Socle 2014 : se méfier des apparences

Nouveau socle issu du CSP (Conseil Supérieur des Programmes, texte publié le 6 juin) : note non exhaustive, qui n’entre pas précisément dans l’étude du texte du socle, mais propose plutôt des pistes, des questions suite à sa lecture : en effet, il nous faut poursuivre ensemble la réflexion sur les contenus, et leur fonction dans la construction de l’école. Véronique Ponvert – 22 juin 2014 Cliquez ici pour télécharger le document Socle Fillon : rappel
L’opposition au socle Fillon était largement partagée au sein de la FSU : opposition au principe même de « minimum » à garantir pour les uns, et de programmes pour les autres ; au contenu de ce minimum centré sur de prétendus fondamentaux qui excluaient par définition des données essentielles de la culture et de la construction d’un individu éclairé ; à la logique de compétences qu’il imposait comme autant de moyens de réduire les savoirs… Enfin, l’évaluation du socle à travers le LPC (Livret Personnel de Compétences), outil décrié même par les partisans du socle, achevait un tableau déjà bien noir. La FSU s’est dotée de mandats qui rejetaient ce socle comme étant l’instrument central de la sélection sociale opérée par l’école. Loi d’orientation Peillon
Peu à peu, avec Peillon, le projet de « refondation » s’est mis en place avec divers « couacs » : Peillon n’a pas supprimé le socle Fillon ni le LPC à son arrivée, mesures qui ne coûtaient pourtant rien. Puis il a simplifié le LPC, sans en changer la philiosophie. Il a ensuite chargé le CSP qu’il venait d’installer de retravailler le socle et les programmes. La FSU, à travers ses SN, s’est exprimée durant ce temps de façon moins critique sur le socle, expliquant qu’un autre socle que celui de Fillon, qui ne montrerait pas de rupture avec le contenu des programmes, serait acceptable ; qu’il fallait changer la nature de ce nouveau socle, en modifier les contours, le dénaturer en quelque sorte pour pouvoir l’accepter… C’est ainsi qu’a été ajouté le mot « culture » (socle commun de connaissances, de compétences et de culture), à la demande de la FSU. Le socle et ses détracteurs
Depuis le début, l’EE a contesté le socle, pour toutes les raisons évoquées plus haut ; contrairement à UA, l’EE n’a pas changé de ligne avec Peillon et a continué à rejeter la logique même du socle, de tout socle, y compris d’un socle fardé du mot culture. A la publication du socle conçu par le CSP, la FSU s’est félicitée de cette nouvelle mouture, tandis que les syndicats qui étaient favorables au socle Fillon (SE-UNSA, SGEN) ont au contraire dénoncé ce qu’il était devenu. Ce clivage inédit doit nous interpeller : maintenant, la FSU, ennemie farouche du socle, en prend donc la défense ? Cela signifie-t-il qu’il a vraiment changé de nature, dans le fond ? Le travail du CSP
Denis Paget fait partie du CSP ; depuis des années, à travers ses publications ou ses interventions, il martèle son opposition sans concession au socle. Le fait qu’il participe aux travaux du CSP a fait dire au Snes que le contenu du socle et des programmes en sortirait modifié, et que par conséquent, si le contenu des deux était quasi semblable, de fait, le socle n’existerait plus réellement… Qu’il serait vidé de sa substance et qu’il s’agirait donc là d’une victoire. Evidemment, cette démarche fait silence sur l’évaluation du socle, le LPC ou autre outil du même style, qui lui confère pour le coup une existence réelle et contraignante. Pour autant, il faut aujourd’hui analyser précisément la démarche (socle-programmes-évaluation) dans toute sa cohérence : force est de constater qu’on ne peut plus avancer les mêmes arguments, qu’il nous faut adapter notre discours face à une offensive toujours libérale mais beaucoup plus larvée et difficile à décrypter aujourd’hui. Quel socle issu du CSP ?
Le texte fait 22 pages, il énumère des prinicpes et des valeurs, il donne des objectifs et des ambitions : tout cela sur fond d’humanisme, pas du tout comme ces objectifs chiffrés que l’on trouve dans d’autres textes programmatiques. Il s’affranchit des « compétences clés » établies par l’UE et avance d’autres finalités pour l’école que la simple employabilité. Il définit non pas le minimum que devrait connaître tout élève au terme de la scolarité obligatoire (logique du socle Fillon) mais au contraire fixe l’idéal à acquérir en fin de parcours, idéal ambitieux qui pourrait tirer vers le haut….
Il annonce d’emblée que « le socle commun, c’est l’ensemble des programmes du primaire et du collège », et règle donc un premier problème : oui, ce sont donc bien les programmes qui fixent le contenu des savoirs à acquérir, et ils sont identiques pour tous.
Ensuite, le texte reconnaît 5 domaines qui sont les composantes de la culture commune (on ne parle donc plus de piliers). Chaque domaine requiert la contribution de toutes les disciplines… En fait, c’est un changement de conception et d’organisation des savoirs entre eux, une volonté de favoriser l’articulation et la complémentarité d’une discipline à l’autre, ce qui n’est pas idiot en soi. Cette démarche intellectuelle est séduisante, elle donne du sens aux enseignements, et une portée plus large. Elle a aussi le mérite de sortir de la hiérarchie des disciplines, qui est un frein sérieux à toute volonté de démocratisation de l’école. Architecture et contenu
5 domaines :
  1. Les langages pour penser et communiquer
  2. Les méthodes et outils pour apprendre
  3. La formation de la personne et du citoyen
  4. L’observation et la compréhension du monde
  5. Les représentations du monde et l’activité humaine

Il faudrait étudier en détail le domaine 3 et surtout sa traduction concrète en terme d’attendus. En effet, les objectifs visés relèvent ici plus particulièrement de la construction personnelle de l’individu, et l’élève est censé acquérir des notions très difficilement appréciables de façon objective. Citons, par exemple, le sens de l’engagement et de l’initiative, ou encore le développement de la sensibilité. Et dans ce domaine 3, la notion morale de « bon » citoyen est sous jacente et dangereuse, la volonté de normaliser étant omni-présente ici. Par ailleurs, on peut y lire la volonté de faire revenir la visée comportementaliste de l’éducation que nous rejetons : il faut donc la dénoncer. Mais pour le reste, les autres domaines présentent des intérêts divers (convergence de disciplines variées pour acquérir des « compétences transversales » (ce qui, en soi, représente déjà une limite), exigence très élevée sur les objectifs de connaissances à atteindre en terme de culture générale, conception nouvelle des savoirs à enseigner pour viser une meilleure compréhension du monde (notions de géopolitique, travail sur les représentations et l’altérité…), mais qui évidemment résulte de choix et d’impasses (quid de l’histoire sociale, par exemple?). Malgrè les bémols énoncés, pour la première fois depuis bien longtemps, on a tout de même le sentiment d’un souffle, d’un élan dans le projet éducatif tracé, on ressent une volonté émancipatrice de cette école-là qui pourrait être pour nous un sérieux point d’appui. Les limites
Reste à savoir comment ce socle sera traduit concrètement dans les textes des programmes d’une part, car cette volonté d’élévation du niveau global de connaissances passe par la prescription contenue dans les programmes, dont le contenu ne doit pas être revu à la baisse ; en effet, le texte du socle avance de grands principes généreux, mais il reste forcément très vague sur la façon d’y parvenir, et sur le seuil de connaissances finalement visé (par exemple, « maîtriser le langage scientifique » ne veut rien dire dans l’absolu). Cette question est extrêmement aiguë puisque le scole, ainsi défini, deviendrait l’objectif cible de la scolarité obligatoire : les programmes viennent donc « nourrir » la notion de socle, (changement de priorité, c’est bien le socle qui est désigné comme la finalité scolaire…), il faut donc qu’ils soient particulièrement complets et ambitieux. En cas d’évolution du rapport de forces au sein du CSP, par exemple, on voit bien que la logique d’école du socle prédomine, que le cadre de l’école capitaliste est bel et bien posé et que le socle est « premier » dans cette école-là, qu’on pourrait donc décider de réduire le contenu de ce cadre à peau de chagrin.
Ensuite, la question de l’évaluation est extrêmement prégnante, et peut changer radicalement la donne. Si le socle n’était qu’une feuille de route, une sorte de manifeste indiquant les finalités de l’école et insistant sur les objectifs d’émancipation de celle-ci, ce serait un texte très intéressant et extrêmement précieux pour changer le sens de l’école aujourd’hui, et rompre avec la sélection et la compétition qui sévissent. Mais on peut légitimement douter que ce soit le cas… Avant d’entrer dans le détail des 5 domaines, le texte consacre un long passage à l’évaluation du socle, et c’est là que le bât blesse. Rien n’est dit de précis, mais si le socle est évalué en tant que tel, compte tenu de son organisation interdisciplinaire, voire extra disciplinaire, il y a fort à parier que l’on retombera dans les travers du LPC, à savoir une évaluation exclusivement par compétences et la mort annoncée des diplômes nationaux. Il suffit de lire la prescription n°4 du passage sur l’évaluation du socle pour avoir un aperçu : « Rechercher une procédure simple et cohérente associant une évaluation progressive des acquis des élèves à chaque fin de cycle et une validation terminale du socle commun. Mettre fin à la concurrence entre l’évaluation des programmes et l’évaluation du socle et assimiler la délivrance d’un brevet redéfini et la validation du socle ». Conlusion
Même si le sens du socle a changé et ne peut plus subir les mêmes critiques que celui de 2005, que son contenu est identique à celui des programmes (ce qui serait, avouons-le, une bonne chose, y compris dans nos salles des profs et des maîtres, car la bataille que l’on mène contre le socle est difficile à faire partager au quotidien…), il n’en reste pas moins que d’autres batailles de taille restent à mener : le contenu des programmes est à étudier de près, d’une part, et l’évaluation du socle également. Sachant les problèmes insurmontables que pose une telle évaluation, et sachant par ailleurs que le projet d’école du gouvernement n’a, lui, pas changé de nature, et qu’il est centré sur le lien école-entreprise (notamment à travers le développement de l’apprentissage), il me semble qu’il faut absolument refuser toute évaluation du socle en tant que telle ; et s’il faut vraiment un « diplôme » de fin de la scolarité obligatoire (encore que, pour la FSU, avec une scolarité continuée jusqu’à 18 ans, la question ne se pose pas), il faut alors batailler pour un examen national du type brevet.
Il faut évidemment mettre cette question en relation avec les autres chantiers que mène le gouvernement : pour info, la conférence sociale de l’été, 3ème du titre, réserve pour la première fois, une place à part entière aux questions éducatives (apprentissage, formation professionnelle, oreintation, qualifications) en lien, évidemment, avec l’entreprise (« Sil y a un fil conducteur à cette conférence, ce fil sera en grande partie la jeunesse », a déclaré M. Valls, le 16 juin). On trouve au centre des problèmes abordés celui de l’évaluation (diplômes, certifications, validations en tout genre). Sachant que le prochain chantier pour Hamon est celui de l’évaluation scolaire, à l’automne, il y a de quoi s’inquiéter sur l’objectif réel des intentions affichées par un texte comme celui du socle.

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