Depuis quelques années, un des maîtres mots mis en avant dans toutes les réformes de l’Éducation nationale est « l’individualisation » : la prise en charge des élèves se doit d’être individualisée, l’aide doit être « personnalisée » et l’inclusion des élèves à besoins spécifiques se faire selon des protocoles « individuels »…
Comment s’opposer à cela sans passer pour d’affreux réactionnaires refusant par paresse de prendre en compte la personnalité de chaque élève ?
Mais cette nouvelle injonction est profondément gênante du point de vue de l’enseignement mais aussi de l’éducation donnée aux jeunes générations.
Il y a d’abord, bien sûr, le fait que nous avons face à nous des classes nombreuses dans lesquelles cette individualisation n’est pas aisée et cet autre fait que nous n’avons pas été formés, pour la plupart, à cette diversification de la prise en charge.
Mais, au-delà de cette question – somme toute facile à résoudre avec des effectifs moins pléthoriques et une formation plus approfondie – se pose le problème du bien-fondé de cette individualisation.
Il me semble qu’il s’y joue quelque chose de fondamental, de l’ordre du rapport au collectif et en lien avec l’individualisme triomphant de nos sociétés néo-libérales. Il faudrait que, partout, on retrouve cette vieille idée libérale du mérite individuel, qui fait reposer les succès et échecs de chacun sur ses efforts personnels. Chacun devient personnellement responsable de son « employabilité », de sa formation, de sa santé, c’est à chacun de « bien » préparer ses vieux jours… C’est la philosophie qui sous-tend toutes les réformes sociales en cours.
Que chaque élève soit traité comme un spécimen unique le rendrait ainsi personnellement responsable de sa réussite tout en le préparant aussi à une société dans laquelle règne le « chacun pour soi », où tous sont concurrents et où peu finalement sont élus.
On fonctionne là à l’envers de toute la fonction éducative de l’école qui est là pour apprendre aux jeunes à rechercher et valoriser ce qu’ils ont en commun avec les autres puisqu’ils auront bien le temps, au cours de leur vie d’adulte, de « cultiver leurs différences »…
Avec l’individualisation à tout-va, le groupe classe n’est plus alors que l’addition d’individus, chacun avec son propre traitement, et non plus un groupe dans lequel une dynamique naît du collectif.
C’est pourquoi, au-delà des indispensables revendications sur les effectifs des classes, nous devons mettre en avant l’importance du groupe classe, au sein duquel tous sont traités de la même façon (ce qui suppose que c’est possible), ont les mêmes droits et devoirs. Nous devons réaffirmer l’importance du collectif dans le processus d’apprentissage. Nous devons réaffirmer que nous voulons une école qui forme des citoyens solidaires et conscients de faire partie d’un groupe qui est fort de l’apport de chacun, aucun n’étant plus important que les autres.