Cet article n’a pas d’autre ambition que de jeter de premiers éléments de réflexion et de tenter,
en s’affranchissant un peu
du contexte, d’interroger le concept d’un « continuum » scolaire
en vue de la réussite
de tous les élèves, sachant
que toute alternative ne vaut que
si d’autres finalités,
avec un changement radical
de paradigme, sont assignés
au système éducatif.
Ces dernières années, nos forces se sont souvent concentrées pour résister au « massacre » résultant d’une vraie rupture historique concernant la conception du rôle et des missions de l’école publique. Nous sommes en pleine bataille idéologique : des valeurs de solidarité et d’égalité face à des logiques de rentabilisation des savoirs-connaissances et d’assignation aux déterminismes sociaux. Pour autant avons-nous pris le temps de repenser ces problématiques sous tous leurs aspects pédagogiques, organisationnels, professionnels ? N’avons-nous pas éludé des aspects moins consensuels ? Les oppositions historiquement constituées sont-elles toujours pertinentes dans le contexte actuel ? Et notamment, est-il possible d’interroger le concept d’un « continuum » scolaire de la maternelle au lycée ?
Le terme « continuum » cherche à éviter les confusions avec les usages actuels d’« école du socle » mais aussi d’école « fondamentale, moyenne » ou encore « commune ». Ainsi « école fondamentale» est utilisé à la fois par la Ligue de l’enseignement et par Fondapol ! Il y a aussi l’ancien affrontement entre les tenants de l’ « école fondamentale » (CP – 3ème) de l’ex SNI-PEGC contre ceux d’un enseignement secondaire, disciplinaire et académique du SNES.
Aujourd’hui, nous n’échapperons pas à certaines questions de fond. Quelle persistance des filières générales, technologiques et professionnelles ? Quelle approche de la difficulté scolaire et de son « traitement » ? Comment garder des exigences importantes sans favoriser la reproduction sociale ou l’élitisme républicain ? Quelle continuité de la scolarité, y compris en reliant école et collège ?
Nos mandats syndicaux sur la transformation de l’école sont souvent écornés par l’acceptation d’une simple défense ou amélioration de l’existant et par un repli pédagogique circonscrit à la classe. Or, face à l’idée que la pédagogie pourrait tout, il est bon de rappeler qu’elle n’est ni la didactique, ni les « bonnes pratiques », ni une méthode. La pédagogie, c’est donner avant tout aux apprentissages une portée humaniste et politique. Plus que jamais, il s’agit de partir des valeurs, du respect des métiers et de leurs évolutions (et ce n’est pas faire du corporatisme !)… pour inventer une nouvelle école.
Un chemin à rebours
« Ecole fondamentale », « école moyenne », « école commune » ou enfin « école du socle »… autant de finalités différentes données à l’école. Ces termes puisent leurs racines dans l’histoire de nos sociétés, une histoire pédagogique et… syndicale d’ailleurs ! Du fait du processus d’unification du système, dès les années 60, l’école primaire n’est plus une fin en soi pour les jeunes des classes rurales et populaires. Ce qui a fait naître l’idée d’un continuum possible fusionnant l’école élémentaire et le collège dans une même entité.
En même temps, la massification des années 70/80 a fait surgir le caractère profondément inégalitaire de notre système qui, en s’unifiant, n’a fait que reproduire à l’interne l’ancienne séparation. Un défaut jamais corrigé depuis !
La loi de 1989 avait avancé des évolutions progressistes, mais non abouties :
– instauration des cycles de la maternelle à la seconde
– développement des liaisons GS-CP et CM2-6ème : échanges de pratiques entre enseignants, co-interventions, activités transversales, suivi des élèves, analyse des retours d’évaluation 6ème
– minorisation du redoublement, passerelles, valorisation de la voie professionnelle, etc…
La loi Fillon en 2005 opère une vraie rupture car l’ouverture traditionnelle sur le lycée disparaît et le collège a sa propre fin, en même temps que se multiplient des dispositifs de mise à l’écart des élèves comme autant de filières. Selon le HCE , les « écoles du socle commun » avec une « continuité école-collège » vont de soi « dans la mesure où socle commun et scolarité obligatoire sont intimement liés ».
Aujourd’hui, la mise en place des « écoles du socle » n’est plus marginale, mais très dispersée et disparate, ce qui est conforme aux logiques de déréglementation ! Ces écoles se caractérisent comme un ensemble indépendant et achevé (objectifs, gouvernance, autonomie). Le fait de cibler prioritairement les quartiers difficiles (ECLAIR) ou encore de les justifier systématiquement par une meilleure résolution de l’échec scolaire, tout en multipliant les dispositifs de sortie précoce (apprentissage à 14 ans, propositions de classes-métiers, etc) font de plus en plus penser à un double système dont l’un se fonderait sur une lecture minimaliste du socle restreint à un lire/écrire/compter des plus utilitaristes.
Les défenseurs du socle disent qu’un socle maîtrisé par tous est un objectif louable, un progrès par rapport à ce que savent de nombreux élèves aujourd’hui. On observe qu’il pourrait se transformer en horizon de l’engagement de l’Etat envers toute une partie de la jeunesse : « Si l’on en reste au « collège unique », on ne fait que parler de l’antichambre du lycée, alors que le collège, c’est la fin d’un cycle obligatoire et non le début d’un autre ».
Scolarité unique,
pas forcément uniforme
Partons des incontournables : une scolarité pour tous les élèves dès 2/3 ans jusqu’à 18 ans dans une structure sans filières, un cadrage national, des contenus communs exigeants. On peut s’interroger sur les étapes actuelles de la scolarité : sont-elles encore pertinentes en regard de l’évolution des jeunes d’aujourd’hui ? L’absence de sélection avant la 3ème est unanimement reconnue comme facteur de réussite des élèves et d’efficacité des systèmes éducatifs : comment établir une progression tout en refusant toute orientation ?
Il faudrait aussi mesurer les conséquences d’une réorganisation liant école et collège. Ainsi, les modèles européens d’école commune concernent généralement des élèves de 6 à 16 ans. Que deviendrait notre école maternelle ? Rejoindrait-elle l’escarcelle d’un secteur public de la « petite enfance » ? Et du coup, quelle continuum avec l’école élémentaire ?
Pour construire un vrai continuum sans rupture ni compétition, pourquoi ne pas sortir du schéma de la classe ? Le modèle « un maître/une classe » de l’école primaire n’est plus pertinent mais terriblement économique ! Tout comme l’existence même de la classe comme tranche d’âge homogène, une norme tyrannique qu’il faudrait remettre en cause.
Cela impliquerait alors de revisiter les notions de parcours et de réponse aux besoins dans un contexte complètement différent : mais comment les construire sachant que les cycles de la loi de 1989 n’ont jamais réellement vécu ?
Apprendre ensemble
Cependant, même si la temporalité d’entrée dans les apprentissages est très différente d’un élève à l’autre, il faut persister à faire apprendre les élèves ensemble.
Aujourd’hui une approche individualisante n’est pas une réponse pertinente dans le système tel qu’il reste structuré : simple répétition, diminution inavouée des exigences, dispositifs excluants (PPRE, mise en apprentissage dès la 5ème…). Pour le devenir, il faudrait accepter des parcours, des progressions avec des temporalités différentes dans un cadre commun, tout en visant l’égalité des résultats des élèves.
Peut-être faudrait-il des éléments forts de rupture comme la suppression des notes et, en parallèle, une importante formation des enseignants à des outils professionnels d’analyse et de diagnostic des acquisitions et des difficultés (rien à voir avec les LPC et autres évaluations simplistes, complètement décontextualisées) ?
Des pistes existent : travailler à partir de besoins, développer le recours à des pédagogies différenciées en gardant des objectifs communs, donner plus de temps pour certaines acquisitions, prévenir les situations de difficultés en cours d’apprentissage (et non après), apporter les éléments de culture et d’éducation nécessaires, valoriser tous les savoirs (et pas seulement ceux du modèle social dominant…)
Comment pourraient se redéfinir, se compléter les rôles et missions des professionnels de l’éducation ? Et avec quels objectifs et quelle « gouvernance » démocratique ?
Toutes ces questions restent à creuser.
Difficile de concevoir d’autres modèles de pilotage et de gestion des écoles et établissements sous forme d’une organisation démocratique avec une importance reconnue de l’équipe pédagogique, de la parole des parents et des élèves (conseils d’élèves) ! Difficile d’imaginer une « maison commune » où il ferait bon vivre et apprendre ensemble ! ●
Michèle Frémont, SNUipp-FSU