Le 24 octobre 1975, 90 % des Islandaises ont quitté leur poste pour dénoncer les inégalités salariales
et manifester à Reykjavik, (photo). Cela a paralysé le pays et éveillé les consciences. Le mouvement a repris
en 2005, 2008 et 2016 pour montrer que les inégalités avaient reculé bien trop lentement.
Le 7 novembre 2016, une action du même type fut lancée en France par le collectif Les Glorieuses. Certes, cette journée n’a pas donné lieu à des mobilisations massives, mais elle a eu un écho médiatique indéniable. Des initiatives, parfois mixtes, se sont déroulées sur certains lieux de travail. Les associations féministes ont organisé des rassemblements dans plusieurs villes, lieux d’échanges et d’expressions multiples. La prise de conscience des inégalités salariales a fait un pas en avant ce jour-là, notamment chez des jeunes femmes qui n’y étaient pas forcément sensibilisées. Rebondissant sur cette actualité, la CGT a alors repris l’idée d’une grève pour le 8 mars, journée internationale de lutte des femmes. Cette proposition entrait en écho avec des actions que Solidaires et le CNDF (Collectif National pour les Droits des Femmes) portaient depuis longtemps. Un arc unitaire s’est construit, rassemblant organisations syndicales et associations féministes, pour faire de ce 8 mars une journée de mobilisations interprofessionnelles : initiatives diverses, manifestations, grèves pour les droits des femmes.
Au niveau international, plusieurs mouvements avaient évoqué cette perspective dès l’automne, et lancé un appel à une grève mondiale des femmes pour le 8 mars, suite aux mobilisations importantes contre les violences faites aux femmes ou contre les régressions que voulaient imposer des gouvernements réactionnaires, qui avaient eu lieu dans plusieurs pays : Pologne, Maroc, Italie, Hongrie, Turquie, Brésil, Mexique, Argentine, États-Unis… Au total, ce sont plus de 50 pays qui se sont inscrits dans cette dynamique et ont appelé à des actions de « grève des femmes » visant à montrer que, sans l’activité des femmes, l’économie ne tournerait pas. Pour la première fois, les actions organisées à l’occasion de cette journée l’ont été de manière coordonnée sur les cinq continents, de l’Espagne au Pakistan, de la Thaïlande au Tchad… « Il est temps de repolitiser la journée des femmes », disent notamment les féministes états-uniennes en lutte contre Trump. Rappelons aussi que le 8 mars 1917, des femmes en Russie avaient manifesté pour réclamer « du pain et la paix », manifestation à l’origine du mouvement révolutionnaire, dont le 8 mars 2017 marque le centenaire. Tout cela a donné au 8 mars cette année une dimension particulière.
Les outils de la campagne unitaire
CGT et Solidaires ont entamé des campagnes de sensibilisation spécifique depuis des mois, comme par exemple #viedemère destiné à recueillir des témoignages sur la difficile équation de la conciliation vie familiale/vie professionnelle. Des préavis de grèves pour le 8 mars ont été déposés par les organisations syndicales. Les organisations signataires ont été invitées à se réunir dans les départements pour décliner l’appel et prévoir des actions, en particulier à 15h40(1) , dans des lieux publics et/ou sur les lieux de travail.
La campagne unitaire a fourni du matériel, très largement financé par les organisations syndicales, pour construire la mobilisation : site unitaire(2) avec vidéo d’appel, tract, affichettes, ressources pour les réseaux sociaux, plateforme avec une carte des mobilisations… Les 20 propositions « En 2017 nous voulons » pouvaient être soumises aux salarié-es, aux passant-es. La campagne prévoyait des modes d’action variés, afin d’impliquer le plus de monde possible, mais c’est bien la grève de toutes et tous qui a été mise en avant.
Les difficultés
de mobilisation : le 7 mars
La première difficulté a tenu à la proximité avec une autre journée d’action, celle du 7 mars. Initiée dans la Fonction Publique Hospitalière, elle s’est étendue à tout le champ « santé-social » sous la pression de FO, mais aussi de syndicats de la CGT et de Solidaires, puis à la territoriale, pour la défense des services publics. Plusieurs syndicats de la FSU s’y sont impliqués, comme le SNUTER. Dans un contexte où les mobilisations sont difficiles, où la campagne électorale rend les personnels attentistes, voire atones, ces deux journées successives ne se sont pas vraiment articulées, elles sont plutôt entrées en concurrence. Pourtant, les professions de la santé et du travail social sont largement féminisées, la cohérence aurait pu être travaillée.
Faire grève un mercredi ?
Pour la FSU, le fait que le 8 mars soit cette année un mercredi n’a pas facilité l’engagement dans l’action de grève : en effet, il n’est pas aisé pour une fédération qui syndique de nombreux enseignant-es d’appeler à cesser le travail à 15h40 un mercredi, c’est-à-dire quand bon nombre des personnels n’y sont plus… Elle a donc décidé au CDFN de janvier de s’impliquer dans le mouvement et la campagne unitaires, mais sans appel ferme à la grève. Plusieurs de ses syndicats ont rédigé des suppléments sur le 8 mars et l’égalité professionnelle, mais sans que le mot « grève » ne soit partout présent… Suite à la participation de sa secrétaire générale à la conférence de presse unitaire du 28 février, la FSU a mis en ligne l’interview d’une militante islandaise, et a rédigé un communiqué. Peu à peu s’est imposée la nécessité de la présence et de la visibilité de la FSU dans les manifestations un peu partout en France, mais sans que la fédération ne se soit vraiment donné les moyens de construire la mobilisation (infos envoyées tardivement). Le zonage des vacances scolaires n’a pas non plus aidé.
Premiers éléments de bilan
Plus de 300 initiatives ont été organisées en France, des débrayages aux manifestations, qui se sont déroulées dans une quarantaine de villes. Elles ont surtout eu lieu là où les collectifs locaux autour des questions féministes étaient déjà une réalité les années précédentes. Ces collectifs ont fait preuve d’inventivité, déclinant les actions sous des formes multiples : débats sur des thèmes variés, projections, théâtre, rassemblements (Medef, maternité en danger…) avec musiques et chansons, témoignages de luttes et/ou de femmes grévistes, ateliers, recueils de paroles, lectures, tractages, conférences de presse, expositions… Parallèlement, dans d’autres départements des actions ont émergé pour la première fois. Il semble que la dynamique, globalement, se soit accentuée là où elle existait déjà, notamment par l’implication des organisations syndicales, même si celles-ci ont peiné à mobiliser au-delà des cercles militants. À Paris, c’est un cortège de 8 000 personnes, plus fourni que les autres années, qui a marché de République à l’Opéra. L’arc unitaire a parfois été plus restreint que dans l’appel national, par manque « d’enthousiasme » de certaines équipes départementales, voire par sectarisme. L’implication de la CGT a été à géométrie variable, alors même que la mobilisation était pourtant réellement portée par la confédération (prises en charge dans les instances nationales, communiqués…). La FSU était modestement présente avec notamment des militant-es de l’éé. À noter la participation remarquée de jeunes dans les manifestations.
Pour la première fois, le 8 mars s’est centré sur la question du travail, de l’égalité professionnelle, des femmes travailleuses. Sans négliger pour autant les autres problématiques, comme celles liées aux violences, à la sexualité, au droit des femmes à disposer de leur corps. C’est même l’articulation des différentes dimensions qui a permis l’ampleur de ce mouvement, aussi bien au niveau national qu’international, mouvement construit depuis des mois au-delà des frontières.
Construire le 8 mars… 2018 !
Les médias ont été plutôt avares de retours sur les mobilisations. En revanche, ils ont été nombreux à assurer les jours précédant le 8 mars une bonne couverture des sujets concernant les droits des femmes et l’égalité, ou la lutte contre les violences. Peu à peu, les questions féministes s’imposent toujours davantage dans le paysage, en France comme un peu partout dans le monde.
Les marges de mobilisation potentielle sont encore larges. Pour l’Europe, par exemple, Sabine Reynosa, de la CGT, regrette que son organisation ait été la seule membre de la CES à s’être engagée dans le mouvement, pourtant soutenu par la CSI !
En France, il faut d’ici 2018 que l’arc unitaire se renforce sur tout le territoire, et que les organisations syndicales s’engagent pleinement à construire la grève. En particulier, la FSU devra anticiper puis mener une réelle campagne de conviction (la grève sera cette fois un jeudi !), avec une meilleure diffusion des informations et du matériel militant. Des points d’appui existent pour transformer le frémissement en bouillonnement. ●
Cécile Ropiteaux