Les Etats occidentaux n’ont cessé depuis 20 ans d’ériger des frontières de plus en plus étanches. Mais produites par la mondialisation, les migrations les font craquer sur tous les continents.
Loin de l’illusion d’optique qui imagine la majorité des flux migratoires orientés du Sud vers Nord, la misère, les guerres et le dérèglement climatique provoquent majoritairement ces migrations entre pays dominés ou faiblement développés.
Ce dossier évoque les causes des drames que l’Europe feint de découvrir et dans lesquels elle porte une lourde responsabilité.
Il tente d’analyser et d’apprécier les réponses qui sont apportées,
les marchandages actuels et la faillite de l’Europe alors que des milliers de migrant-es affrontent quotidiennement les pires souffrances ou la mort pour construire une nouvelle vie. A l’opposé d’une quelconque concurrence entre les pauvres, les moyens existent pour instituer les droits à la libre circulation et au séjour de toutes et tous. Notre solidarité et nos mobilisations sont requises, sans réserve !
« L’Europe est confrontée à une crise des réfugié-es par voie maritime qui atteint des proportions historiques », a souligné récemment un responsable de l’UNHCR.
Un drame humain se joue quasiment tous les jours aux portes de l’Europe. De janvier à août 2015, 350 000 migrant-es sont arrivés aux frontières de l’Union Européenne, tandis que des milliers d’autres personnes disparaissaient en mer.
Plus de 3 000 exilé-es vivent aujourd’hui à Calais dans des conditions indignes sur une ancienne décharge sauvage, des dizaines sont morts en cherchant à rejoindre la Grande-Bretagne.
À Calais, à Vintimille, comme à Paris, la répression l’emporte sur l’accueil de personnes en demande de protection.
Cette tragédie était prévisible et les politiques européennes de fermeture des frontières portent une lourde responsabilité.
« Les larmes de crocodile pour les disparu·es et la compassion médiatique pour les victimes de la « barbarie » et autres violences des « passeurs » ne sont que d’éphémères mises en scène. »[[GISTI – juin 2015.]]
Les obstacles à la circulation des personnes ont atteint un degré de raffinement technologique et de cruauté.
Les guérites, les hommes en armes, les barbelés, les visas n’ont pas disparu et sont maintenant doublés de dispositifs électroniques, de données biométriques, de techniques de fichage et de contrôles à distance.
Les exilé-es sont refoulés, certain-es sont internés dans des camps, d’autres disparaissent avant même d’avoir pu atteindre les rivages des pays qui les rejettent en tant qu’« indésirables ».
L’afflux de migrant-es aux frontières de l’Europe est certes inédit mais au regard des flux migratoires mondiaux-soixante millions de personnes sont actuellement déplacées de force à l’échelle mondiale et plus de 80 % d’entre elles se trouvent dans les pays en développement- il est faible et représente moins de 0,1 % de la population européenne.
L’Europe n’est donc touchée que très marginalement par ce phénomène. On est loin de l’image d’invasion qui continue pourtant d’être véhiculée.
Les causes de cet afflux ont été identifiées : d’abord, le chaos que les Occidentaux, va-t’en guerre, ont largement contribué à semer dans de nombreux pays d’Afrique, du Moyen et de l’Extrême Orient.
Il faut ajouter les conséquences des politiques de libre-échange « commercial », imposées aux pays du Sud, sur les agriculteurs africains, réduits à la misère et les dérèglements climatiques.
Le dérèglement climatique contribue déjà aux déplacements massifs de population dans le monde.
Selon l’Organisation Mondiale des Migrations (OIM), d’ici à 2050, entre 200 millions et 1 milliard de personnes pourraient devoir quitter leur lieu de résidence actuel en raison des impacts liés au changement climatique. Des causes multiples et entremêlées.
L’opposition de principes entre deux catégories figées, migrant-es économiques ou réfugié-es, à laquelle le gouvernement Hollande/Valls persiste à se référer, traduit une vision binaire réductrice et simpliste de la réalité des mouvements migratoires actuels.
L’impact des politiques d’immigration des États occidentaux, et plus particulièrement de la politique européenne d’immigration et d’asile, fondées sur la fermeture des frontières est extrêmement négatif du point de vue des droits fondamentaux, avec des conséquences sur la situation des étranger-es mêmes installés régulièrement : obstacles mis à l’immigration de familles sous couvert d’intégration, précarisation des bénéficiaires de l’immigration « choisie ».
La politique de fermeture des frontières a engendré des dérives qui touchent l’ensemble de la société, comme l’accoutumance à la répression, la dégradation de l’esprit public, l’encouragement à la délation… autrement dit la remise en cause d’un certain nombre de principes de l’État de droit et de la démocratie.
C’est avec la façon même de penser l’immigration qu’il faut rompre, avec cette vision unilatérale de l’immigration qui guide les politiques publiques : contre-vérités qui font peur (les immigré-es coûtent cher, ils sont de plus en plus nombreux, ils prennent nos emplois…) pour justifier les politiques restrictives ; arguments économiques (besoin de bras, attirer les « talents »…) pour organiser le tri entre la bonne et la mauvaise immigration.
Le projet de loi « Droit des étrangers », adopté le 23 juillet en première lecture à l’Assemblée nationale, s’inscrit globalement dans la même logique que les lois mises en place par la précédente majorité, les aggravant même parfois.
Enfermer, assigner à résidence, expulsions arbitraires… Le droit au séjour est toujours aussi précaire. Et l’accès aux droits et à l’égalité reste lettre morte, s’inscrivant a contrario d’une « logique d’intégration, affirmant que les personnes étrangères ont besoin de droits pour s’intégrer, et non de s’intégrer pour mériter des droits. »
Depuis des décennies, les politiques dites d’immigration se sont avérées catastrophiques, elles ont conduit à la peur et au rejet de part et d’autre.
Une politique alternative fondée sur la liberté d’aller et venir pour toutes et tous, la suppression de toute forme d’enfermement et l’égalité des droits pour toutes et tous sont indispensables.
D’innombrables bénévoles aident sur les îles grecques, tandis que 30 000 personnes sont descendues dans les rues pour les droits des réfugié-es en Autriche, des centaines de milliers signent diverses pétitions en ligne, les réseaux de solidarité avec les migrant-es poursuivent avec constance leur mobilisation, des rassemblements en France ont réuni quelques milliers de personnes.
Ce n’est peut-être pas encore suffisant mais cela rompt avec les sombres discours et l’escalade raciste qui s’installait chaque fois plus. ●
Sophie Zafari,
11-09-2015.