“Enseigner est un métier qui s’apprend”. Cette maxime s’est progressivement imposée au cours des années 1990, qui ont vu la création des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). Si la formation des enseignant-es existait auparavant, elle est devenue en partie commune aux enseignant-es des premier et second degrés, et adossée aux savoirs universitaires sur le métier et les contenus d’enseignement. Mais les incessantes réformes depuis 2010 ont remis en cause les structures et les principes de la formation : modifications successives de la position du concours, changement de l’institution de formation (des IUFM aux Écoles supérieures du professorat et de l’éducation, ESPE), changements des contenus et des finalités de la formation, du profil des formateurs-trices, etc. La mastérisation de la formation a coïncidé avec la mise en œuvre de la loi sur l’autonomie des universités, ce qui a abouti à un éclatement des formations sur le territoire (en rupture avec le principe d’égalité devant le service public d’éducation) et à un sous-financement des formations.
À l’heure où une énième réforme est annoncée par Blanquer et Philippe, il est indispensable de s’interroger sur les principes même que nous défendons pour la formation. Apprendre à enseigner, oui, mais comment, et surtout pour quoi faire ? Quel type d’enseignant-es voulons-nous, pour quelle école ? Observer la situation actuelle de la formation des enseignant-es nous informe sur l’état de notre système éducatif et sur la conception de l’école qu’ont les gouvernant-es. Le pilotage des établissements par des indicateurs « objectifs », accentue la pression hiérarchique sur les professionnel-les et se traduisent par des injonctions aux « bonnes » pratiques, se développe (notamment via les évaluations des élèves remontées automatiquement dans les rectorats). Blanquer tente d’imposer des pratiques d’enseignement de la lecture ou de manuels et proclame sa croyance dans l’infaillibilité des neurosciences. L’objectif de la formation devient alors de fabriquer des enseignant-es exécutant-es, disposé-es à appliquer les consignes. Le lycée, a fortiori les études supérieures, décroche du collège et du primaire : le ministre annonce que les professeur-es des écoles et les certifié-es ne seront plus formé-es et recruté-es de la même manière.
Or c’est d’enseignant-es concepteurs-trices dont l’école a besoin, formé-es à l’esprit critique sur les savoirs et le système éducatif, ayant une maîtrise fine des savoirs à enseigner et des méta-connaissances sur ces savoirs. C’est en tout cas une condition indispensable à la lutte contre les inégalités socio-scolaires, qui continuent d’exclure ou de pénaliser notamment les nombreux enfants d’origine populaire. C’est aussi en améliorant le sens et les conditions de la formation que l’on peut contribuer à résoudre la grave crise de recrutement, et en permettant aux étudiant-es issu-es des classes populaires d’y accéder (notamment par la position du concours).
Ces questions ne concernent pas uniquement les professeur-es débutant-es ou les militant-es syndicaux spécialisé-es. Parce que la façon dont les enseignant-es sont formé-es aujourd’hui, et sélectionné-es par le concours de recrutement pèsera sur ce que sera l’école dans les décennies à venir, donc sur la société, elle concerne tou-tes celles et ceux qui luttent aujourd’hui contre le système politique et économique en place. Le dossier que nous proposons ici invite à réfléchir à la question : quelle formation voulons-nous, pour quelle école ? M. Jaubert et P. Sémidor dressent un tableau de la situation de la formation et des ESPE aujourd’hui (« Où en est la formation des enseignants aujourd’hui ? » page 18 ) qui montre l’état très dégradé dans laquelle elle se trouve, que ce soit du côté des formateurs-trices, des étudiants-professeur-es ou des stagiaires. Elle et il esquissent des pistes pour transformer les ESPE et les conditions de formation.
Le dossier aborde ensuite le nouveau projet de réforme annoncé par le ministre de l’Éducation nationale pour 2019 (« La cerise et le gâteau », page 20), projet qui peut sembler répondre aux demandes de la FSU (position du concours, pré-recrutements, contenus de formation), mais qui détricote un peu plus la formation. Derrière les changements des modalités de recrutement (changement de la nature des contrats d’assistants d’éducation, changement du statut des enseignants titulaires d’un concours mais pas encore stagiaires), c’est la disparition du recrutement par concours et la casse du statut qui sont esquissées.
Parce qu’elle concerne à la fois le statut des fonctionnaires enseignant-es, les contenus de l’école et la société, la formation est, pour l’École Émancipée, fédérale par nature. À l’approche du prochain congrès de la FSU en 2019, les débats au sein de la fédération sur la formation sont présentés (« Les débats dans la FSU », page 21), que ce soit entre les syndicats nationaux ou à l’intérieur de ceux-ci. Enfin, l’article « Mieux former plus d’enseignant-es » (page 23) présente l’ambition de l’École Émancipée pour la formation.
MARY DAVID, VÉRONIQUE PONVERT
Les articles du dossier:
– Une formation en souffrance
– La cerise et le gâteau
– Les débats dans la FSU
– Mieux former plus d’enseignant-es: l’ambition de l’école émancipée