Il y a deux ans, nous avons été confrontés dans nos entreprises – EDF et GDF-Suez – à une vague de répression sans précédent, suite à un grand mouvement de grève : réquisitions hors de tout cadre légal dans la production nucléaire, sanctions par centaines dans la distribution. L’un de nos militants, Nordine, en a été l’une des victimes, puisqu’il a été licencié suite à sa participation à la grève, après 12 ans de bons et loyaux services à GDF, sur la base d’un dossier monté de toutes pièces.
Toutes les tentatives de négociation, tous les arguments ont été vains face à une Direction qui avait décidé de faire payer les meneurs, afin de décourager toute velléité de résistance chez les salariés.
Devant la gravité de cette situation, deux responsables de SUD Energie ont mené une grève de la faim de 18 jours, qui a eu pour effet de mettre en lumière cette répression syndicale dans des entreprises qui se disaient porteuses d’un modèle social avancé. Nous avons reçu de très nombreux soutiens, du monde syndical, politique, associatif, ou de simples salariés qui parlaient d’électrochoc, de sidération.
Pourtant, cet exemple n’a hélas rien d’exceptionnel. Les statistiques sont malheureusement très pauvres sur le sujet, mais tout syndicaliste connaît des salariés discriminés, harcelés et même licenciés pour activité syndicale ou fait de grève. Un sondage de TNS-Sofres en 2005 montrait que la crainte de représailles de la part de l’employeur est invoquée par 36 % des salariés comme cause de non-adhésion à un syndicat ; à la même époque une enquête du ministère du travail montrait que 30 % des élus syndiqués et 40 % des délégués syndicaux s’estiment freinés dans leur évolution de carrière et que les délégués syndicaux sont payés en moyenne 10 % de moins que leurs homologues non syndiqués… et encore cette moyenne recouvre-t-elle des écarts bien plus importants pour certains syndicats.
Pour les victimes, la discrimination et la répression ont bien sûr des conséquences financières importantes, mais également des répercussions graves sur la qualité de vie au travail et sur la santé. Nombreux sont ceux qui se voient entraînés dans un enfer, isolés, dénigrés, humiliés pour avoir osé exercer leurs droits.
Les répercussions sont lourdes pour l’ensemble du monde du travail. C’est d’abord un droit constitutionnel, acquis de haute lutte, qui se voit quotidiennement bafoué ; c’est également un frein au développement syndical, donc aux possibilités de résistance. Laisser faire revient à accepter un totalitarisme d’entreprise ainsi qu’un affaiblissement des accords d’entreprise, des conventions collectives et donc du droit du travail.
Un phénomène méconnu
Cela a trait, d’une part, à la difficulté des organisations syndicales à mettre en avant cette réalité et à mener le combat au niveau qui convient, de manière unitaire. Mais aussi d’autre part, parce que l’arsenal juridique actuel est largement insuffisant, malgré quelques progrès notables en matière de discrimination salariale. Les syndicats sont confrontés à des armées d’avocats, les procédures sont très longues, les peines prononcées généralement largement insuffisantes pour être dissuasives.
Face à ce constat, avec la Fondation Copernic, nous avons lancé une initiative pour faire émerger cette question. La note qui vient de sortir est une première étape. Elle dresse un état des lieux et fait des premières propositions. Au-delà, nous travaillons à construire avec l’ensemble des acteurs concernés – organisations syndicales, juristes, chercheurs, associations de défense des droits de l’Homme – un observatoire de la répression syndicale, pour mettre en commun les statistiques, les témoignages, les études, les textes de loi et jurisprudences sur le sujet, afin de dégager des analyses communes et de faire des propositions pour faire reculer ce phénomène.
A l’heure où il est de bon ton de dénigrer les syndicats, rappelons à l’ordre ceux qui, quotidiennement, piétinent en toute impunité un droit constitutionnel.
Anne Debrégeas, responsable de Sud-énergie, travaille à EDF.
Collection « Les Notes et Documents de la Fondation Copernic », Editions Syllepse, novembre 2011.
Louis-Marie Barnier, Yann Cochin, Anne Debregeas, Didier Gelot, Laurent Menghini, Robert Pelletier, Maria-Teresa Pignoni,
Sabine Reynosa.