèves actuellement en établissements spécialisés en classe ordinaire d’ici 3 ans. Cette inclusion à marche forcée se traduira par un nombre d’élèves en situation de handicap toujours plus élevé́ dans les classes ordinaires et parfois à l’encontre de leur intérêt, sans qu’il soit répondu aux besoins exprimés par les équipes.
Contrôle et prolétarisation du métier
Mais JM Blanquer, c’est aussi et peut-être surtout une forte emprise sur le métier et une transformation marquée des enseignant-es en exécutant-es du prescrit ministériel. Toute la hiérarchie de l’éducation est mise au service de cette politique pour que les concepts ministériels ruissellent jusque dans les classes.
Cette politique prescriptive et injonctive s’appuie sur les évaluations mises en place au CP et au CE1. La nouvelle version reste marquée par les grandes options des premières : ce qui est évalué n’est pas ce qui a été enseigné, la question du sens reste faible, l’écrit est le support privilégié, l’analyse échappe aux enseignant-es. Ces dernier-es seront d’abord chargé-es de faire passer les évaluations sans déroger aux consignes. Puis ils et elles devront saisir les résultats, avant de les restituer aux familles une fois traités par le ministère. Les difficultés repérées seront l’objet de protocoles prescrits que les PE seront chargés d’appliquer.
Les premiers guides ont concerné l’apprentissage de la lecture. Ils arrivent en cette rentrée en Grande Section de maternelle. JM Blanquer construit une école qui, sous couvert de lutte contre l’échec scolaire, se recroqueville sur les « fondamentaux ». C’était déjà l’orientation des programmes de 2008. Or, les résultats des élèves français, évalués par PIRLS ou PISA en 2015 et 2016, montrent une aggravation des caractéristiques inégalitaires du système éducatif français. Le resserrement sur les fondamentaux constitue une forme d’assignation des élèves des classes populaires à un rapport aux savoirs scolaires ne permettant pas la démocratisation de la réussite scolaire.
La liberté pédagogique
Les PE, ainsi disqualifié-es et transformé-es en exécutant-es, voient leur liberté pédagogique réduite et donc la possibilité qui leur est accordée par la loi de concevoir la façon dont ils et elles mettront en œuvre les programmes (modalités didactiques, temporalité des apprentissages, choix des outils…). C’est pourtant ce qui leur permet de répondre de façon spécifique à la diversité des élèves.
L’efficacité d’un système éducatif repose aussi sur la formation des enseignant-es. Reste à savoir si l’on veut former des concepteur-rices ou des exécutant-es. Pour JM Blanquer, c’est la diffusion autoritaire de ce qu’il considère comme étant les bonnes pratiques. Il s’ouvre même la possibilité de l’imposer sur les temps de vacances. Une telle « formation », proche du formatage, ne constituera pas une solution mais plutôt un problème.
Recul de la démocratisation
Les premiers résultats scolaires des élèves de REP bénéficiant des CP et CE1 à 12 sont en progression, mais plus faibles que ceux attendus. C’est sans surprise pour nous. L’expérience de 2003 avec des classes de CP à effectifs réduits ou l’expérience californienne STAR montrent que la seule baisse des effectifs, si elle n’est pas accompagnée par une formation ambitieuse, voit son impact fortement limité. La diminution de la taille des classes doit s’accompagner d’un développement de l’expertise professionnelle des enseignant-es pour réduire les inégalités. Ce n’est pas le projet de JM Blanquer, soyons-en sûr-es.
Jean-Philippe GADIER