Condamné à mort en 1982 pour le meurtre présumé d’un policier de Philadelphie, Mumia Abu Jamal, devenu depuis un symbole international de la lutte contre la peine
de mort, vient de voir sa condamnation définitivement commuée
en une peine de prison à perpétuité. Croupissant depuis trente ans dans le couloir
de la mort, Mumia vient de remporter une première victoire.
Cependant, cette première avancée, qui est aussi un soulagement pour ceux
qui l’ont soutenu, demeure insuffisante puisque Mumia reste derrière les barreaux…
Rappelons la trame de cette histoire qui, une fois de plus, a entaché la justice américaine en mettant en évidence son visage de classe trop souvent raciste. Le 9 décembre 1981 Mumia, qui est alors chauffeur de taxi, intervient auprès du policier Daniel Faulkner en train de contrôler son frère. Dans des conditions troubles, une fusillade éclate, le policier est tué tandis que Mumia, blessé, gît sur le trottoir lors de l’arrivée des secours. Une arme, dont il est le détenteur, est retrouvée sur les lieux.
Coupable idéal
d’une justice raciste
L’enquête est bâclée en quelques semaines et, en juillet 1982, le juge Sabo condamne Mumia à la peine de mort après avoir prononcé ces mots : « Je vais les aider à faire griller ce nègre ». Tout est dit sur l’impartialité de ce procès à sens unique. Il faut dire que Mumia n’est pas n’importe quel citoyen américain ordinaire. Né en 1954, c’est un militant convaincu de la cause des Noirs, un inlassable défenseur de l’égalité sociale en même temps qu’un pourfendeur de l’Amérique impérialiste et néo-colonialiste. Proche des Black Panthers, puis journaliste sur une radio locale, ses billets au vitriol contre les violences policières, le racisme des autorités de Philadelphie et son soutien au groupe activiste MOVE attirent sur lui l’attention des autorités. Au moment des faits de décembre 1981, il est donc un coupable idéal.
Lors de l’enquête, les armes utilisées lors du meurtre ne sont pas expertisées et aucune piste alternative n’est explorée. Mumia doit être condamné. Cette parodie de justice éveille des soupçons immédiats aux Etats-Unis et dans le monde entier. La campagne de mobilisation sauve Mumia à plusieurs reprises et l’érige en symbole universel de l’injustice et de la pseudo-démocratie américaine. En France, une campagne de solidarité, de soutien et d’information est organisée par Amnesty et le MRAP tandis que plusieurs municipalités de gauche font de Mumia un citoyen d’honneur de leur ville. La pression militante et le courage de Mumia finissent par payer peu à peu : en décembre 2001, un juge fédéral américain annule la condamnation à mort pour cause de procédure irrégulière, mais la culpabilité de l’ancien activiste est confirmée. Cette confirmation ôte la possibilité à Abu-Jamal et à ses avocats de demander un nouveau procès. En mars 2008, la possibilité d’un nouveau jugement est à nouveau rejetée, mais la peine de mort vient d’être définitivement écartée ces derniers jours.
« Attendre et attendre,
attendre la mort »
Même dans le silence du couloir de la mort, le militant n’est jamais loin. Mumia continue d’y pourfendre inlassablement la peine capitale, les inégalités sociales, raciales dans son pays et dans le monde entier. Il devient la « voix des sans-voix ». Plusieurs de ses ouvrages ont été traduits en France. Il s’exprime ainsi dans l’un d’entre eux : « Imaginez une pièce grande comme votre salle de bain et imaginez que vous êtes condamné à y vivre, à y manger, à y dormir, à y soulager vos besoins naturels, à y rêver, à y pleurer, et surtout, surtout, à y attendre. Imaginez que c’est pour le reste de votre existence que vous êtes condamné à attendre. Imaginez ce que c’est d’attendre et attendre, attendre la mort ».
C’est cette attente terrible, lancinante, inhumaine qui vient de prendre fin pour Abu-Jamal. C’est une première victoire pour les défenseurs du droit et les adversaires de la peine de mort mais le combat pour un procès juste, équitable et permettant de faire toute la lumière sur cette affaire reste à poursuivre. ●
Julien Guérin
A lire :
– Mumia Abu-Jamal,
We Want Freedom :
une vie dans le parti
des Black panthers,
Le temps des cerises, 2011
– Condamné
au silence, préface
de Danielle Mitterrand,
La Découverte, 2001.