Réflexions et propositions pour une école émancipatrice
L’École Émancipée a toujours été à la pointe d’une conception réellement émancipatrice de l’éducation qui allie à la fois celle des travailleurEs de l’éducation mais aussi celle des élèves. C’est pourquoi les enseignantEs qui s’en réclament portent un projet de transformation de l’école dans la perspective de construire l’école d’une société plus juste et égalitaire qui reste à inventer. Ça commence ici et maintenant.
On peut estimer que depuis la début du 20ème siècle, date de la création de l’ÉÉ, des progrès considérables ont été réalisés en matière d’éducation : massification très importante, disparition, au moins théorique, de la séparation sociale des différents degrés d’enseignement, tendance à l’égalité fille-garçon… Malheureusement, depuis plus de 10 ans, les attaques contre l’école ne cessent de se développer, souvent sous couvert de plus d’égalité, de modernité, de mise en cohérence des politiques éducatives avec le monde tel qu’il va… Les pièges sont nombreux, les tenants de l’école capitaliste reprennent souvent la lettre de nos revendications, détournent nos slogans, utilisent nos propres mots pour camoufler des objectifs contraires aux nôtres. Il nous faut donc préciser notre projet pour lever les ambiguïtés.
Il est indispensable de reprendre la main sur ces questions en faisant converger l’ensemble de ceux qui défendent un vrai projet d’école progressiste.
L’École Émancipée défend les principes suivants :
– L’école publique commune doit être un creuset d’émancipation pour l’ensemble des jeunes afin qu’ils acquièrent une culture commune, indispensable pour se socialiser et « faire société ».
– Elle permet aux élèves de comprendre le monde, d’accepter l’altérité et de rejeter toute discrimination.
– Elle doit être centrée sur l’émancipation des classes populaires.
– La mixité sociale dans les écoles et établissements en est un principe fondamental. L’école privée est un facteur aggravant de ségrégation sociale dans l’école, son existence n’a donc pas de justification. Une école émancipatrice ne peut se développer que dans le service public. L’Ecole émancipée refuse le dualisme scolaire et exige la nationalisation de tout l’enseignement privé sans indemnité ni rachat.
– La Laïcité est un principe fondamental de l’école.
– Tous les élèves sont capables et éducables. La société doit donner à l’École les moyens financiers, matériels, humains, théoriques et pédagogiques de permettre à tous les enfants de poursuivre une scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans.
– L’école est un cadre socialisé, dans lequel chaque élève apprend avec les autres. Le savoir se construit plutôt qu’il ne se transmet et les dispositifs à l’œuvre relèvent de l’auto-socio-construction des savoirs.
– La théorisation autour d’intelligences « théoriques » et « pratiques » est un mythe destiné à justifier le tri social dans l’école. Pour éviter toute hiérarchisation des savoirs, l’école doit être polytechnique.
– Les pratiques scolaires émancipatrices et coopératives doivent permettre de lutter contre les déterminismes sociaux et toutes les discriminations.
– La classe, l’école, l’établissement scolaire sont des lieux d’apprentissage et d’expérience de la démocratie.
– L’école doit sortir des logiques capitalistes et libérales.
– Collaborer, valoriser, favoriser l’autonomie et la réflexion collective sont des principes porteurs. La mise en concurrence des élèves, la sélection, la stigmatisation sont des principes nuisibles à l’éducation.
Quelles sont nos propositions transitoires, nos revendications intermédiaires pour avancer, dans ce contexte, vers les idéaux qui découlent des grands principes énoncés plus haut ?
Le projet d’école est porté par ses acteurs, les personnels y jouent un rôle déterminant : ils interviennent en amont, sur la formation, et façonnent l’école au quotidien à travers leurs choix et leurs pratiques. Ce sont eux qui font l’école, ils doivent reprendre la main pour redonner du sens à une école émancipatrice.
La formation institutionnelle, indigente ou orientée (c’est un euphémisme) vers un formatage des personnels et des pratiques, ne répond pas aux besoins professionnels. Pour enclencher une véritable démocratisation scolaire, les personnels doivent s’emparer de la formation, enjeu central, et investir les lieux collectifs : les espaces syndicaux (stages irrigués par la recherche universitaire), les échanges volontaires de pratiques (hors de contraintes hiérarchiques), y compris inter-degrés, la prise en charge des entrantEs dans le métier (échanges informels, formation entre pairs) et l’implication dans des espaces collaboratifs sur le lieu de travail permettent une distance critique sur le métier.
Pour transformer l’école, pour mettre en avant les finalités que nous assignons à l’école, le travail complémentaire de tous les personnelEs est un enjeu essentiel. Les équipes pédagogiques sont pluri-professionnelles : le regard croisé des personnelEs sociaux, de santé, de vie scolaire, d’entretien, de direction et d’enseignement est un atout pour appréhender le jeune dans sa complexité, et pour prévenir tout décrochage. La participation régulière à des réunions communes est indispensable, tout comme la participation des professionnelEs à l’animation d’activités complémentaires aux enseignements, comme les foyers, les clubs, l’aide au travail personnel…. Pour que l’école soit véritablement un lieu de vie, tous ces temps communs doivent être prévus et décomptés du temps de travail des personnelEs.
La dimension nationale de l’éducation est indispensable pour garantir une égalité sur l’ensemble du territoire, et il faut la conforter. Néanmoins, défendre des principes progressistes localement, mais partout, permet de faire évoluer l’école dans le bon sens. Les collectifs de travail sont essentiels pour prévenir toute éviction du système scolaire, mais aussi pour élaborer ensemble les formes pédagogiques qui induiront la démocratisation nécessaire : il faut penser à la façon de répartir, notamment, les différents temps d’étude pour les élèves. Ces différents temps (découverte, apprentissage, automatisation, le travail personnel …) sont tous indispensables et doivent être inclus dans le temps scolaire. Ces différents moments ont lieu en classe, en commun, quitte à allonger la durée de présence scolaire.
La notion de « commun » est essentielle, elle se décline à tous les niveaux : une scolarité commune (et donc, une carte scolaire réaffirmée et contraignante pour plus de mixité, mais aussi des effectifs allégés dans les classes, toutes hétérogènes – au plan social, culturel, scolaire), ainsi qu’un cursus scolaire commun jusqu’à la fin du lycée, le développement des passerelles, la poursuite d’études effective au-delà. La contrainte actuelle d’orientation à la fin du collège doit être combattue : la sélection n’a pas lieu d’être, l’évaluation doit donc s’en affranchir. Les personnelEs n’ont pas la main sur l’orientation-affectation : ils peuvent cependant lutter au quotidien contre des pratiques sélectives… L’évaluation des élèves est un élément central de la sélection : sa mise en œuvre est une préoccupation essentielle de la pratique enseignante. De nouveaux modes diversifiés d’évaluation sont à inventer. Dans un système commun, où chacun a sa place, l’évaluation vise à favoriser les apprentissages. Nous devons nous opposer à toute forme d’évaluation qui servirait d’outil au tri scolaire. La contrainte actuelle d’orientation à la fin du collège doit être combattue : la sélection n’a pas lieu d’être, l’évaluation doit donc s’en affranchir.
Le cœur du métier est de permettre à tous l’accès à une culture commune et à des « outils » d’analyse et de réflexion émancipateurs, et donc de garantir l’entrée dans les apprentissages ; les contenus sont déterminants, et au-delà des programmes nationaux indispensables, les enseignantEs contribuent, par leurs choix, à favoriser l’émergence critique des élèves. Nombre de contenus déterminants pour l’émancipation individuelle et collective sont absents des cursus scolaires. Il faut dépasser les cloisonnements éducation – enseignement pour permettre une réflexion sur le genre, la sexualité, l’altérité, les discriminations. Il faut aussi dépasser le cloisonnement enseignement général – technologique – professionnel pour avancer vers un lycée polytechnique.
C’est dans ce sens que l’École Émancipée appelle toutes celles et tous ceux qui se reconnaissent dans un projet d’école émancipatrice pour demain, mais aussi pour ici et maintenant, à travailler ensemble à ce projet.
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