Cet article est la suite de celui paru dans la revue n° 29 de mai-juin 2011, page 32.
Marine Le Pen a mesuré entre les deux tours de la présidentielle de 2002 le rejet dont son parti fait l’objet. Elle s’attelle à renouveler l’image du FN, notamment auprès des classes populaires…
Le travail de terrain(1) qu’elle engage débute dans le Nord-Pas-de-Calais avant de se poursuivre en Lorraine, région elle aussi sinistrée économiquement. Aidée dans son discours « Main propre, tête haute » par Gérard Dalongeville, maire PS d’Hénin-Beaumont et champion local de la corruption et du détournement de fond, la liste FN obtient 47,62 % des voix au second tour des municipales de juillet 2009.
La nouvelle stratégie ne s’arrête pas là. Au lendemain de son élection à la tête du Front, Marine Le Pen se fend d’une « Lettre aux fonctionnaires »(2) pour le moins inattendue. Finie la dénonciation des « fonctionnaires » et autres « nantis », FN et agents publics ont « vocation à travailler ensemble » dans le but de « servir l’intérêt général ». Le texte dénonce le démantèlement de l’État régalien, mais également de l’école(3) et de l’hôpital public !
Également visés : les syndicats. Contrairement à la stratégie mise en œuvre dans les années 90 au moment de son premier « tournant social »(4), le FN prétend peser à l’intérieur même des confédérations existantes(5). Arguant du fait que ses valeurs ne sont en rien contraires à la défense des salariés, il feint de ne pas comprendre l’exclusion de son syndicaliste CGT candidat aux cantonales et accuse les directions de soutenir « par idéologie ou intérêts la mondialisation ultra-libérale »(6). Il crée en mars 2011 le « Cercle National de Défense des Travailleurs Syndiqués », association visant à assurer « une défense et une riposte aux intolérables atteintes aux principes démocratiques dont se rendent coupables les grandes centrales syndicales ».
Ces manœuvres destinées à diviser les salariés cachent mal, cependant, un programme de régression sociale. Tout en fustigeant « l’ultra libéralisme », le FN n’en continue pas moins de vanter « les vertus indépassables de la liberté monétaire »(7) et d’encenser Milton Friedman qui inspira voire conseilla Reagan, Thatcher, Pinochet…
Ainsi, la « modernisation » des services publics passe par la stimulation de « leur compétitivité ». Dans cette optique, le FN recommande de « cesser de traiter de façon uniforme l’ensemble des agents publics », en clair de mettre en œuvre un salaire au mérite que ne renierait pas le MEDEF. Inquiet pour nos retraites, il défend l’harmonisation de l’ensemble des régimes(8)… harmonisation par le bas s’entend, avec pour les revenus modestes la possibilité de cumuler emploi et retraite ! Merci patron. En parallèle, le FN défend l’idée d’une Sécurité sociale financée par l’impôt, la concurrence entre les établissements scolaires… mais une nécessaire augmentation du budget de la Défense nationale!
Accusant par ailleurs les syndicats de « jeter la France dans le chaos »(9) et d’être spécialisés « dans la trahison des intérêts des travailleurs français » au bénéfice des « clandestins », le FN entend les réformer en profondeur, pour notamment leur faire jouer le rôle d’outil dans l’application de la « préférence nationale ». Au cœur du projet du Front, ce concept vise à attribuer la priorité dans l’accès à l’emploi, au logement, aux aides sociales… aux « Français de souche ». La formule magique est déclinable à l’infini, en tous temps, sur tous les thèmes : économie, immigration, sécurité, éducation, culture… et le FN entend l’inscrire dans la Constitution !
Ménageant la petite bourgeoisie déclassée, le FN sait qu’il a également besoin de l’électorat populaire pour accéder au pouvoir. Ses propositions, qui épargnent le capital et font payer la crise aux salariés, cherchent également à les diviser en jouant l’opposition « français-étranger ».
Fort heureusement, si le FN déclare représenter le monde du travail, sa démonstration de force promise le 1er mai pour son traditionnel défilé fut inexistante et nous sommes sans nouvelles du « Cercle National de Défense des Travailleurs Syndiqués ». Face au danger que représente ce parti, la déclaration syndicale commune de mars 2011(10) constitue un point d’appui pour construire des cadres de mobilisation antifascistes et anticapitalistes.
Clara Wood
1) Voir à ce sujet l’excellent film documentaire
« Au pays des gueules noires »,
Edouard Mills Affif, 2004.
2) Marine Le Pen s’adresse aux fonctionnaires,
23 février 2011.
3) Pris sous l’angle du « relâchement des valeurs », il invoque cependant « la culture des hussards noirs de la République ».
Une « Lettre ouverte aux professeurs »
avait déjà été publiée en février 2010.
4) Il crée alors ses propres syndicats : FN police,
FN pénitentiaire, Force nationale-transport
en commun à la RATP et dans un autre domaine
le Front national des locataires.
5) « Affaire Engelmann » à la CGT…
mais l’équivalent s’est produit à FO, à la CFTC,
à Solidaires.
6) Communiqué de Presse de Nicolas Bay,
31 mai 2011.
7) Projet Économique du FN,
Les grandes orientations (avril 2011).
8) Cf. Programme du FN, rubrique « Retraite ».
9) Communiqué de presse du 12 octobre 2010.
10) La préférence nationale n’est pas compatible
avec le syndicalisme, déclaration commune
CFDT-CGT-FSU-Solidaires-UNSA, 17 mars 2011.