Résister à la banalisation du RN dans les syndicats

La progression du vote Rassemblement national chez les salarié·es syndiqué·es 
ou sympathisant·es, à l’image de l’électorat populaire, est chaque fois plus notable. La normalisation des discours et des idées du RN accompagne une banalisation de ses projets et leur donne une légitimité pour une alternance politique. La formule d’un syndicalisme indépendant mais pas neutre, reprise à la fois par la CGT, Solidaires et la FSU, exprime la volonté de ne renoncer ni à l’indépendance syndicale ni à la lutte contre la menace de l’extrême droite. Nous avons demandé à Thomas Vacheron, secrétaire confédéral de la CGT, Murielle Guibert, déléguée générale de Solidaires et Benoît Teste, secrétaire général de la FSU, comment la montée du RN percutait leurs organisations syndicales.

ÉÉ : Comment mesurez-vous cette normalisation du RN dans le monde salarié, et notamment sa volonté de faire croire à leurs préoccupations syndicales ?

Thomas Vacheron : Le carburant de l’extrême droite, c’est la désespérance sociale. Le vote pour l’ED est plus fort chez les citoyen·nes les plus éloigné·es du syndicalisme, mais les sympathisant·es des syndicats sont de plus en plus touché·es. Selon les sondages, 20 % se disent « proches de la CGT ». Le salariat (90 % des actif·ves) n’est pas épargné par la bataille idéologique où le capital détient la plupart des grands médias.

La CGT a la particularité d’avoir commencé, en interne, la lutte contre l’ED depuis plus de dix ans. Il s’agissait alors d’exclure de nos rangs F. Engelmann, actuel maire RN d’Hayange (Moselle) et à l’époque secrétaire CGT d’un syndicat des territoriaux. Alors que la CGT est une organisation large de 600 000 adhérent·es, le fait de voter à l’extrême droite n’est pas décomplexé, comme on le voit ailleurs. C’est aussi le signe de la conscience d’une contradiction entre ce vote et l’engagement syndical CGT. Cela s’explique aussi par notre position claire vis-à-vis de ce parti politique et de ses idées.

Depuis l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du RN, la stratégie est faite d’opportunisme et surfe sur la légitime colère sociale – dans le but de conquête du pouvoir – mais en gardant les fondamentaux : la xénophobie, l’autoritarisme, l’antisyndicalisme.

Murielle Guibert : Dans certains départements, des militant·es nous remontent les difficultés à parler du sujet de l’extrême droite ou à relayer les expressions et communiqués de Solidaires qui dénoncent constamment et fortement l’extrême droite et ses idées.

Des territoires entiers sont désormais majoritairement acquis au vote RN, certains médias ont largement déroulé le tapis à leurs représentant·es mais aussi à tou.tes ceux et celles qui véhiculent des idées d’extrême droite. Cela se mesure aussi par des oppositions frontales au syndicalisme de terrain, comme dans des mairies tenues par le RN.

Dans de nombreuses villes, des militant·es de Solidaires, et particulièrement de Solidaires étudiant·es, se sont fait menacer, agresser physiquement.

La « normalisation » du RN ces dernières années, la situation sociale très dégradée conjuguée à la reprise par ce gouvernement et la droite des politiques contre les immigré·es (loi immigration, remise en cause du droit du sol, reprise de la rhétorique sécuritaire..), brouillent les cartes et ont encore plus « banalisé » le fait que ces idées seraient une alternance possible. Le pseudo discours social du RN n’est pas une nouveauté. Poursuivant sa stratégie du vautour, il surfe sur les colères et tente de récupérer les mobilisations sociales.

Benoit Teste : Le premier signe, fort, de la normalisation du RN et de ses thèses est bien sûr le surgissement des thématiques structurantes de ses expressions et son programme politiques dans le débat public, les récentes péripéties autour de la loi immigration en sont un des derniers exemples. Il y a une évidente perméabilité du monde du travail aux discours d’extrême droite. Pourquoi cette situation ? D’abord une certaine habileté de communication pseudo sociale du RN, qui reformule les revendications pour les mettre dans sa moulinette idéologique de la préférence nationale. Dans une perspective émancipatrice et rassembleuse, le terreau du RN reste une forme de désespérance. Le RN parvient aujourd’hui à intervenir politiquement sur les mobilisations sociales quand, il y a quelques années encore, il disparaissait du champ médiatique dans ces moments-là. Le constat est sévère . De ce point de vue, sa « dédiabolisation » de façade a fonctionné.

ÉÉ : Comment votre organisation prend-elle en charge ce combat contre l’extrême droite, y compris contre sa pénétration dans la vie syndicale ?

Thomas Vacheron : Lors du congrès à Clermont-Ferrand, nous avons déclaré, dès le préambule de notre document d’orientation, que la lutte contre l’ED était une priorité absolue. Sophie Binet a rappelé son refus de répondre à des médias d’ED comme CNews.

La règle CGT est : si un syndiqué a des positions publiques ou est membre d’une organisation d’ED, il est exclu. Dans les cas où des camarades peuvent exprimer des théories proches de l’ED, on tente de convaincre, à partir de nos valeurs et de notre histoire, basées sur l’antifascisme, l’internationalisme, la lutte contre le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie ou le sexisme.

L’objectif, à partir de formations auprès des adhérent·es, est de déconstruire l’imposture sociale du RN. De contrer le piège de la division tendue par l’ED et ceux qui s’en inspirent, qui détourne les travailleur·euses du conflit entre le capital et le travail. De démasquer le décalage entre les propos et les actes, comme le vote de leurs député.es à l’Assemblée nationale contre l’augmentation du Smic ou l’indexation des salaires sur les prix ; ou la proposition d’exonérer la part dite « patronale » des cotisations sociales pour « augmenter les salaires » : un cadeau pour le patronat et une attaque contre la Sécu.

Il y a aussi besoin d’unité syndicale pour combattre ces idées, comme avec Vigilance et initiatives syndicales antifascistes (Visa), car l’histoire nous a montré que le fascisme ne peut être vaincu que dans l’unité. Enfin, une meilleure implantation syndicale dans la diversité du salariat permet d’améliorer le rapport de force et de redonner des perspectives sociales, mais aussi d’avoir des militant·es au contact, comme contre-pouvoir social et idéologique. Pour cela, il faut stopper l’émiettement syndical et travailler en commun, comme nous tâchons de le faire avec la FSU comme première étape. Il est de la responsabilité du syndicalisme de transformation sociale de construire et de populariser un projet porteur d’espoir.

Murielle Guibert : Il s’agit pour Solidaires de continuer à avoir des expressions claires et pédagogiques dans nos tracts et nos communiqués contre les idées d’extrême droite, de relayer les expressions et analyses de l’association Visa, de pleinement s’investir dans leurs stages comme formateurs·trices, et en les proposant largement via nos syndicats aux adhérent·es. L’action la plus unitaire possible sera aussi indispensable.

Il faut également être sans concession contre les militant·es qui basculent dans l’extrême droite. Être syndicaliste à Solidaires est antinomique avec avoir des accointances ou sympathies ou être un relais de l’extrême droite. C’est contraire à nos valeurs !

Montrer que nos luttes syndicales, nos alternatives sociales et nos luttes pour l’égalité sans discriminations sont des voies de sorties et d’avenir pour les travailleur·euses, c’est aussi lutter contre l’extrême droite.

Benoît Teste : Il n’aurait pas été inutile de poser cette question, non pas à chacun·e, des protagonistes de cette interview, mais à tous les trois ensemble pour que nous formulions une seule réponse ! Avec cette pirouette, je veux mettre en lumière que la FSU, la CGT et Solidaires ont une habitude ancienne de travail en commun sur le combat contre l’extrême droite et qu’il n’y a de bonne réponse sur ce sujet que dans l’unité. La première prise en charge consiste à armer les militant·es pour leur permettre de déconstruire le discours de l’extrême droite dans la réalité de son infusion dans le monde du travail. La seconde est bien entendu de préserver toutes les digues possibles dans les consciences, notamment en ne laissant rien passer. Deux secrétaires générales de syndicats de la FSU, le Snes et le Snuipp, ont ainsi tenu tête – et de quelle manière ! – face au RN dans une audition en commission à l’Assemblée nationale : les images sont parlantes et utiles pour illustrer largement, dans les professions concernées, la réalité politique du RN. La mise en lumière de ce qu’est ce parti permet de pousser la contradiction aussi. Dans nos débats internes, souvent sur le terrain, il est également nécessaire d’avoir une grande vigilance à décrypter le sous-texte des expressions du RN pour ne pas permettre sa banalisation dans nos réflexions collectives. Il nous faut aussi construire nos mobilisations pour défendre les revendications des salarié·es sur des formules qui excluent toute compatibilité avec les thèses du RN et rendent leur apparition sur les thématiques sociales quasi impossibles. ■

Propos recueillis par Bernard DESWARTE et Sophie ZAFARI

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