En France, les collectivités, les établissements publics et les organismes de logement social jouent un rôle essentiel dans l’économie du pays en réalisant, grâce aux emprunts, des investissements importants. À la fin de l’année 2010, l’encours de la dette des collectivités territoriales, au sens large, s’élevait à 163 milliards d’euros, soit environ 10 % du total de la dette publique française estimée à 1 646 milliards d’euros à la fin du 1er trimestre 2011. L’encours de la dette des établissements publics de santé était de 24 milliards d’euros en 2010. Quant au logement social, le total de ses dettes financières était estimé à 89,5 milliards d’euros à la fin de l’exercice 2008.
Jusqu’à la fin des années 1990, l’essentiel du financement des acteurs publics provenait de prêts classiques à taux fixe ou à taux révisable. À cette époque, le prêteur principal était le Crédit Local de France qui allait devenir Dexia en 1996. Très vite, Dexia va intensifier la commercialisation de nouveaux prêts et sera imitée par les autres banques.
Le principe est simple : les premières années, le taux proposé est artificiellement bas mais avec en contrepartie une prise de risque inconsidérée pour la période qui suit. Ce type de prêts permet à la banque de multiplier ses marges par 2, par 3, voire plus. L’opération est d’autant plus lucrative pour elle que l’emprunteur seul supporte le risque. Même les analystes de l’agence de notation FitchRatings relèvent dans un rapport du 16 juillet 2008 : « les prêteurs ont donc réussi à imposer une situation paradoxale où, au lieu d’être rémunérés pour prendre un risque (de crédit) supplémentaire, ils l’ont été pour faire prendre un risque (de taux) à leurs clients »(1).
Ces prêts sont bâtis sur des index « exotiques » plus spéculatifs les uns que les autres : la parité entre l’euro et le franc suisse, le yen, le dollar, l’inflation, le cours du pétrole. Après deux ou trois ans de taux bonifié, le taux explose et les emprunteurs sont dans l’incapacité de sortir du prêt car ils doivent acquitter une indemnité de remboursement anticipé faramineuse. La situation est d’autant plus catastrophique que les banques ont incité beaucoup de collectivités à réaménager la totalité de leur dette avec ces «prêts toxiques». En décembre 2011, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les produits à risque souscrits par les acteurs publics locaux a estimé l’encours risqué à plus de 18 milliards d’euros et cela n’est que la partie émergée de l’iceberg car beaucoup de prêts structurés sont encore dans leur première période de bonification.
Coupables de défaut de conseil, quand ce n’est pas de tromperie, pour avoir conçu des prêts complexes, dangereux et non conformes à la réglementation qui interdit aux acteurs publics de spéculer sur les marchés, les banques doivent rendre des comptes.
Dans un tel contexte, la salutaire initiative du Collectif pour un audit citoyen de la dette publique(2) relayée par une multitude de collectifs locaux vient à point nommé pour permettre aux citoyens de prendre connaissance de la réalité de la situation financière de leurs collectivités dont certaines ont déjà assigné leurs prêteurs en justice. Citoyens et élus doivent unir leurs forces pour identifier la partie illégitime de la dette locale et imposer son annulation. Ils doivent demander aux autorités de l’Etat d’interdire les produits à risque pour l’ensemble des acteurs publics et exiger qu’elles mettent en demeure les banques de transformer les « prêts toxiques » en prêts classiques, sans surcoût, sans soulte, sans allongement de durée et sans clause léonine ou abusive. Coupables d’avoir ouvert la boîte de Pandore des prêts toxiques, les banques doivent à présent supporter la totalité des surcoûts que leurs produits ont générés pour les emprunteurs. ●
Patrick Saurin,
Collectif pour un audit citoyen de la dette publique & Sud BPCE
1) FitchRatings, La dette structurée des collectivités locales : gestion active ou spéculation ?, p. 2.
2) Voir son site www.audit-citoyen.org