Le projet de loi « Immigration » a suivi un étrange agenda : déposé en juillet 2014 sur le bureau de l’Assemblée nationale, il n’a finalement été examiné que fin juillet….2015 !
Il a été voté selon la procédure accélérée au moment où l’Europe « découvrait » le drame des migrant-es. Pourtant ce texte s’inscrit – hélas ! – dans la continuité des précédents : toujours plus de précarité, toujours plus de suspicion, toujours plus de répression
Pourtant la mesure-phare annoncée par le gouvernement est constituée par la création d’un titre de séjour pluriannuel.
Destinée, selon l’exécutif, à accroître la stabilité des étrangers, cette mesure va surtout permettre de désengorger les guichets des préfectures.
Cette carte pluriannuelle aura une validité maximum de 4 ans. Deux grandes catégories d’attribution prévues :
➜ l’étranger dispose d’un visa de long séjour ou d’une carte annuelle et sollicite une carte pluriannuelle
➜ l’étranger appartient à la catégorie supérieure des « talents » et peut solliciter directement, pour lui et sa famille, l’attribution d’une carte valable 4 ans, appelée « passeport-talent ».
Cette mesure pourrait être un progrès si elle s’insérait dans un dispositif qui stabilise les droits. Toutefois, le texte prévoit de nombreux cas particuliers où la durée de la carte pluriannuelle est réduite à moins de 4 ans (étudiants, malades, parents et conjoints de Français).
De plus, le projet de loi comporte un article 8 particulièrement dangereux : à tout moment, la préfecture pourra demander à l’étranger de justifier qu’il peut toujours bénéficier de son titre de séjour.
Cet article introduit une suspicion permanente envers les étrangers et donc, pour ces derniers, une insécurité toute aussi permanente et peu propice à leur insertion.
Cette suspicion est portée à son comble par l’article 25 qui énumère toutes les administrations et tous les organismes publics mais aussi privés (opérateurs de téléphone ou d’internet, banques…) tenus de livrer ces informations aux services préfectoraux, en vue de contrôler les documents fournis par l’étranger.
Par ailleurs, la répression préconisée par le projet de loi s’inscrit, elle aussi, dans la continuité des lois précédentes. Si l’étranger, enfermé en centre de rétention, sera présenté au Juge des libertés et de la détention au bout de 48 heures (et non plus 5 jours), la durée de la rétention reste de 45 jours.
Plus grave, la mise en rétention de mineurs accompagnant leurs parents, même encadrée, est désormais expressément prévue.
C’est un grave recul, introduit – qui plus est – par un amendement parlementaire, alors que les associations de défense des droits demandaient que la rétention des mineurs soit totalement interdite !
Si l’on peut noter quelques améliorations à la marge sur des cas d’obtention de plein droit de la carte de résident (parents et conjoints de Français, migrants âgés), de vastes « trous noirs » demeurent : pas un mot, donc aucune avancée, sur la situation des sans papiers, même ceux concernés par les critères de la circulaire Valls de novembre 2012, pas un mot sur les personnes retenues en zone d’attente ; enfin, le régime dérogatoire de l’Outre-Mer reste pratiquement inchangé, privant les étrangers d’un recours effectif.
En 2000, dans un texte courageux, Louis Mermaz, ancien ministre PS, dénonçait, au sujet des CRA et des zones d’attente, « l’horreur de la République ».
Aujourd’hui, sur fond de peur du terrorisme, de discours xénophobe et de drames vécus par les migrants, où et comment trouver les mots pour dénoncer la situation actuelle des étrangers dans notre pays ?
Seule la mobilisation citoyenne pourra contraindre les politiques à engager enfin un débat et des politiques démocratiques et respectueuses des droits.
Une manifestation s’est tenue à Paris le 8 septembre en écho au début du mouvement de solidarité qui reste à renforcer avec toutes et tous les migrant-es. Un appel qui rappelait que « L’Europe ne peut pas proclamer que ses valeurs reposent sur les droits de l’Homme et traiter ces réfugiés comme des envahisseurs, compatir à leur sort et faire si peu et se les rejeter comme des marchandises illégales ».
Avec l’ensemble des forces démocratiques nous exigeons que :
➜ tous les réfugiés soient accueillis dans des conditions respectueuses de leur dignité ;
➜ une suspension des accords de Dublin et leur révision ;
➜ l’organisation d’un grand débat public sur la question des réfugié-es. ●
Odile Ghermani
Membre du Comité central de la Ligue des Droits de l’Homme
Co-responsable du groupe de travail « Etrangers, immigrés ».