Une lutte à mener pour nous réapproprier notre travail !
L’école subit dans nombre de pays dits « avancés » de profondes transformations qui découlent d’évolutions économiques (globalisation, « nouvelle économie du savoir »), sociales (accroissement des inégalités) mais aussi culturelles de nos sociétés (demande d’individualisation, nouveau rapport à l’autorité, au savoir…), engendrant depuis 40 ans un durcissement progressif de la condition enseignante.
Lors du stage EE-SNES de janvier, Christophe Hélou, qui a participé à des travaux de recherche à l’INRP[[Institut National de Recherche Pédagogique, institut autonome à l’Éducation Nationale démantelé en 2010 sous Sarkozy.]] et est auteur avec Françoise Lantheaume de La souffrance des enseignants, une sociologie pragmatique du travail enseignant[[Puf 2008]], est intervenu.
Gestion de classe et savoirs
La tenue de classe est devenue plus difficile : moins reconnu par les élèves mais aussi par la société, critique à son égard et à celui des savoirs scolaires, l’enseignant doit sans cesse se justifier. Si cela traduit des avancées dont on peut se satisfaire en termes de citoyenneté, il n’en résulte pas moins une perte de considération et une tension professionnelle accrue dans le monde enseignant.
La fin d’un certain compromis
Avant la mise en place du néo-management public, il existait un certain compromis, issu du consensus de 1945, entre les enseignant-es et le MEN, dont les objectifs concordaient. Il y avait peu d’écart entre prescription et travail réel. En 1998, avec Allègre naît la césure qui ne cessera de s’accentuer. Des DRH sont créées dans les rectorats, mais la souffrance des enseignant-es, bien qu’étant reconnue par l’administration, est traitée sous la forme du pathos, à rebours de la position syndicale.
Analyser le travail enseignant
Une particularité de ce métier réside dans le fait que toute défaillance est très visible, quand ce qui fonctionne est silencieux, peu visible. La « difficulté ordinaire », intrinsèque à la tâche, est partout, elle fait sens dans le travail et c’est justement pourquoi il faut l’étudier : à quel moment cette « difficulté ordinaire » devient-elle source de souffrance ? Dès lors qu’on perd la puissance d’agir, on ne gère plus la situation.
Loin de la « pathologisation » à laquelle l’institution renvoie l’individu en difficulté, la sociologie du travail défend l’idée que c’est l’organisation du travail au sens large qui permet ou non de gérer la « difficulté ordinaire ». Quand certains modes d’organisation freinent le travail, engendrent de la souffrance, d’autres facilitent, permettent la gestion de la « difficulté ordinaire », qui d’ailleurs, se vit souvent collectivement.
Une identité professionnelle mise à mal
Dans notre société capitaliste, les individus se définissent d’abord par leur activité professionnelle et le dénigrement du travail produit atteint l’identité, d’où les effets délétères des discours dénigrant l’école ou l’hôpital ces dernières années. Le néo-management public divise, déstabilise professionnellement et modifie la tâche des personnels pour faire disparaître le service dans lequel ils exercent. Le fait de devoir appliquer des directives dont les agents ont la conviction qu’elles vont dégrader le service rendu, tout en détruisant le métier lui-même, est source de souffrance. Quand la prescription s’éloigne du travail réel, le travail devient « empêché ».
Se réapproprier le travail
En voulant réduire le plus possible l’écart entre la prescription et le travail réel, l’institution pratique un « management totalitaire » où tout est forme de « bonnes pratiques ». Pour mettre fin à cette tyrannie, il faut rétablir cet écart. Le groupe professionnel se reconnaît dans la norme professionnelle qu’il construit dans un espace d’autonomie indispensable, source de créativité et d’efficacité. Le sentiment de « beau travail » que nous pouvons avoir au sujet de notre activité est un facteur d’engagement et de dépassement. La définition du travail est une lutte continuelle entre le travailleur et le prescripteur. Le monde enseignant, aujourd’hui déstabilisé, ne peut plus se contenter de résister. Il lui faut désormais lutter pour recréer son espace d’autonomie, reconstruire sa définition du travail, reprendre la main sur ses pratiques grâce à la mise en place de collectifs
de travail sur le terrain, dans les établissements. L’EE mènera ces luttes !
Illustration : CC – Ira sur Flickr.Documents joints