L’arrivée de Syriza au pouvoir le 25 janvier dernier a accéléré encore davantage le temps politique pour la gauche en Grèce et en Europe. De l’euphorie de la victoire et des premières annonces enthousiasmantes d’Alexis Tsipras, il y a eu un rapide basculement vers la déception à cause de la supposée capitulation
du gouvernement grec face aux pressions des créanciers. Ici, je vais tenter de défendre un point de vue plus mesuré : oui le gouvernement grec a reculé ; non il ne s’agit pas d’une capitulation définitive
et le chapitre ouvert avec l’élection de Syriza n’est pas encore clos. Les mois qui viennent risquent au contraire d’être décisifs pour l’avenir politique et économique de la Grèce mais aussi de l’Europe.
Des critiques légitimes, il est évident que le récent accord avec l’Eurogroupe, sous influence allemande, intervenu le 20 février oblige Syriza à revoir ses ambitions à la baisse. Personne ne devrait donc parler de « bataille victorieuse », comme a pu le faire Tsipras lui-même dans un élan de rhétorique politicienne. La preuve en est que de nombreuses figures historiques de Syriza et soutiens de son aile gauche ont émis des fortes réserves. Dans une lettre ouverte, l’eurodéputé et héros de la résistance et de la gauche grecque Manolis Glezos est allé même jusqu’à s’excuser auprès du peuple pour avoir contribué à ce qu’il a qualifié d’« illusion »(1).
Ces réactions émotionnelles sont compréhensibles dans un pays qui a subi cinq ans de destruction sociale. L’« illusion » dont parle Glezos est en fait un condensé d’espoir irrationnel placé en Syriza – et favorisé parfois par le discours électoral de ses leaders – pour, d’un trait, annuler l’austérité, la dette et les humiliations qu’a subi le pays pendant ces cinq dernières années. Ce qui est moins compréhensible, sans être inexplicable, est la rapidité avec laquelle de nombreux observateurs internationaux, en théorie bien informés, se sont empressés d’acter la « capitulation » du gouvernement grec.
Plusieurs facteurs sont à l’origine de cela.
Le rôle
des médias dominants
Le récit de la capitulation a d’abord été forgé par les médias dominants européens et anglo-saxons. À l’origine de leur biais, il y a d’abord un mélange d’incompétence et de logique concurrentielle. En effet, après le 25 janvier, d’un coup, le gouvernement de Syriza a été mis sous les projecteurs de la scène médiatique mondiale. De centaines de journalistes, qui n’avaient au mieux qu’une connaissance limitée du sujet, ont dû se muer en une nuit en experts du problème grec pour assurer sa couverture, avec des résultats catastrophiques. C’est particulièrement le cas des correspondants à Bruxelles, plus susceptibles d’adopter le point de vue des « institutions », mais aussi des pigistes et envoyés spéciaux dont la plupart sont démunis face à la complexité de la situation et donc vulnérables aux stratégies de désinformation et de manipulation ainsi qu’au réflexe de suivisme par rapport à la concurrence.
La deuxième raison qui explique la position anti-Syriza des médias dominants est politique et idéologique. En effet, pour la grande majorité de leurs éditorialistes et cadres dirigeants, il n’existe vraiment pas d’alternative au néolibéralisme, à l’Union européenne telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, à la zone Euro avec ses règles comptables et donc, in fine, à l’austérité. Par conséquent la capitulation supposée de la Grèce n’a été que la confirmation de leurs a priori idéologiques. Il faut ajouter à cela une motivation purement politique : un succès éventuel du gouvernement grec mettrait dans l’embarras ses homologues européens qui soutiennent qu’il n’existe pas d’autre politique que l’austérité, au premier chef ceux de France et d’Espagne. Les médias proches de ces gouvernements sont donc enclins à minimiser les éventuels gains de la Grèce. Enfin, il ne faut pas oublier le populisme xénophobe des tabloïds comme l’allemand Bild dont l’impact sur l’opinion est significatif(2).
La critique gauchiste
Il existe un troisième discours constatant cette supposée capitulation, moins attendu, venant de la gauche de la gauche. Comme je l’ai expliqué plus haut, beaucoup de ces critiques constituent une réaction saine de vigilance et d’exigence absolument nécessaires au débat démocratique à l’intérieur de la gauche. Mais d’autres, comme celles venant du Parti communiste grec mais aussi d’ailleurs en Europe, sont au mieux des réactions gauchistes maximalistes qui ne prennent pas en compte le contexte spécifique et la temporalité de la négociation, au pire des tentatives de déstabilisation du gouvernement grec pour des raisons de tactique politicienne. Quoi qu’il en soit, et pour certains à leur insu, les porteurs de ce type de critique maximaliste contre Syriza ont favorisé le défaitisme au sein d’une partie de la gauche européenne et ont contribué à la démobilisation populaire en Grèce(3) et à l’étranger. Par ailleurs, ils ont offert une série d’arguments aux médias dominants pour mieux vendre le récit de la « capitulation inévitable ».
Ni triomphe, ni capitulation
Or, capitulation il n’y a point eu. C’est évident si on prend en compte le contexte de la négociation : les représentants d’un petit et faible pays qui vit sous perfusion financière sont arrivés pour la première fois à Bruxelles face à des instances hostiles, sans aucun véritable allié, avec un piège tendu par le gouvernement précèdent (Samaras avait de manière prémédité placé la fin du programme de financement précèdent un mois après les élections ! ). Subissant le chantage de la BCE visant à étrangler le système financier de la Grèce, Tsipras et les autres ont fait face à un gouvernement allemand intransigeant et imposant sa loi en Europe, y compris à la France, depuis plusieurs années maintenant. Voilà pour les conditions de cette négociation.
Ensuite, il n’y a pas eu de capitulation parce que dans le communiqué commun entre l’Eurogroupe et le ministre des Finances de la Grèce du 20 février ainsi que dans sa lettre d’intention avalisée par les créanciers le 24 février, il y a des avancées importantes pour la Grèce(4) notamment au niveau de l’excédent budgétaire exigé(5). La dynamique de la dégradation austéritaire de l’économie et de la société grecque est ainsi stoppée avant d’être éventuellement inversée. Mais il ne peut y avoir de capitulation aussi parce que cet accord n’est en rien définitif(6). Il s’agit plutôt d’une trêve entre les deux parties qui remet les décisions importantes pour plus tard, ce qui promet d’âpres négociations pour les mois qui viennent(7).
La bagarre avec l’Allemagne et la BCE continue
Ceci explique pourquoi les deux parties ont commencé à mettre en cause cet accord quasiment au lendemain de sa signature. D’un côté Wolgang Schäuble, a expliqué qu’aucune somme n’allait être accordée avant la fin de quatre mois de trêve au moment où les « progrès » de la Grèce allaient être réévalués(8). Manière de dire que tout peut être remis en cause et que la Grèce restera financièrement sur le fil du rasoir. Le gouvernement de Tsipras de son côté a commencé immédiatement à légiférer pour mettre en oeuvre la plus grande partie de son programme de justice sociale et de modernisation de l’État et tenter ainsi de mettre la partie adverse devant le fait accompli(9).
Des projets de loi pour l’aide humanitaire d’urgence (nourriture et électricité), la reforme de l’impôt vers plus de justice, l’aide au logement, le retour des conventions collectives, l’augmentation graduelle du SMIC et la refondation de la télévision publique fermée par la droite sont ainsi annoncés pour mars. Le gel de certaines privatisations en cours pour contrôler les conditions d’attribution est aussi à l’ordre du jour. Parallèlement, le gouvernement s’est aussi lancé dans une chasse à l’évasion fiscale et aux fraudes pour collecter des sommes lui permettant de faire face à ses obligations et aux échéances de la dette. Ces échéances se mesurent à plusieurs milliards d’euros pour 2015 que la Grèce devra à nouveau emprunter. Personne ne peut être sûr que ces mesures aboutiront. Ce qui est sûr en revanche est que, pour briser ce cercle vicieux, il est nécessaire de restructurer la dette de la Grèce, c’est à dire d’effacer une partie significative, perspective que les créanciers n’acceptent pas.
Il est donc évident qu’on s’achemine vers un nouveau clash notamment avec l’Allemagne et la BCE en juin, quand tout sera remis sur la table : la dette, l’austérité et la possibilité d’une sortie forcée de la Grèce de la zone Euro. L’opinion grecque semble consciente de cela, elle demeure massivement favorable au gouvernement y compris dans les sondages effectués après l’accord du 20 février. Cette perspective rend aussi nécessaire une mobilisation internationale de solidarité au peuple grec et contre la dérive austéritaire et antidémocratique de l’Europe. ●
1er mars 2015
Nikos Smyrnaios,
maître de conférence
à l’université Toulouse 3.
1) « Glezos : « Je demande au Peuple Grec de me pardonner d’avoir contribué à cette illusion » »,
Okeanews, 22 février 2015.
2) Kai Littmann, « La BILD-Zeitung mobilise
contre la Grèce », Mediapart, 27 février 2015.
3) Philippe Aigrain, « Faire l’histoire
ou se chamailler ? », paigrain.debatpublic.net
4) Amélie Poinssot, « En Grèce, après les négociations à̀ Bruxelles, tout reste à faire », Mediapart, 25 février 2015.
5) Paul Krugman, « What Greece Won »,
New York Times, 27 février 2015.
6) Etienne Balibar et Sandro Mezzadra,
« Syriza gagne du temps et de l’espace »,
Libération, 23 février 2015.
7) Romaric Godin, « Eurogroupe :
qui a gagné le match Grèce-Allemagne ? »,
La Tribune, 22 février 2015.
8) « Grèce : le ton monte entre Schäuble
et Varoufakis », AFP, 26 février 2015.
9) « Grèce : Tsipras assure qu’il n’y aura pas de 3ème plan d’aide et lance ses lois », AFP, 27 février 2015.