Théâtre, Musique : « Papa, Jaurès et moi » ; Musiques d’avant et d’après guerre

En revenant du festival (Off) d’Avignon

Papa, Jaurès et moi

C’est un homme qui tous les soirs revit sa douleur sur scène. Tous les soirs, il ranime sur scène des moments et des émotions qu’on essaie en général d’oublier.

Brassens a écrit que, quel que soit l’âge où l’on perd ses parents, on est quand même un orphelin. Et justement, il en est là, lui, ce moi qui nous parle. Son papa est mort, trop vite, trop tôt.

Et pour qu’il ne s’en aille pas complètement, si vite, si tôt, il fait venir à lui sa mémoire, sa présence… pour renouer et continuer les conversations interrompues. Alors, bien sûr, tout y passe : les souvenirs d’enfances, les regrets, les remords…

Mais aussi les questions qui restent sans vraies réponses : ces racines juives, cachées pendant la guerre. Mais aussi la transmission. Mais aussi la filiation.

Mais aussi le bilan : maintenant que je suis seul, sans toi mon capitaine, que faire de ma vie ?

Alors, le temps d’un spectacle, son père est là, près de lui, près de nous. Et ce sont les pères de tous les gens présents dans la salle qui sont ainsi convoqués. Et moi, j’en suis où avec mon papa ?

Tous les soirs, cet enfant devenu grand, ou qui peine à le devenir, revit sa douleur, mais pour mieux en réchapper. Tous les soirs, il fait le chemin qui permet, un jour, de vivre avec l’absence, d’accepter de grandir malgré l’absence, de devenir « moi », même si « Papa » n’est plus là.

Et « Jaurès » dans tous ça, me direz-vous…

Jaurès, évidemment, comme la figure transmise par le père, comme une valeur, avec d’autres valeurs, de gauche, bien sûr, mais surtout d’humanité… Jaurès donc, sur lequel il faut écrire, avec l’aide du papa absent.

Et puis, ce n’est pas courant d’entendre chanter l’Internationale sur scène !
Tous les soirs, Thibaud Sobel, qui a écrit la pièce et la joue, livre une partie de lui-même sur scène. Habité par le texte, son interprétation est pleine de force et de nuances, d’émotion et de finesse.

La mise en scène joue avec les clichés du « seul en scène » dramatique et les évite avec tact.

Du théâtre qui parle aux tripes, au cerveau et au cœur. Du spectacle vivant. On ressort avec l’envie d’avancer, de renouer avec ceux qu’on aime, de vivre, tout simplement… ●

Loïc Saint Martin

Papa, Jaurès et moi. Écrit et interprété par Thibaud Sobel.

Mise en scène Sylvie Miqueu et Loïc Wauquier-Dusart. Compagnie Théâtre de la Tortue.


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Musiques d’avant et d’après guerre

Frémeaux et associés nous propose un voyage dans les temps. D’abord en compagnie de l’orchestre de Ray Ventura, en trois CD et trois périodes : « 1928-1934 » soit les prolégomènes, « 1935-1940 », la gloire, l’esprit des temps avec « Tout va très bien Madame la Marquise » un véritable hymne national et « 1946-1956 », une sorte de fin en feu d’artifice avec l’arrivée d’un guitariste plein de jazz, Sacha Distel, le neveu.

Une plongée nécessaire, une reconnaissance d’une histoire aussi intéressante que l’histoire officielle. Denis Lallemand nous présente Ray Ventura et quelques-uns des collégiens – c’est le nom de l’orchestre souvenir de jeunesse à Janson De Sailly – ainsi que Paul Misraki, compositeur de génie qui a su saisir les sentiments de la période de ces années 1930.

On ne peut comprendre, ni le Front Populaire, ni la chanson française de l’après-guerre, comme la force du jazz, son importance dans la culture française, sans écouter cette musique à la fois joyeuse et triste comme celle de Trenet qui s’en inspirera.

Ensuite, une « anthologie du rock français 1960-1962 », pour nous plonger dans ces années qui ont vu l’émergence des « teens », de ces ados construits autour de l’obligation scolaire et en quête d’une reconnaissance sociale qui passera par cette musique qualifiée de « sauvage ».

Mai 1968 aurait été différent sans le rock – à ne pas confondre, les auteurs du livret et de la sélection, François Jouffa et Pierre Layani y insistent à juste raison, avec les « yéyés » qui arriveront après -, sans ces jeunes gens et jeunes filles, sans ces groupes portant des noms de publicité comme « Les chaussettes noires » subventionnées par Stemm.

Johnny Hallyday, sur Vogue, un label dédié au jazz, marquera l’entrée dans cette nouvelle ère pour la France. ●

Nicolas Béniès

« Ray Ventura et ses collégiens 1928-1956 », présenté par Denis Lallemand

« François Jouffa présente une anthologie du rock français, 1960-1962 », Frémeaux et associés distribué par Socadisc.