S’unir pour mieux résister
À Dijon, les organisations syndicales CGT, FSUet Solidaires, parfois dans un arc un peu plus large,se retrouvent avec un certain nombre d’associations dans plusieurs collectifs autour de thématiques spécifiques, que l’on pourrait qualifier de « sociétales ». Sans préjuger de ce qui a pu se faire, ou pas, auparavant, voici un aperçu de quelques luttes communes.
Le plus ancien est le Collectif soutien asile, collectif très large qui œuvre à l’accueil et l’accompagnement de migrant·es, depuis les démarches administratives jusqu’à l’aide alimentaire ou l’ouverture de squats, faute de logements suffisants. Il s’est créé après un afflux de migrant·es après la chute de Kadhafi en Libye, dont 200 environ dormaient sur une place dijonnaise. Depuis une douzaine d’années, il réunit à la fois des associations généralistes de défense et promotion des droits humains, des associations caritatives confessionnelles ou non, des organisations syndicales, des collectifs libertaires… Chacun·e, organisation ou individu, apporte ses compétences dans des domaines aussi variés que la médecine, la plomberie ou le droit. Les actions concrètes, à but humanitaire, se doublent de prises de positions politiques, notamment pour dénoncer le racisme de certaines pratiques institutionnelles (communiqués, appels à rassemblements…). Le conseil départemental est régulièrement en faute dans l’accueil qu’il doit aux mineur·es non accompagné·es, et le collectif l’a fait condamner plusieurs fois en accompagnant ces jeunes au tribunal administratif. Si les organisations syndicales sont peu présentes concrètement dans les actions régulières, elles se mobilisent pour les rassemblements et accordent leur signature systématiquement aux déclarations du collectif, qui a su bâtir un climat de confiance et de coopération. Des liens se sont consolidés dans cet espace militant. À noter aussi le travail qui se fait en parallèle au sein du RESF, pour les enfants scolarisé·es et leurs familles, réseau animé par la FSU.
Pour la grève féministe
Autre exemple intéressant, l’Assemblée pour la grève féministe (AGF) est le résultat de la rencontre entre un jeune collectif féministe – le Collectif 25 novembre, qui se définit comme inclusif, anticapitaliste et décolonial – et des organisations plus traditionnelles (dont Attac, LDH, CGT, FSU, Solidaires). Le travail commun a connu des débuts un peu hésitants, dus en particulier à la période Covid et à des divergences sur le sujet de la prostitution. Après le 8 mars 2022, et la co-organisation du défilé et d’une soirée publique autour du film Debout les femmes !, la volonté a émergé de travailler ensemble à la réussite de la grève féministe pour 2023. La spécificité de cette journée du 8 mars permet de mettre en avant des revendications féministes dont certaines concernent le monde du travail. Il s’agissait d’organiser à la fois une grève des salariées – et le rôle des syndicats était donc incontournable, d’autant plus qu’ils appellent à la grève féministe depuis 2017 –, mais également d’élargir à d’autres formes de grève, comme celle du travail domestique ou émotionnel, ou encore de la consommation, modalités d’action moins classiques, destinées à mettre en relief d’autres formes d’inégalités subies par les femmes. Les assemblées pour la grève féministe se tenaient tous les mois, puis le rythme des réunions s’est accéléré. Parallèlement, le mouvement social contre la réforme des retraites a pris de l’ampleur, le cortège féministe était présent à chaque mobilisation et cela a contribué à rapprocher encore l’AGF des syndicats qui y participent. Finalement, nous avons peu de retours sur le nombre de grévistes du 8 mars. Le cortège a pu paraître mince si on le compare aux 24 000 personnes qui ont défilé la veille, plus grosse manifestation de toute la période. Mais 1 500 personnes, ce n’est pas rien non plus pour une manif féministe, qui de plus s’est terminée sous une pluie battante ! Les Rosie dijonnaises étaient bien sûr de la partie, ce qui a apporté un élément supplémentaire de cohésion et de sororité.
Cette année de travail commun a été une très belle expérience, très riche de rencontres. Nous sommes de générations différentes, de cultures militantes différentes, et nous avons travaillé de façon très horizontale et bienveillante. Lors de la réunion de bilan, nous avions toutes envie de poursuivre et nous en avons pris le chemin dès septembre. Pour certaines jeunes femmes, il s’agissait de leur première expérience d’engagement et elles étaient enthousiastes.
Cette assemblée, même si la référence n’est pas explicite, se situe dans la continuité du féminisme « lutte de classes »(1), « courant qui lie étroitement la lutte pour l’émancipation des femmes à celle de tous les opprimés » et appelle donc à « combiner l’action autonome du mouvement féministe avec l’action unitaire avec d’autres mouvements sociaux, avec celle notamment du mouvement ouvrier pour faire avancer la libération des femmes »(2), même si la dimension intersectionnelle de notre AGF va plus loin dans la prise en compte des différents systèmes de dominations.
S’unir contre la répression
Face à la répression des manifestations et des militant·es, une dizaine d’organisations ont mis en place un comité de vigilance pour les libertés publiques au printemps dernier. Nous avons décliné localement en juin les Assises populaires qui s’étaient déroulées à Paris en avril, autour du message que, des syndicalistes aux féministes, des écologistes aux Gilets jaunes, des étudiant·es aux habitant·es des quartiers populaires, nous n’avons pas d’autre choix que nous unir pour résister au rouleau compresseur de la répression. Et c’est ensemble que nous avons, par exemple, contesté des amendes pour « casserolades » ou participé au rassemblement de soutien à l’occasion du procès de sept militant·es d’Extinction Rebellion en août. Là aussi, la solidarité s’organise en fonction des ressources et expertises apportées par chaque organisation.
Ces exemples, modestes, reflètent la situation d’une ville parmi d’autres. Le travail en collectifs s’y appuie sur la conviction que l’unité participe du rapport de force, et que les oppressions que nous subissons s’imbriquent à plusieurs niveaux. À l’heure où les attaques contre nos militant·es et nos modes d’action se multiplient, venant tant de l’État que des extrêmes droites, où s’expriment sans filtre racisme, sexisme, mépris de classe, où nous nous faisons taxer de wokistes, écoterroristes ou islamo-gauchistes, quelles résistances construire ? Face à l’intersectionnalité des haines (3), avons-nous d’autre choix que l’intersectionnalité des luttes, et non plus leur simple convergence, qui n’était déjà pas simple à réaliser ? Cette réflexion est particulièrement vitale dans le contexte où les idées d’extrême droite contaminent de plus en plus les esprits, y compris jusque dans la gauche. ■
Cécile Ropiteaux
1. Féministes. Luttes de femmes, luttes de classes – Suzy Rojtman (collectif).
2. Josette Trat.
3. Antiféminismes et masculinismes d’hier à aujourd’hui – Christine Bard (dir.)