Trois questions à Claire Guéville, responsable du secteur lycée au snes-fsu

En quoi les réformes en cours du lycée et du bac vont-elles
renforcer les inégalités sociales et territoriales entre élèves
?

Si on s’attache aux discours ministériels, les réformes des lycées et
du Baccalauréat offriraient désormais aux élèves la liberté de choisir
leur avenir via des « parcours individuels » construits dès la classe
de Seconde. C’est une vision de la société qui fait de l’élève un
« entrepreneur de lui-même », et dans laquelle le cadre commun et les
solidarités deviennent non seulement secondaires mais sont vues comme
des freins, des rigidités ou des entraves à la réussite du projet
individuel. Dans cette perspective, seule compte la capacité de chacun
à investir dans son « capital humain », dans un système de concurrence
généralisée. Concrètement, cette logique amène les élèves à une
spécialisation précoce qui fonctionne comme un piège pour ceux qui
disposent de moins de ressources ou de réseaux.

L’organisation prévue pour le lycée général est assez emblématique
d’un « parcours » de formation dont les ressorts sont masqués sous le
discours séduisant de la liberté de choix. Dans la voie générale, les
séries sont remplacées par un système qui articule les enseignements
communs à des spécialités. On constate que l’implantation des
enseignements de spécialité, déterminants pour l’orientation post-bac,
cristallise et renforce les inégalités déjà existantes. Les lycées
ruraux, les petits établissements ou les moins favorisés socialement
ne pourront pas assurer le maximum de possibilités de parcours. Pour
enrichir sa formation, la lycéenne ou le lycéen sera condamné à aller
voir ailleurs pour une partie de ses enseignements, dans un autre
lycée, en visioconférences ou au CNED. C’est bien une autre vision de
l’école qui est à l’œuvre car se met en place un lycée plus flou,
moins lisible qui mettra en difficulté les familles les plus éloignées
du système scolaire.

Quels sont les premiers effets de la réforme de l’entrée
dans le supérieur sur les jeunes ?

Avec la loi Orientation et réussite des étudiants, la boîte de
Pandore de la sélection a été ouverte, et les enseignant-es de
lycée sont devenus malgré eux les artisans de cet écrémage via
les avis portés sur la fiche Avenir. Engagement, motivation,
capacité à réussir dans chacune des formations demandées :
l’évaluation du dossier de candidature a valoriseé
l’extrascolaire et surtout s’est voulue prédictive sur le
devenir de l’élève. Le nouveau bac, qui réduit l’examen
national à cinq épreuves terminales et tout le reste en
contrôle continu et épreuves locales, conditionne la valeur du
diplôme au lieu et à la réputation du lycée d’origine, et l’on
imagine bien combien cela conditionnera aussi les critères de
sélection pour la poursuite d’études.

Les « attendus » du supérieur se sont donc transformés en
obstacles parfois infranchissables pour le commun des
bachelier-ères, et plus encore pour les bachelier-ères
technologiques et professionnels. Les bachelier-ères les plus
socialement défavorisé-es ont été les plus en difficulté pour
accepter des affectations à la fois, tardives, hors vœux et
lointaines. Les ministères pourront toujours affirmer que
« tous les bacheliers qui le souhaitent » sont affectés mais
ce n’est pas forcément dans la formation souhaitée et surtout,
c’est au prix de défections bien plus nombreuses.

Quelles seraient les mesures nécessaires pour réamorcer la
démocratisation scolaire ?

On voit bien que les projets actuels vont à rebours des
objectifs d’élévation générale des qualifications qui ont
dominé les politiques publiques ces 70 dernières années. Sans
l’assumer vraiment, le gouvernement organise une régression
historique et cherche à convaincre la moitié des jeunes qu’il
n’ont pas leur place dans l’enseignement supérieur. L’urgence
politique exige d’abord d’obtenir l’abandon de toutes ces
réformes. Il est impératif de prendre le temps de construire
un autre lycée pour tous les jeunes jusqu’à 18 ans. Garantie
d’une éducation prioritaire pour les lycées qui le
nécessitent, diversité de l’offre de formation, repenser les
voies et les séries dans une perspective réellement
démocratisante avec un baccalauréat renforcé comme diplôme
national et premier grade universitaire, voilà un ensemble de
chantiers qui auraient du sens !

Propos recueillis par Mary David et Véronique Ponvert